Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 25 septembre 1985. – Procureur de la République contre Bernard Girault. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance d’Avignon – France. – Réglementation nationale des prix de carburants. – Affaire 202/84.

Par un arrêt en date du 3 juillet 1985, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité d’une réglementation nationale de prix minimal pour les carburants avec le principe de libre circulation des marchandises.

En l’espèce, une personne faisait l’objet de poursuites pénales pour avoir vendu des carburants à un prix inférieur au prix minimal fixé par la réglementation nationale. Le prévenu a soulevé l’incompatibilité de cette réglementation avec le droit communautaire, arguant qu’elle constituait une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation, prohibée par l’article 30 du traité CEE. Saisi du litige, le tribunal de grande instance d’Avignon a alors décidé de surseoir à statuer. Il a posé à la Cour de justice deux questions préjudicielles visant à interpréter les articles 30 et 36 du traité CEE. Il s’agissait de déterminer si une législation nationale instaurant un prix de vente minimal pour les carburants, calculé sur la base des coûts de production nationaux, constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation prohibée par le traité. Il convenait également de savoir si une telle mesure pouvait être justifiée par des motifs d’ordre public, tels que la protection des petits revendeurs. La Cour répond par la négative à ces deux interrogations. Elle juge que l’article 30 du traité s’oppose à une telle réglementation et que celle-ci ne saurait être justifiée au titre de l’article 36.

La Cour confirme ainsi une conception rigoureuse des entraves à la libre circulation des marchandises (I), tout en écartant fermement les justifications d’ordre économique présentées par les autorités nationales (II).

***

I. La confirmation d’une conception rigoureuse des entraves à la libre circulation

La Cour de justice qualifie la réglementation litigieuse de mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative en raison de son mécanisme (A), lequel est fondé sur un critère discriminatoire qui empêche les produits importés de bénéficier de leur avantage concurrentiel (B).

A. L’assimilation de la fixation d’un prix minimal à une mesure d’effet équivalent

Toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire doit être considérée comme une mesure d’effet équivalent. Un régime de prix minimaux, bien que s’appliquant indistinctement aux produits nationaux et importés, est susceptible de neutraliser l’avantage de prix dont bénéficieraient les produits importés, les rendant moins attractifs pour les consommateurs. En l’occurrence, la Cour juge que « L’article 30 du traité s’oppose à une reglementation nationale prevoyant la fixation par les autorites nationales d’un prix minimal pour la vente au detail des carburants ». Par cette affirmation, elle assimile clairement le dispositif national à une entrave prohibée, car il prive les importateurs de la possibilité de répercuter un prix d’achat plus faible sur leurs prix de vente. Le système empêche ainsi les mécanismes de marché de jouer librement et restreint la pénétration des produits étrangers sur le marché national.

B. Le critère décisif de l’indexation sur les coûts de production nationaux

L’analyse de la Cour ne porte pas sur le principe même d’un prix minimal, mais sur la méthode de calcul retenue par la réglementation nationale. La mesure est jugée incompatible « lorsque le prix minimal est determine a partir des seuls prix de reprise des raffineries nationales et que ces prix de reprise sont lies au prix plafond calcule sur la base des seuls prix de revient des raffineries nationales ». C’est ce lien exclusif avec les coûts de production internes qui vicie le système. En effet, un tel mécanisme a pour effet de cristalliser l’avantage compétitif des producteurs nationaux et d’empêcher les importateurs de concurrencer efficacement ces derniers par les prix. Les produits importés, même s’ils sont acquis à un coût inférieur, ne peuvent être vendus en deçà d’un seuil calculé sur la base de la structure de coûts d’entreprises nationales. Cette méthode de fixation des prix constitue une protection de fait de la production nationale, ce qui est l’essence même d’une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 30 du traité.

***

II. Le rejet des justifications d’ordre économique

Après avoir qualifié la mesure d’entrave, la Cour examine si elle peut être sauvée au titre des dérogations prévues par le traité. Elle adopte une interprétation stricte de la notion d’ordre public (A), réaffirmant par là même la primauté de l’intégration du marché sur les considérations de politique économique nationale (B).

A. L’interprétation stricte de la dérogation tirée de l’ordre public

L’article 36 du traité permet de justifier certaines restrictions à la libre circulation par des raisons limitativement énumérées, dont l’ordre public et la sécurité publique. L’administration nationale soutenait que la réglementation visait à préserver « une saine concurrence sur le territoire national aux fins d’assurer la survie des petits revendeurs face aux groupes ». La Cour rejette cet argument de manière catégorique. Elle énonce qu' »une legislation imposant un prix minimal en matiere de carburants ne peut pas etre censee repondre a un objectif d’ordre public au sens de l’article 36 du traite ». La Cour considère que de tels objectifs, qui visent à protéger une catégorie d’opérateurs économiques ou à réguler la structure d’un marché, relèvent de considérations économiques. Or, la jurisprudence constante de la Cour exclut que des buts de nature économique puissent justifier une dérogation au titre de l’article 36. Cette disposition ne saurait être détournée de sa finalité pour mettre en œuvre des politiques protectionnistes.

B. La portée de la solution et le renforcement de l’autorité de la jurisprudence

La présente décision revêt une portée significative, non par sa nouveauté, mais par la méthode employée. La Cour ne développe pas un raisonnement entièrement nouveau mais se réfère explicitement à un arrêt antérieur rendu quelques mois plus tôt dans l’affaire *Cullet* (231/83). Elle constate que « la presente affaire ne faisant apparaitre aucun element nouveau, il y a lieu de renvoyer, pour les reponses a donner au tribunal de grande instance d’Avignon et pour les considerations qui ont conduit a ces reponses, au texte de l’arret precite ». Cette technique du renvoi à une jurisprudence établie manifeste la volonté de la Cour de consolider ses acquis et de traiter la question comme étant désormais tranchée. Elle renforce l’autorité du principe selon lequel les réglementations de prix fondées sur des critères nationaux constituent des entraves injustifiables. La solution s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle claire et rigoureuse, visant à démanteler les obstacles protectionnistes, fussent-ils indirects, afin de garantir l’effectivité du marché unique.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture