Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 26 septembre 1996. – Procédure pénale contre Luciano Arcaro. – Demande de décision préjudicielle: Pretura circondariale di Vicenza – Italie. – Rejets de cadmium – Interprétation des directives 76/464/CEE et 83/513/CEE du Conseil – Effet direct – Possibilité d’invoquer une directive à l’encontre d’un particulier. – Affaire C-168/95.

Par un arrêt rendu le 23 mai 1996, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie sur renvoi préjudiciel par la Pretura circondariale di Vicenza, s’est prononcée sur l’articulation entre le droit communautaire dérivé et le droit pénal interne des États membres. En l’espèce, une personne était poursuivie pénalement en Italie pour avoir effectué des rejets de cadmium dans les eaux superficielles sans l’autorisation requise par la législation nationale. Cette législation, un décret-loi de 1992, avait pour objet de transposer plusieurs directives communautaires relatives à la protection du milieu aquatique, notamment la directive 76/464/CEE.

Les faits révèlent que le prévenu, représentant légal d’une entreprise, n’avait pas sollicité d’autorisation de rejet. La procédure a mis en lumière une difficulté d’interprétation du droit italien de la transposition. Le décret national distinguait les établissements « nouveaux » des établissements « existants », n’imposant une obligation d’autorisation immédiate qu’aux premiers pour le type de rejets concernés, et renvoyant à des décrets d’application futurs pour les seconds. Le prévenu soutenait que son entreprise, étant un établissement existant, n’était pas encore soumise à cette obligation. Le juge italien a constaté que cette distinction semblait contraire aux directives communautaires, qui imposaient une autorisation pour tous les rejets de substances dangereuses sans égard pour l’ancienneté de l’établissement. Face à cette contradiction, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la possibilité d’écarter la norme nationale non conforme et d’appliquer directement la directive, même si cela devait aggraver la situation pénale du justiciable. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un juge national pouvait, sur le fondement d’une directive non transposée ou incorrectement transposée, écarter une loi nationale plus favorable et ainsi engager ou aggraver la responsabilité pénale d’un particulier.

À cette question, la Cour a répondu par la négative, tout en réaffirmant les obligations pesant sur les juridictions nationales. Elle a jugé qu’une directive ne peut, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle contre lui par l’autorité publique. La Cour a précisé que l’obligation pour le juge national d’interpréter son droit interne à la lumière d’une directive « trouve ses limites lorsqu’une telle interprétation conduit à opposer à un particulier une obligation prévue par une directive non transposée ou, à plus forte raison, lorsqu’elle conduit à déterminer ou à aggraver, sur la base de la directive et en l’absence d’une loi prise pour sa mise en œuvre, la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions ». Cette solution, si elle réitère des principes établis, en précise la portée en matière pénale et consacre la prééminence de la sécurité juridique.

La Cour clarifie ainsi le champ d’application de l’obligation d’autorisation prévue par le droit de l’Union tout en rappelant les limites de l’invocabilité des directives à l’encontre des particuliers (I). Elle consacre par là même la protection du justiciable contre l’application d’une norme pénale qui ne serait pas issue de la loi nationale, affirmant la primauté des principes fondamentaux du droit pénal sur l’obligation d’interprétation conforme (II).

I. La portée de l’obligation d’autorisation et les limites de l’effet direct des directives

La Cour commence par définir de manière extensive le champ de l’obligation d’autorisation issue du droit de l’Union (A), avant de rappeler avec fermeté le principe selon lequel une directive ne peut être invoquée par l’État à l’encontre d’un particulier, particulièrement pour fonder une responsabilité (B).

A. Une interprétation extensive de l’obligation d’autorisation environnementale

La Cour, en réponse à la première question, procède à une interprétation littérale et téléologique de la directive 76/464/CEE. Elle affirme que le texte « subordonne tout rejet de cadmium, indépendamment de la date d’entrée en fonction de l’établissement dont il provient, à la délivrance d’une autorisation préalable ». Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’appuie sur l’article 3 de la directive, qui dispose que « tout rejet effectué dans les eaux […] et susceptible de contenir une de ces substances est soumis à une autorisation préalable ». La généralité des termes employés, notamment l’adjectif « tout », ne laisse place à aucune exception fondée sur l’antériorité d’un établissement.

Cette analyse écarte l’interprétation qui tendrait à voir dans d’autres dispositions de la directive, telles que celles relatives aux « rejets actuels », une base légale pour un traitement différencié. La Cour considère que ces dispositions n’ont pour objet que d’aménager des délais de mise en conformité dans le cadre de l’autorisation, et non de créer une dérogation au principe même de l’autorisation préalable. En statuant ainsi, la Cour assure la pleine effectivité de la protection environnementale voulue par le législateur de l’Union, en prévenant les risques qu’une législation nationale lacunaire ferait peser sur le milieu aquatique. La distinction opérée par le droit italien est donc clairement identifiée comme une transposition incorrecte de la directive.

B. L’impossible effet direct vertical descendant d’une directive

Après avoir établi la non-conformité du droit italien, la Cour examine si la directive peut néanmoins être appliquée par le juge national au détriment du prévenu. Elle répond par une fin de non-recevoir catégorique, fondée sur une jurisprudence constante depuis l’arrêt *Marshall* de 1986. Elle rappelle qu’une directive « ne peut pas par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et qu’une disposition d’une directive ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne ». Ce principe vise à empêcher qu’un État membre, défaillant dans son obligation de transposition, puisse « tirer avantage de sa méconnaissance du droit communautaire ».

L’application de ce principe au cas d’espèce est directe. Les autorités italiennes, en l’occurrence le ministère public qui engage les poursuites, ne peuvent se prévaloir de l’obligation générale d’autorisation issue de la directive pour combler les lacunes de leur propre législation de transposition. Permettre une telle invocation reviendrait à reconnaître un effet direct vertical descendant aux directives, ce que la Cour a toujours refusé. Cette solution protège les particuliers contre l’arbitraire de l’État et garantit la sécurité juridique, en s’assurant que les obligations qui leur sont imposées découlent bien d’un acte de droit national régulièrement adopté et publié.

II. La primauté des principes de la légalité pénale sur l’interprétation conforme

La Cour ne s’arrête pas au refus de l’effet direct. Elle précise également la portée de l’obligation d’interprétation conforme, un autre instrument au service de l’effectivité du droit de l’Union (A). Ce faisant, elle érige les principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité en rempart absolu contre une interprétation du droit national qui serait défavorable au prévenu (B).

A. Les limites de l’obligation d’interprétation conforme en matière pénale

Le juge de renvoi s’interrogeait sur l’existence d’un mécanisme permettant d’assurer la primauté du droit de l’Union lorsque l’effet direct est écarté. La Cour rappelle l’obligation pour le juge national « d’interpréter [le droit national] dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci ». Cet office du juge, consacré par l’arrêt *Marleasing* de 1990, impose de rechercher une lecture de la norme interne qui soit compatible avec les objectifs communautaires.

Cependant, la Cour encadre cette obligation de manière stricte. Elle énonce que ce devoir d’interprétation « trouve ses limites lorsqu’une telle interprétation conduit à opposer à un particulier une obligation prévue par une directive non transposée ». Plus encore, la limite est infranchissable lorsqu’il s’agit de « déterminer ou d’aggraver, sur la base de la directive et en l’absence d’une loi prise pour sa mise en oeuvre, la responsabilité pénale de ceux who agissent en infraction à ses dispositions ». L’interprétation conforme ne peut donc servir de fondement à une interprétation *contra legem* du droit national, surtout lorsque les droits fondamentaux du justiciable sont en jeu.

B. La consécration d’une garantie pour le justiciable face aux défaillances de l’État

Cette décision a une portée fondamentale pour la protection des droits des particuliers dans l’ordre juridique de l’Union. Elle établit une hiérarchie claire entre les instruments visant à assurer l’effectivité du droit communautaire et les principes fondamentaux de droit pénal, au premier rang desquels figurent la légalité et la sécurité juridique. En matière pénale, une obligation ne peut naître que d’un texte national clair et préexistant. Un citoyen ne peut se voir reprocher la violation d’une norme qui n’existait pas formellement dans son ordre juridique interne au moment des faits, même si cette norme aurait dû exister en vertu du droit de l’Union.

En conséquence, la responsabilité de la transposition incorrecte ou tardive d’une directive incombe exclusivement à l’État membre. Les conséquences de cette défaillance ne sauraient être reportées sur le citoyen, qui doit pouvoir se fier à la loi nationale en vigueur pour déterminer la légalité de ses actions. La Cour protège ainsi la confiance légitime et la prévisibilité du droit, principes essentiels d’un État de droit. L’arrêt constitue une pierre angulaire de la jurisprudence, affirmant que l’objectif d’uniformité du droit de l’Union ne saurait être atteint au prix du sacrifice des garanties pénales fondamentales.

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