Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 22 mai 2003. – Commission des Communautés européennes contre Grand-duché de Luxembourg. – Manquement d’État – Transposition incomplète de la directive 89/391/CEE – Sécurité et santé des travailleurs. – Affaire C-335/02.

Par un arrêt en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les obligations incombant à un État membre dans le cadre de la transposition d’une directive. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes a engagé une procédure en manquement à l’encontre du Grand-Duché de Luxembourg. Elle lui reprochait de ne pas avoir transposé intégralement la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. Spécifiquement, l’article 7, paragraphe 8, de ce texte imposait aux États membres de définir les capacités et aptitudes requises pour les personnes chargées des activités de protection et de prévention des risques professionnels. Après une mise en demeure restée sans réponse satisfaisante, la Commission a émis un avis motivé le 18 octobre 1999, invitant l’État mis en cause à se conformer à ses obligations. Face à l’inaction persistante de ce dernier, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement le 20 septembre 2002. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si l’absence d’adoption de mesures nationales visant à définir les compétences des personnes en charge de la prévention des risques professionnels caractérisait un manquement aux obligations découlant du droit communautaire. La Cour de justice constate que l’État membre ne conteste pas ne pas avoir adopté les dispositions nécessaires à la transposition de la disposition en cause. Elle déclare par conséquent que le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.

La solution, bien que classique, illustre la rigueur avec laquelle la Cour contrôle l’exécution par les États membres de leurs obligations de transposition. Il convient ainsi d’analyser la constatation d’un manquement rendu évident par l’aveu de l’État (I), avant d’apprécier la portée d’une décision qui se veut davantage un rappel à l’ordre qu’un apport jurisprudentiel nouveau (II).

I. La constatation d’un manquement étatique avéré

La décision de la Cour repose sur une logique implacable, tirée de l’obligation de transposition qui pèse sur les États membres (A) et renforcée par l’absence de contestation de la part de l’État défendeur (B).

A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition

La directive constitue un instrument d’harmonisation essentiel du droit de l’Union, liant les États membres quant au résultat à atteindre tout en leur laissant la compétence quant à la forme et aux moyens. L’article 7, paragraphe 8, de la directive 89/391/CEE imposait une obligation de résultat claire et précise : les États devaient « définir les capacités et aptitudes nécessaires pour ceux qui sont désignés afin de s’occuper des activités de protection et de prévention contre les risques professionnels ». Cette exigence visait à garantir un niveau de qualification homogène et adéquat pour les préposés à la sécurité au travail, dans le cadre de l’amélioration de la santé des travailleurs.

La Cour rappelle implicitement que la transposition ne saurait se satisfaire de pratiques administratives ou de circulaires non publiées. Elle exige l’adoption de « mesures législatives ou réglementaires conformes aux exigences de cette directive et qui sont portées à la connaissance des entreprises concernées ». La Cour s’assure ainsi que les dispositions nationales créent une situation juridique suffisamment précise et claire pour permettre aux justiciables de connaître leurs droits et obligations. En l’absence de telles mesures, le résultat prescrit par la directive ne peut être considéré comme atteint.

B. La reconnaissance du manquement par l’État défendeur

Le second pilier du raisonnement de la Cour réside dans la posture procédurale adoptée par le Grand-Duché de Luxembourg. L’arrêt souligne en effet que « le grand-duché de Luxembourg ne conteste pas ne pas avoir adopté les dispositions nécessaires à la transposition de l’article 7, paragraphe 8, de la directive 89/391 ». Cette absence de contestation équivaut à un aveu du manquement, qui simplifie considérablement l’office du juge. La Cour n’a plus à entrer dans une analyse détaillée du droit national pour vérifier l’existence, la portée et l’adéquation des mesures de transposition.

La charge de la preuve, qui incombe en principe à la Commission, se trouve de fait allégée. La reconnaissance par l’État de sa propre défaillance rend le manquement incontestable. Dans ces conditions, la Cour de justice n’a d’autre choix que de constater l’infraction. Le recours de la Commission ne pouvait dès lors qu’être jugé fondé, transformant la décision en une pure formalisation juridictionnelle d’une situation de fait admise par toutes les parties.

Cette approche pragmatique, si elle conduit à une solution juridiquement inéluctable, invite à s’interroger sur la valeur et la portée d’un tel arrêt, qui sanctionne une négligence évidente plus qu’il ne tranche un débat juridique complexe.

II. La portée limitée d’un arrêt de pure application

La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence bien établie, rappelant le rôle de gardienne des traités de la Commission (A), sans pour autant constituer un revirement ou un apport doctrinal majeur, ce qui en fait une décision d’espèce (B).

A. Une illustration de la fonction de contrôle de la Commission

Cet arrêt, par sa simplicité, met en lumière la fonction première de la procédure en manquement prévue à l’article 226 du traité CE. Il s’agit d’un mécanisme de contrôle destiné à assurer le respect et l’application uniforme du droit communautaire par les États membres. En poursuivant un État pour une défaillance aussi manifeste, la Commission exerce pleinement son rôle de gardienne des traités. La condamnation qui en résulte, même en l’absence de sanction pécuniaire à ce stade, constitue un rappel de l’autorité du droit de l’Union et du principe de primauté.

La valeur de la décision est donc avant tout pédagogique. Elle démontre que nulle obligation, même technique et spécifique, ne peut être ignorée par un État membre sans encourir une censure de la Cour. La solution réaffirme la force contraignante des directives et l’importance d’une transposition complète et en temps utile pour la réalisation des objectifs de l’Union, en l’occurrence la protection de la santé des travailleurs.

B. Une décision d’espèce sans apport jurisprudentiel nouveau

Si la valeur symbolique de l’arrêt est certaine, sa portée juridique est en revanche limitée. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par les faits et l’absence de défense de l’État mis en cause. La Cour ne développe aucun principe nouveau en matière de transposition ou de procédure en manquement. Elle se contente d’appliquer une grille d’analyse éprouvée, comme en témoigne la référence à l’arrêt antérieur Commission/Italie du 15 novembre 2001.

L’arrêt ne se distingue pas par une interprétation novatrice de la directive ou du traité. Il n’offre pas de nouvelles perspectives sur la notion de « capacités et aptitudes » ni sur les modalités de leur définition. La solution est entièrement contenue dans la constatation factuelle de l’absence de législation nationale. Par conséquent, cet arrêt est destiné à rester une simple illustration dans les manuels de droit de l’Union plutôt qu’une référence citée pour sa contribution à l’évolution du droit. Son influence sur la jurisprudence future est donc, par nature, quasi inexistante.

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Hassan KOHEN
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