Par un arrêt rendu en 1989, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation d’une disposition du droit agricole communautaire relative aux conditions d’étiquetage des produits ouvrant droit à des aides. En l’espèce, une entreprise spécialisée dans la production d’aliments pour animaux s’était vu refuser le bénéfice d’une aide par l’organisme d’intervention national compétent. Le refus était motivé par le fait que l’emballage d’une partie du lait écrémé en poudre utilisé, un mélange provenant d’un autre État membre, n’était pas jugé conforme aux exigences d’un règlement communautaire. L’indication requise par la réglementation n’était pas directement imprimée sur les sacs, mais figurait sur des étiquettes solidement cousues dans leur couture de fermeture. L’entreprise a alors saisi la juridiction administrative nationale pour contester cette décision. Estimant que la résolution du litige dépendait de l’interprétation du droit communautaire, cette juridiction a posé une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si la condition posée par l’article 4, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 1725/79, selon laquelle les emballages doivent « porter » certaines inscriptions, est remplie lorsque ces inscriptions figurent sur des étiquettes intégrées au système de fermeture du contenant. En réponse, la Cour a jugé que cette disposition devait être interprétée comme autorisant une telle méthode d’étiquetage, sous la réserve que le procédé de fixation utilisé ne soit pas de nature à faciliter les fraudes.
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une interprétation finaliste de la norme, privilégiée face à l’imprécision du texte (I). Cette approche pragmatique conduit cependant à confier au juge national une part importante de l’appréciation, illustrant la répartition des compétences inhérente au mécanisme du renvoi préjudiciel (II).
I. La primauté de l’interprétation téléologique face à l’ambiguïté textuelle
La Cour de justice fonde son raisonnement sur le constat d’une imprécision terminologique du règlement (A), ce qui la conduit à rechercher l’objectif poursuivi par le législateur communautaire comme principal critère d’interprétation (B).
A. L’ambiguïté reconnue du texte réglementaire
Le règlement en cause exigeait que « les emballages contenant le mélange portent, clairement lisibles » un certain nombre d’inscriptions. La Cour relève que l’emploi du verbe « porter » n’est pas suffisamment précis pour déterminer si l’inscription doit être apposée directement sur l’emballage ou si elle peut l’être par un autre moyen, tel qu’une étiquette. Pour étayer ce constat, elle procède à une comparaison avec une autre disposition du même règlement. L’article 4, paragraphe 2, opère en effet une distinction claire pour d’autres mentions obligatoires, prévoyant qu’elles doivent figurer « – soit sur l’étiquette prise dans le système de fermeture, – soit par impression sur l’emballage lui-même ». Cette distinction textuelle explicite dans une partie du règlement met en évidence, a contrario, le caractère plus général et donc moins clair de l’expression utilisée au paragraphe 4.
L’incertitude interprétative était d’ailleurs matérialisée par les pratiques divergentes des administrations nationales, l’organisme français d’intervention ayant admis la méthode de l’étiquette cousue, tandis que son homologue allemand la refusait. Face à cette absence de clarté, la Cour a écarté une approche purement littérale qui se serait avérée insuffisante pour trancher le litige.
B. La consécration de l’objectif de lutte contre la fraude
Ne pouvant se fonder sur la seule lettre du texte, la Cour s’est attachée à en déterminer la finalité. Elle se réfère aux considérants du règlement pour dégager l’intention du législateur. Selon le cinquième considérant, le conditionnement des produits aidés doit permettre leur identification afin d’assurer un contrôle efficace. Le troisième considérant précise que les dispositions doivent « éviter que le même produit bénéficie plusieurs fois de l’aide ». La Cour en déduit que le but essentiel de l’exigence de marquage est de nature préventive : il « vise essentiellement à assurer une identification précise des produits en vue de prévenir des fraudes ».
Dès lors que l’objectif principal est la prévention des abus, la méthode d’étiquetage importe moins que sa capacité à atteindre ce but. Le critère d’appréciation n’est plus formel, à savoir la présence d’une impression directe, mais fonctionnel : la méthode utilisée offre-t-elle des garanties suffisantes contre les manipulations frauduleuses ? Cette interprétation téléologique permet d’admettre en principe des modalités non prévues explicitement par le texte, à la condition qu’elles respectent l’esprit de la loi.
II. La portée modulée de la solution et le rôle du juge national
La Cour de justice, tout en validant le principe de l’étiquetage par un support externe, en conditionne la légalité à une exigence de sécurité (A), renvoyant l’appréciation concrète de cette condition au juge national (B).
A. Le rejet d’une interdiction de principe fondée sur le risque de fraude
La Commission européenne, dans ses observations, soutenait qu’une étiquette était par nature plus facile à substituer qu’une impression et que cette méthode devait donc être proscrite. La Cour ne suit pas cette argumentation, qu’elle juge trop générale et non étayée. Elle oppose une considération d’ordre pratique en relevant que « tout effort d’enlever l’étiquette prise dans le système de fermeture, en vue de sa substitution, risque de déchirer le matériel d’emballage et d’avoir ainsi le même effet que le fait de retirer une inscription sur ce matériel ». Ce risque est particulièrement présent dans l’hypothèse d’une étiquette solidement cousue dans la couture d’un sac en papier.
En refusant de présumer un risque de fraude inhérent à toute forme d’étiquetage externe, la Cour adopte une position pragmatique. Elle refuse d’imposer une contrainte qui pourrait s’avérer disproportionnée et non justifiée au regard de l’objectif de sécurité. La solution n’est donc pas une autorisation inconditionnelle mais une autorisation de principe, dont la mise en œuvre reste soumise à des exigences de fiabilité.
B. Le renvoi de l’appréciation factuelle à la juridiction nationale
Après avoir posé le principe et le critère de validité, la Cour de justice prend soin de délimiter sa propre compétence. Elle reconnaît ne pas disposer des éléments factuels pour juger de la fiabilité de toutes les méthodes de fixation d’étiquettes existantes. Par conséquent, la Cour ne statue pas sur la conformité de la méthode spécifique en cause dans le litige principal. Elle se borne à fournir au juge national la clé d’interprétation du droit communautaire.
Il en résulte que c’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe d’appliquer ce critère aux faits de l’espèce. La Cour énonce clairement cette délégation de compétence : « Il appartient, dès lors, à la juridiction nationale de faire les distinctions nécessaires et de vérifier, le cas échéant, si une méthode déterminée pour fixer l’étiquette dans le système de fermeture peut ou non être considérée comme étant de nature à faciliter les fraudes ». Cette démarche illustre parfaitement le dialogue des juges instauré par le mécanisme du renvoi préjudiciel, où la Cour de justice dit le droit communautaire et le juge national tranche le litige en l’appliquant aux circonstances de la cause.