L’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté économique européenne, en raison de l’exercice de sa compétence normative dans le cadre de la politique agricole commune, est au cœur de l’arrêt rendu par la Cour de justice. En l’espèce, des producteurs-éleveurs de porcs ont engagé un recours en indemnité, estimant avoir subi un préjudice du fait du maintien de montants compensatoires monétaires jugés illégaux dans leur principe et leur mode de calcul. Les requérants soutenaient que ce mécanisme, en favorisant les producteurs d’États membres à montants compensatoires positifs, avait entraîné des distorsions de concurrence contraires aux articles 7 et 39 du traité CEE. Ils contestaient également la base de calcul de ces montants, fondée sur une fraction d’un prix de base qu’ils qualifiaient de fictif, en l’absence de mesures d’intervention sous forme d’achats publics depuis plusieurs années. La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer si la réglementation relative aux montants compensatoires monétaires dans le secteur porcin constituait une violation suffisamment caractérisée d’une règle supérieure de droit protégeant les particuliers, de nature à engager la responsabilité de la Communauté. Par son arrêt, la Cour de justice rejette le recours, considérant qu’aucune violation de cette nature n’est établie. Elle écarte d’abord l’argument tiré de la discrimination, puis juge que les requérants n’ont pas rapporté la preuve d’un déséquilibre des marchés imputable au mécanisme contesté. Surtout, la Cour valide le mode de calcul des montants compensatoires, jugeant que la viande de porc relevait bien des produits de base soumis à intervention et que le recours à une fraction du prix de base était une méthode légitime, indépendamment des modalités de calcul d’autres instruments comme les prélèvements à l’importation.
La solution retenue par la Cour témoigne d’une application rigoureuse des conditions de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté (I), tout en consacrant une large marge d’appréciation aux institutions dans la conduite de la politique agricole (II).
I. L’application rigoureuse des conditions de la responsabilité extracontractuelle
La Cour rappelle son exigence d’une « violation suffisamment caractérisée d’une règle supérieure de droit protégeant les particuliers » pour que la responsabilité de la Communauté du fait d’un acte normatif impliquant des choix de politique économique soit engagée. Elle applique ce critère avec fermeté, d’une part en rejetant l’existence d’une violation des objectifs de la politique agricole commune (A), et d’autre part en soulignant le défaut de preuve du lien de causalité (B).
A. Le rejet de la qualification de violation manifeste et grave
Les requérants invoquaient la méconnaissance des articles 7 et 39 du traité. La Cour écarte rapidement l’application de l’article 7, jugeant le principe de non-discrimination en raison de la nationalité non pertinent, dès lors que le régime des montants compensatoires monétaires s’applique à tous les opérateurs économiques sans distinction de nationalité. L’analyse se concentre ensuite sur la violation alléguée des objectifs de la politique agricole commune, notamment la stabilisation des marchés et la garantie d’un niveau de vie équitable. Les requérants arguaient que les montants compensatoires avaient créé un déséquilibre au profit des producteurs de pays à montants positifs. La Cour, cependant, ne retient pas cette argumentation comme constitutive d’une violation caractérisée. Elle se range derrière les explications fournies par la Commission, qui attribue les évolutions du marché à des facteurs exogènes tels que les cycles de production porcine, la réorientation des races ou l’utilisation d’aliments non soumis aux montants compensatoires. La Cour se satisfait de la plausibilité de ces éléments, confirmée par des données statistiques non contestées.
B. La confirmation du caractère dirimant du lien de causalité
Au-delà de l’appréciation de l’illégalité, la Cour met en exergue l’absence de démonstration d’un lien direct entre le régime des montants compensatoires et le préjudice allégué. Elle relève que « les principaux fournisseurs de la france en viande de porc sont les pays de L ‘ union economique belgo-luxembourgeoise et non pas les pays a mcm positifs ». Cette constatation factuelle suffit à rompre le lien de causalité que les requérants tentaient d’établir. En exigeant une preuve rigoureuse de la causalité, la Cour rappelle que la simple corrélation entre une réglementation et une situation économique défavorable ne suffit pas à engager la responsabilité de la Communauté. Il doit être démontré de manière concluante que le dommage découle directement du comportement reproché aux institutions. En l’absence de cette preuve, l’examen des autres conditions de la responsabilité, et notamment celle de la réalité du dommage, devient superflu. Cette approche pragmatique et exigeante sur le plan probatoire limite considérablement les possibilités de succès des recours en indemnité dirigés contre les actes normatifs de l’Union.
II. La validation du pouvoir d’appréciation des institutions en matière de politique économique
L’arrêt ne se contente pas de constater l’absence de violation caractérisée sur le plan des objectifs généraux ; il procède à une analyse détaillée pour légitimer les choix techniques opérés par le Conseil et la Commission. La Cour valide ainsi le mode de calcul des montants compensatoires (A) et affirme l’autonomie de ce mécanisme par rapport à d’autres instruments de la politique agricole (B).
A. La légitimation du recours à un prix d’intervention de référence
Le cœur de l’argumentation des requérants reposait sur le caractère prétendument fictif de la base de calcul des montants compensatoires. Ils soutenaient que, faute d’achats publics depuis 1971, la viande porcine aurait dû être traitée comme un produit dérivé des céréales. La Cour rejette cette thèse en affirmant que « la viande de porc est un produit pour lequel des mesures D ‘ intervention sont prevues ». Peu importe que ces mesures se soient limitées à des aides au stockage privé. Cette seule potentialité d’intervention suffit à classer le produit dans la catégorie des produits de base au sens du règlement n° 974/71. Par conséquent, le prix de base, qui conditionne le déclenchement de ces interventions, n’est pas une donnée artificielle mais « une donnee de premiere importance pour la gestion de L ‘ organisation commune des marches ». La Cour reconnaît ainsi aux institutions le droit de fonder leur calcul sur une fraction de ce prix de base, validant ainsi la légalité de la méthode suivie à l’époque des faits.
B. L’indifférence des méthodes de calcul alternatives et des évolutions réglementaires
Les requérants tiraient argument du fait que tant les prélèvements à l’importation que les montants compensatoires « adhésion » étaient calculés différemment, sur la base du coût des céréales. La Cour écarte cette comparaison en rappelant la finalité distincte de chaque instrument. Les montants compensatoires monétaires ont pour fonction spécifique de « parer aux difficultes que L ‘ instabilite monetaire (…) peuvent creer pour le bon fonctionnement des organisations communes des marches ». Les objectifs des autres mécanismes étant différents, leur mode de calcul ne saurait servir de référence pour juger de la légalité de celui des montants compensatoires monétaires. De même, la Cour souligne que la modification ultérieure de la réglementation, qui a finalement traité la viande de porc comme un produit dérivé, « ne saurai[t] en aucun cas etre utilisee pour remettre en discussion des decisions anterieures, qui avaient ete prises dans le respect des dispositions en vigueur a L ‘ epoque ». Cette affirmation consacre le principe de sécurité juridique et refuse de juger la légalité d’une norme passée à l’aune de choix politiques ultérieurs, confirmant le large pouvoir d’appréciation dont disposent les institutions pour adapter leurs instruments aux nécessités de la politique économique.