Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 24 octobre 1996. – Société sucrière agricole de Maizy et Société sucrière de Berneuil-sur-Aisne contre Directeur régional des impôts. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif d’Amiens – France. – Organisation commune des marchés dans le secteur du sucre – Fait générateur des cotisations de stockage, des cotisations à la production et des cotisations de résorption – Période d’exigibilité des cotisations de résorption. – Affaire C-172/95.

L’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, caractérisée par un régime de prix et de quotas, repose sur divers mécanismes de régulation financés par des cotisations prélevées auprès des fabricants. La détermination du fait générateur de l’obligation de payer ces différentes contributions est essentielle pour la sécurité juridique des opérateurs économiques. C’est sur cette question que la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer dans l’arrêt commenté. En l’espèce, une juridiction nationale, saisie d’un litige relatif au paiement de plusieurs cotisations dues par un producteur de sucre, a sursis à statuer afin de demander à la Cour de préciser, à titre préjudiciel, le moment exact où naissent les obligations de paiement de la cotisation de stockage, des cotisations à la production et des cotisations de résorption. Le problème de droit soumis à l’interprétation de la Cour consistait donc à déterminer si ces obligations de paiement prenaient naissance au moment de la production du sucre, de son écoulement sur le marché, ou à un autre moment pertinent au regard de la réglementation applicable. Dans sa décision, la Cour de justice opère une distinction nette. Elle juge que l’obligation de payer la cotisation de stockage naît au moment de l’écoulement du sucre, tandis que les obligations relatives aux autres cotisations (production, additionnelle, résorption et résorption spéciale) naissent seulement à l’issue de la campagne de commercialisation, lors du calcul définitif de la production. La solution de la Cour révèle une dualité de logiques, l’une attachée à une opération matérielle de mise sur le marché (I), l’autre liée à une opération comptable annuelle et définitive (II).

I. La naissance de l’obligation de paiement liée à l’écoulement du produit

La Cour de justice dissocie clairement le régime de la cotisation de stockage de celui des autres prélèvements. Elle rattache la naissance de cette obligation non pas au fait de la production, mais à l’acte de commercialisation du sucre. Cette solution repose sur la finalité même du mécanisme de compensation des frais de stockage (A), ce qui consacre une logique économique pragmatique (B).

A. Une obligation déclenchée par la commercialisation

La Cour interprète les dispositions pertinentes, à savoir l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 1785/81 et l’article 6, paragraphe 4, du règlement n° 1358/77, en affirmant que « les conditions requises pour la naissance de l’obligation de payer la cotisation de stockage sont réunies au moment de l’écoulement du sucre ». Le fait générateur n’est donc ni la fabrication du produit ni son stockage, mais bien sa sortie des entrepôts en vue de sa vente. Cette interprétation est téléologique : le système de compensation des frais de stockage vise à inciter les fabricants à stocker une partie de leur production pour assurer un approvisionnement régulier du marché tout au long de la campagne. La cotisation finance ce système. Il est donc logique que l’obligation de la payer se matérialise lorsque le produit quitte le régime de stockage pour entrer dans le circuit commercial, car c’est à ce moment que l’objectif de régulation du marché par le stockage prend fin pour le volume concerné. La Cour choisit un critère factuel et économique, celui de l’écoulement, plutôt qu’un critère purement productif.

B. La consécration d’une logique économique

En liant l’exigibilité de la cotisation de stockage à l’écoulement du produit, la Cour aligne le fait générateur de la taxe sur l’événement qui génère des liquidités pour le fabricant. Cette approche a le mérite de ne pas imposer une charge de trésorerie à l’entreprise pour des marchandises qui sont encore en stock et n’ont pas encore produit de revenus. La solution est donc économiquement cohérente. Elle assure que le prélèvement, destiné à réguler les flux sur le marché, est lui-même déclenché par une opération de flux. Cette analyse préserve la neutralité financière du stockage pour l’opérateur jusqu’à la commercialisation effective. La portée de cette interprétation est de clarifier que pour cette cotisation spécifique, la simple existence d’un stock de sucre produit n’est pas suffisante pour faire naître la dette fiscale. C’est l’acte de disposition qui est déterminant.

Alors que la cotisation de stockage voit son sort lié à une opération ponctuelle sur le marché, les autres cotisations examinées par la Cour répondent à une temporalité et une logique entièrement différentes, fondées sur le bilan annuel de la production.

II. La cristallisation des obligations de paiement à l’issue de la campagne de commercialisation

Pour l’ensemble des autres prélèvements examinés, à savoir les cotisations à la production, la cotisation additionnelle et les cotisations de résorption, la Cour de justice adopte une solution unifiée. Elle fixe la naissance de l’obligation de paiement à un moment unique et postérieur à la période de production elle-même. Cette approche répond à la nature de ces cotisations, qui sont toutes fondées sur les volumes de production annuels (A), et offre une sécurité juridique appréciable aux opérateurs (B).

A. Un fait générateur unifié pour les cotisations liées aux volumes produits

La Cour juge de manière constante que l’obligation de payer la cotisation à la production de base, la cotisation additionnelle sur le quota B, la cotisation de résorption et la cotisation de résorption spéciale naît « lors du calcul de la production de sucre à l’issue de chaque campagne de commercialisation ». Le fait générateur est ici une opération intellectuelle et comptable : la détermination finale et consolidée de la quantité totale de sucre produite par un fabricant au cours de la campagne écoulée. Contrairement à la cotisation de stockage, l’exigibilité n’est pas déclenchée par une transaction commerciale isolée, mais par un bilan global. Cette solution s’explique par la fonction de ces prélèvements. Ils visent à financer les coûts liés à l’écoulement des excédents de production communautaire et à assurer le respect des quotas. La dette ne peut donc être logiquement et précisément calculée qu’une fois que la production totale de la campagne est définitivement connue.

B. Une solution garantissant la prévisibilité et la sécurité juridique

En fixant la naissance de ces obligations à la fin de la campagne, la Cour fournit une règle claire et prévisible. Les fabricants savent que leur dette ne sera établie qu’à une date certaine, sur la base de chiffres définitifs. Cela évite l’incertitude qui résulterait d’une exigibilité au fur et à mesure de la production ou de déclarations intermédiaires. La solution permet une gestion administrative simplifiée, tant pour les entreprises que pour les autorités nationales chargées de la collecte. La portée de cette interprétation est significative : elle établit que pour toutes les cotisations basées sur les quotas et les volumes globaux, la dette fiscale se cristallise de manière annuelle. Il s’agit d’une approche rétrospective qui garantit que le montant de la cotisation correspond exactement à la réalité de la production de la campagne achevée, conformément à l’objectif de maîtrise des volumes et de responsabilité financière des producteurs.

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