Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 13 juillet 1989. – Albert Alexis et autres contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Agents de l’Association européenne pour la coopération (AEC) – Reconnaissance de leur qualité de fonctionnaire de la Commission à partir de la date de leur engagement par l’AEC. – Affaire 286/83.

L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, tranche une question relative au statut du personnel employé par une entité tierce agissant pour le compte d’une institution communautaire. En l’espèce, des agents d’une association internationale sans but lucratif, créée pour faciliter la coopération entre la Communauté et des pays en développement, avaient saisi la Cour. Ils demandaient l’annulation d’une décision de la Commission refusant de les reconnaître comme fonctionnaires ou agents temporaires à compter de la date de leur engagement initial par cette association. Postérieurement à l’introduction du recours, un règlement du Conseil avait organisé leur intégration en tant que fonctionnaires, mais sans la rétroactivité souhaitée. La procédure a donc vu les prétentions des requérants se concentrer sur l’obtention d’une titularisation rétroactive et le maintien de droits acquis plus favorables. La Commission, quant à elle, soulevait l’irrecevabilité du recours, arguant que les requérants n’avaient pas la qualité d’agent de la Communauté. La question de droit posée à la Cour était donc double. D’une part, il s’agissait de déterminer si des personnes employées par une association de droit privé, bien qu’étroitement liée à une institution, pouvaient être considérées comme des agents de fait de cette dernière. D’autre part, il fallait établir si le fait d’intégrer différentes catégories de personnel de cette même association à des dates distinctes constituait une violation du principe d’égalité de traitement. La Cour a rejeté le recours en jugeant que l’association constituait un employeur juridiquement distinct de la Commission et qu’aucune rupture d’égalité de traitement ne pouvait être constatée quant aux différentes dates d’intégration.

L’analyse de la décision révèle la confirmation par la Cour d’une approche formaliste de la relation d’emploi, privilégiant le statut juridique de l’employeur (I). Cette position conduit logiquement à une application rigoureuse du principe d’égalité, dont la portée se trouve strictement délimitée (II).

I. La confirmation du statut juridique distinct de l’association collaboratrice

La Cour, avant d’examiner le fond de l’affaire, a dû se prononcer sur sa propre compétence, ce qui l’a amenée à adopter une solution pragmatique concernant le droit de recours (A). Sur le fond, elle a cependant maintenu une distinction stricte entre l’institution communautaire et l’entité privée, refusant de reconnaître un lien d’emploi direct (B).

A. L’élargissement pragmatique de la compétence du juge communautaire

La Commission contestait la recevabilité du recours en arguant que les requérants, n’étant ni fonctionnaires ni agents des Communautés, ne pouvaient se prévaloir des voies de recours ouvertes à ces derniers. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une jurisprudence établie. Elle rappelle que « non seulement les personnes qui ont la qualité de fonctionnaire ou agent autre que local, mais aussi celles qui revendiquent ces qualités, peuvent attaquer devant la Cour une décision leur faisant grief ». Cette solution permet d’éviter un déni de justice. En effet, conditionner la compétence du juge à la reconnaissance préalable de la qualité même qui fait l’objet du litige reviendrait à priver de tout recours effectif les personnes se trouvant dans une situation juridique ambiguë. La Cour admet ainsi que la simple revendication d’un statut, pourvu qu’elle soit sérieuse, suffit à ouvrir le prétoire du juge communautaire.

B. Le refus de la reconnaissance d’un lien d’emploi direct avec la Commission

Le moyen principal des requérants reposait sur l’idée que leur employeur formel, l’association, n’était qu’un écran, l’employeur réel étant la Commission en raison des liens étroits qui les unissaient. La Cour rejette cette thèse sans ambiguïté. Elle affirme que « l’aec constituait une association internationale sans but lucratif régie par le droit belge et ne pouvait pas être considérée comme une entité administrative de la Commission ». En conséquence, l’employeur des requérants était bien l’association, et non l’institution communautaire. Cette position témoigne d’un attachement à la forme juridique. Peu importent le contrôle exercé par la Commission, l’origine des financements ou la nature des missions effectuées ; seule la personnalité juridique distincte de l’association est prise en compte. La Cour refuse ainsi de faire prévaloir une approche fonctionnaliste qui aurait consisté à analyser la réalité du lien de subordination.

II. L’interprétation restrictive du principe d’égalité de traitement

L’échec de leur argument principal a conduit les requérants à invoquer une rupture du principe d’égalité. La Cour rejette ce moyen en opérant une distinction claire entre les modalités d’une intégration et son calendrier (A), limitant ainsi la portée de ses décisions antérieures en la matière (B).

A. La distinction entre les modalités et le calendrier d’intégration

Les requérants soutenaient que leur intégration tardive, par rapport à d’autres catégories de personnel de la même association, constituait une discrimination. La Cour ne les suit pas sur ce terrain. Elle admet implicitement que des catégories de personnel différentes peuvent faire l’objet de mesures d’intégration distinctes, adoptées selon un calendrier différent, sans que cela n’emporte nécessairement une violation du principe d’égalité. En l’espèce, les agents du siège, les agents sous contrat spécial et le personnel d’Outre-mer formaient des groupes distincts, dont le sort a été réglé par des actes et à des moments différents. La Cour estime que cette différence de traitement dans le temps ne constitue pas en soi une rupture d’égalité, dès lors qu’elle repose sur des catégories de personnel objectivement différenciées.

B. La portée limitée des précédents jurisprudentiels en matière d’égalité

Pour écarter le grief de discrimination, la Cour précise la portée de sa jurisprudence antérieure. Elle note que dans des arrêts précédents concernant le personnel de cette même association, si elle a bien « constaté une violation du principe d’égalité de traitement », cette constatation ne concernait « que la fixation du grade et de l’échelon des intéressés et non la date d’effet de ces décisions les nommant fonctionnaires stagiaires ». Cette précision est déterminante. Elle signifie que le principe d’égalité impose à l’institution de traiter de manière similaire les agents se trouvant dans une situation comparable au moment de leur intégration, notamment pour leur classement. En revanche, ce principe n’impose pas d’intégrer simultanément toutes les catégories de personnel issues d’un même organisme externe. La Cour préserve ainsi la marge d’appréciation du législateur communautaire dans la gestion progressive et complexe de l’absorption de personnels extérieurs.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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