Par un arrêt en date du 25 octobre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes, siégeant en sa quatrième chambre, s’est prononcée sur les conséquences du défaut de transposition d’une directive par un État membre dans les délais impartis. En l’espèce, une directive du Parlement européen et du Conseil, adoptée le 16 février 1998, visait à modifier les procédures de passation des marchés dans plusieurs secteurs spécifiques. Le texte prévoyait que les États membres devaient adopter les dispositions nationales nécessaires à sa transposition au plus tard le 16 février 1999 et en informer la Commission.
Constatant l’absence de transposition en droit interne par un État membre à l’échéance du délai, la Commission a engagé une procédure en manquement. Elle a d’abord mis l’État en demeure de présenter ses observations, puis, face à l’absence de régularisation, lui a adressé un avis motivé le 18 février 2000, lui accordant un délai de deux mois pour se conformer. Aucune mesure de transposition n’ayant été notifiée à l’issue de ce second délai, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 226 du traité instituant la Communauté européenne. Devant la Cour, l’État défendeur n’a pas contesté le manquement, se bornant à indiquer que le processus de transposition était en cours de finalisation. Il revenait donc à la Cour de déterminer si l’absence de mise en œuvre des dispositions nationales nécessaires à la transposition d’une directive dans le délai prescrit constitue, en soi, un manquement aux obligations découlant du traité. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en constatant que le simple fait de ne pas avoir pris les mesures requises dans le délai imparti suffisait à caractériser le manquement de l’État à ses obligations. Cette décision, bien que classique dans sa motivation, illustre le mécanisme de contrôle du respect du droit de l’Union (I) et réaffirme la portée des obligations qui pèsent sur les États membres (II).
I. La caractérisation formelle du manquement par le juge de l’Union
Le raisonnement de la Cour repose sur une application stricte des règles de procédure, établissant le manquement sur une base purement objective (A) et rappelant par là même la force contraignante des actes de droit dérivé (B).
A. Une constatation objective du défaut de transposition
La procédure en manquement engagée par la Commission est fondée sur des éléments factuels et temporels difficilement contestables. La Cour se livre à une vérification simple et formelle : la directive fixait un délai, et à l’expiration de celui-ci, les mesures de transposition n’avaient pas été adoptées. Le manquement est donc constitué par le seul dépassement de la date butoir fixée par le législateur de l’Union. Les justifications avancées par l’État membre, notamment le fait que « la transposition de la directive 98/4 est en cours », sont sans incidence sur la constatation même du manquement.
Le rôle de la Cour dans ce contexte n’est pas d’apprécier les difficultés internes que peut rencontrer un État membre pour se conformer à ses obligations. Le manquement est jugé de manière objective, indépendamment des raisons qui ont pu conduire à ce retard. Cette approche garantit une application uniforme du droit de l’Union et prévient que des considérations d’ordre national ne puissent faire échec à l’effectivité des règles communes. L’arrêt se borne ainsi à un constat factuel et juridique, la simple absence de résultat à la date prévue suffit à fonder le recours.
B. La force obligatoire de la directive et de ses délais
En rappelant que la transposition n’a pas été effectuée dans le délai prescrit, la Cour réaffirme un principe cardinal de l’ordre juridique de l’Union. Conformément à l’article 249, troisième alinéa, du traité CE, une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat inclut une dimension temporelle, matérialisée par le délai de transposition, dont le respect est impératif.
La Cour souligne ainsi que « la transposition de la directive 98/4 n’ayant pas été réalisée dans le délai prescrit, il y a lieu de considérer comme fondé le recours introduit par la Commission ». Cette formule lapidaire met en évidence le caractère automatique du manquement une fois l’échéance dépassée. Le délai n’est pas une simple indication, mais une composante essentielle de l’obligation de transposition. Le non-respect de cette échéance vide la directive de son effet utile et porte atteinte au principe de sécurité juridique, puisque les justiciables ne peuvent se prévaloir de droits qui auraient dû être intégrés dans l’ordre juridique national.
Cette décision, en apparence simple, est une manifestation essentielle de l’autorité du droit de l’Union. Elle ne constitue pas une simple sanction formelle mais la protection même des fondements sur lesquels repose la construction juridique européenne.
II. Une solution classique, gardienne de l’ordre juridique de l’Union
L’arrêt commenté, loin d’être novateur, s’inscrit dans une jurisprudence constante qui réaffirme le rôle de la Cour en tant que garante de l’effectivité du droit de l’Union (A) et dont la portée est avant tout pédagogique pour l’ensemble des États membres (B).
A. L’office du juge garant de l’effet utile du droit de l’Union
En déclarant le manquement, la Cour exerce sa fonction première de gardienne des traités. Une directive qui ne serait pas transposée dans les délais resterait lettre morte et priverait les citoyens et les entreprises des droits qu’elle entend leur conférer. La procédure en manquement est donc l’outil qui permet à la Commission, puis à la Cour, de s’assurer que les États membres remplissent leurs engagements et que le droit de l’Union est appliqué de manière effective et homogène sur tout le territoire de l’Union.
L’arrêt illustre parfaitement que l’obligation de transposition est une obligation de résultat. La Cour ne se contente pas de vérifier l’intention de l’État membre ; elle sanctionne l’absence de concrétisation juridique dans le délai imparti. Cette rigueur est la condition sine qua non de la primauté et de l’applicabilité directe du droit de l’Union. La condamnation aux dépens, prononcée systématiquement en cas de manquement avéré, vient parachever la décision en soulignant que l’État défaillant doit supporter les conséquences procédurales de son inaction.
B. La portée dissuasive d’un arrêt de principe implicite
Bien qu’il s’agisse d’un arrêt d’espèce, réglant un litige spécifique entre la Commission et un État membre, sa portée est générale. Chaque arrêt de ce type constitue un rappel à l’ordre pour l’ensemble des États membres quant à la diligence attendue d’eux dans le processus de transposition. La publicité de ces décisions a un effet dissuasif et pédagogique indéniable, incitant les administrations nationales à une plus grande rigueur dans le respect de leurs obligations européennes.
Cette jurisprudence constante ne crée pas de droit nouveau mais consolide les fondations de l’ordre juridique de l’Union. Elle rappelle que l’appartenance à l’Union implique des contraintes et que la souveraineté des États en matière de choix des formes et des moyens de transposition ne saurait servir de prétexte à une inexécution. En définitive, l’arrêt, par sa simplicité et sa prévisibilité, témoigne de la maturité d’un système juridique où le respect des règles communes est une condition non négociable de son existence même.