L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 27 octobre 1987 illustre la répartition des compétences entre le juge et l’expert médical dans le cadre du régime d’assurance contre les accidents du travail des fonctionnaires.
Un fonctionnaire, victime d’un accident de la circulation, a contesté le taux d’invalidité permanente partielle initialement fixé par le médecin-conseil de son institution. Conformément à la réglementation applicable, une commission médicale a été constituée pour réévaluer sa situation. Cette commission, composée d’un médecin désigné par l’institution, d’un médecin choisi par le fonctionnaire et d’un troisième expert nommé d’un commun accord, a arrêté un taux d’invalidité légèrement supérieur, mais toujours jugé insuffisant par l’intéressé. Le fonctionnaire a alors introduit une réclamation administrative, qui fut rejetée par la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination. C’est dans ce contexte qu’il a saisi la Cour d’un recours en annulation, visant à la fois le rapport de la commission médicale et la décision de rejet de sa réclamation. Il soutenait que la procédure d’expertise était entachée d’irrégularités, tant dans la composition de la commission que dans son fonctionnement. Le problème de droit soumis à la Cour portait donc sur la question de savoir si la régularité d’une expertise médicale est affectée par la désignation d’un médecin ayant déjà pris part à l’évaluation initiale du dommage, et si les droits de la défense imposent l’audition du fonctionnaire ou la prise en compte impérative de rapports médicaux antérieurs. Par son arrêt, la Cour rejette le recours en réaffirmant le caractère limité de son contrôle sur les expertises médicales et en validant la procédure suivie.
L’analyse de cette décision révèle ainsi une approche rigoureuse, validant une procédure d’expertise médicale jugée régulière (I), tout en réaffirmant la portée restreinte du contrôle juridictionnel sur les appréciations techniques des experts (II).
I. La validation d’une procédure d’expertise médicale jugée régulière
La Cour examine et écarte successivement les griefs du requérant dirigés contre la composition de la commission (A) puis contre le déroulement de ses travaux (B), considérant que les garanties prévues par la réglementation ont été respectées.
A. L’indépendance préservée de la commission médicale
Le requérant mettait en cause l’impartialité de la commission, arguant que l’expert désigné par l’institution avait déjà établi le premier rapport contesté et entretenait des liens avec la compagnie d’assurances. La Cour écarte ce moyen en se fondant sur la finalité protectrice de la procédure collégiale. Elle rappelle que le dispositif vise à assurer un double examen, où l’équilibre est garanti par la structure même de la commission. En effet, « les interêts du fonctionnaire étant sauvegardés par la présence, au sein de la commission, d’un médecin de sa confiance ainsi que par la désignation du troisième médecin d’un commun accord ». Cette composition paritaire, complétée par un tiers indépendant, est considérée comme une garantie suffisante d’objectivité.
Dans ces conditions, la Cour estime que « rien ne s’oppose à ce que l’institution désigne le même médecin qu’elle avait choisi pour établir le premier rapport médical ». Cette solution pragmatique reconnaît que la confiance de chaque partie en son propre expert est un élément constitutif de la procédure. De même, la qualité de médecin-conseil auprès de l’assureur n’est pas jugée de nature à porter préjudice au fonctionnaire, dès lors que le processus décisionnel de la commission demeure collégial et équilibré.
B. Le déroulement non contradictoire de l’expertise
Le fonctionnaire reprochait également à la commission de ne pas l’avoir entendu et d’avoir ignoré des rapports médicaux produits à sa demande. La Cour rejette ces arguments en définissant la nature même de la mission d’expertise. Elle juge que « l’audition de l’intéressé par la commission médicale n’est pas exigée par la réglementation ». Plus fondamentalement, elle précise qu’une telle audition n’est pas non plus « imposée par des principes relatifs au respect des droits de la défense », car les travaux de la commission ne visent pas à trancher un débat contradictoire mais à établir des constatations d’ordre médical. La mission de la commission est de nature technique et non juridictionnelle.
Concernant la prise en compte de documents médicaux antérieurs, la Cour affirme que la commission doit disposer d’une « entière liberté d’appréciation ». Il lui « appartient de décider dans quelle mesure il convient de prendre en considération les rapports médicaux établis préalablement ». Cette autonomie est la condition de son objectivité et de son indépendance. Le juge vérifie seulement que ces éléments n’ont pas été arbitrairement ignorés, constatant en l’espèce que la commission « a pris en compte les expertises antérieures et qu’elle les a soumises à un examen critique ».
II. La réaffirmation du contrôle juridictionnel restreint sur les appréciations médicales
Après avoir validé la procédure, la Cour rappelle avec force le principe de la séparation entre le contrôle de légalité et l’appréciation médicale (A), avant d’appliquer ce principe au contenu même du rapport d’expertise contesté (B).
A. La distinction entre le contrôle de légalité et l’appréciation médicale
La Cour fonde son raisonnement sur une jurisprudence constante, rappelant d’emblée les limites de son office en la matière. Elle énonce que « les voies de recours prévues par le statut des fonctionnaires ne peuvent être, en principe, utilisées dans ce domaine qu’en vue d’obtenir un contrôle limité aux questions relatives à la constitution et au fonctionnement régulier des commissions médicales ». Cette autolimitation est fondamentale : le juge administratif n’est pas un juge médical. Son rôle se cantonne à la vérification de la légalité externe et interne de la procédure d’expertise.
Par conséquent, « l’examen de la cour ne s’étend pas aux appréciations médicales proprement dites, qui doivent être tenues comme définitives lorsqu’elles sont intervenues dans des conditions régulières ». Le juge s’interdit de substituer sa propre évaluation à celle des experts sur des questions qui relèvent exclusivement de l’art médical. La régularité formelle de la procédure conditionne ainsi le caractère définitif des conclusions techniques. C’est une manifestation classique de la déférence du juge envers l’expertise technique, pourvu que celle-ci ait été menée dans le respect des règles.
B. L’application du principe au contenu du rapport d’expertise
Le requérant contestait les résultats de l’expertise, soutenant que le préjudice psychique et social n’avait pas été suffisamment pris en compte. La Cour applique de manière rigoureuse le principe qu’elle vient de rappeler. Elle ne cherche pas à déterminer si l’évaluation de ce préjudice était médicalement correcte ou suffisante. Son contrôle se limite à vérifier si la commission a bien examiné l’ensemble des plaintes formulées par le fonctionnaire.
Il ressort du dossier, selon la Cour, que la commission « a examiné les plaintes du requérant concernant les séquelles d’ordre psychique et social ». En faisant usage de sa liberté d’appréciation médicale, elle en a écarté certaines comme non fondées, mais a néanmoins tenu compte de « troubles subjectifs somatiques » pour fixer le taux d’invalidité. Dès lors que la question a été examinée par les experts, le bien-fondé de leurs conclusions médicales échappe au contrôle du juge. Ce faisant, la Cour confirme que le contenu du rapport d’expertise relève de l’appréciation médicale, insusceptible d’être discutée devant elle dès lors que la procédure a été menée en bonne et due forme.