Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 27 novembre 1984. – Claudio Fioravanti contre Amministrazione delle finanze dello Stato. – Demande de décision préjudicielle: Corte d’appello di Brescia – Italie. – Transit communautaire. – Affaire 99/83.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel de la Corte d’appello de Brescia, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation des règles relatives au transit communautaire, notamment dans le cadre de l’accord liant la Communauté à la Confédération suisse. En l’espèce, des marchandises d’origine extracommunautaire avaient été introduites sur le territoire d’un État membre sous un régime d’importation temporaire. Elles furent ensuite expédiées vers un port franc en Suisse à un premier destinataire, puis réexpédiées par ce dernier vers un second destinataire dans un autre État membre, où elles furent mises à la consommation. Les documents douaniers établis en Suisse pour cette seconde phase du transport portaient le sigle T2, attestant d’un transit communautaire interne, ce qui permit d’éluder le paiement des prélèvements agricoles normalement dus pour des marchandises tierces.

Les autorités douanières de l’État membre de destination finale, ayant découvert l’irrégularité, ont cherché à recouvrer les droits non perçus auprès de l’agent en douane ayant procédé au dédouanement. Celui-ci a contesté la compétence de ces autorités en soutenant que l’infraction à l’origine du non-paiement avait été commise soit dans le premier État membre de départ, soit en Suisse. Le litige fut porté devant les juridictions italiennes, la cour d’appel saisie décidant de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. La question fondamentale posée était de déterminer quel État membre est compétent pour recouvrer les droits et impositions exigibles lorsqu’une infraction ou une irrégularité a été commise au cours d’une opération de transit communautaire. La juridiction de renvoi cherchait également à savoir si une telle opération de réexpédition via la Suisse constituait bien un transit communautaire et dans quelles conditions les autorités suisses pouvaient émettre un document de transit interne T2.

À ces questions, la Cour répond que le recouvrement des droits doit être poursuivi par l’État membre où l’infraction ou l’irrégularité a été commise. Elle affirme par ailleurs qu’une opération de transport de marchandises entre deux points de la Communauté, même interrompue par un entreposage et une réexpédition depuis la Suisse, relève bien du régime de transit communautaire. Enfin, elle encadre la prérogative des douanes suisses d’émettre des documents T2, la conditionnant à la nature des documents ayant couvert le transport initial. La solution de la Cour clarifie ainsi le champ d’application matériel du régime de transit (I) avant de désigner avec précision l’autorité étatique compétente pour sanctionner les manquements (II).

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I. La confirmation d’une conception extensive du transit communautaire à travers la Suisse

La Cour de justice adopte une interprétation large de la notion de transit communautaire, en y incluant les opérations complexes de réexpédition via le territoire helvétique (A). Elle assortit toutefois cette souplesse de conditions procédurales strictes quant à la délivrance des documents attestant du caractère interne du transit (B).

A. L’inclusion des opérations de réexpédition dans le champ de l’accord CEE-Suisse

La première question posée visait à déterminer si une marchandise expédiée d’un État membre vers la Suisse, puis réexpédiée par son destinataire suisse vers un autre État membre, circulait toujours sous le régime du transit communautaire. La Cour répond par l’affirmative, se fondant sur l’article 1er de l’accord entre la CEE et la Confédération suisse. Selon ce texte, la réglementation communautaire « s’applique aux marchandises circulant entre deux points de la communauté, à travers le territoire suisse, qu’elles soient expédiées directement, avec ou sans transbordement en suisse, ou réexpédiées de suisse, le cas échéant après entreposage douanier ». L’intervention d’un intermédiaire en Suisse et la rupture de charge n’interrompent donc pas la continuité de l’opération de transit communautaire.

Cette solution consacre une vision fonctionnelle du transit, privilégiant la réalité du flux économique entre deux points de la Communauté sur la linéarité du trajet physique. En validant de telles opérations triangulaires, la Cour garantit la fluidité des échanges et l’efficacité du régime de transit, outil essentiel du marché intérieur. La qualification unitaire de l’ensemble du transport, de son point de départ communautaire à son point d’arrivée final, est ainsi assurée, peu important l’étape intermédiaire en territoire tiers partie à l’accord. L’arrêt confirme que « le transit de marchandises expédiées de belgique a un destinataire determine dans le port franc de geneve la praille (suisse) et qui sont reexpediees par cette personne, par l’intermediaire de la douane dudit port franc, a un autre destinataire en italie doit etre considere comme transit communautaire ».

B. Les conditions strictes de délivrance des documents de transit interne par les autorités suisses

Si la Cour admet largement la notion de transit, elle en encadre rigoureusement les modalités pratiques. La deuxième question portait sur la légitimité de l’émission, par les douanes suisses, d’une nouvelle lettre de voiture avec le sigle T2 pour la phase de réexpédition. Ce sigle, réservé aux marchandises communautaires, avait été apposé au motif que les documents initiaux, supposément perdus, ne portaient pas le sigle T1 (transit externe). La Cour établit une règle claire : les autorités suisses ne peuvent émettre un nouveau document T2 que si le document initial présenté porte lui-même un sigle T2 ou, s’agissant du transport ferroviaire, ne porte pas le sigle T1.

En conséquence, la Cour juge que « lorsque les marchandises en provenance d’un etat membre sont accompagnees d’une lettre de voiture sur laquelle le sigle t2 est appose par le bureau de l’etat membre d’expedition, ou sur laquelle le sigle t1 n’est pas appose dans la case 25, le bureau de depart suisse est habilite, dans le cas d’une reexpedition a destination d’un etat membre, a delivrer une nouvelle lettre de voiture, portant dans la case 25 le sigle t2 ». A contrario, « en l’absence de l’exemplaire n 3 de la lettre de voiture, ou lorsque cet exemplaire porte le sigle t1, le bureau de depart suisse n’est pas habilite a delivrer une lettre de voiture portant le sigle t2 ». Cette solution subordonne la compétence des autorités suisses à la présentation d’un justificatif probant du statut communautaire des marchandises. Elle empêche ainsi qu’une simple absence de document ou une allégation non vérifiée ne permette de transformer indûment des marchandises tierces en marchandises communautaires.

Après avoir défini le cadre matériel et procédural de l’opération, la Cour se prononce sur la conséquence principale d’une irrégularité, à savoir la localisation de la compétence de recouvrement des droits éludés.

II. La localisation de la compétence de recouvrement des droits éludés

La Cour de justice, pour déterminer l’État compétent pour le recouvrement, écarte la solution consistant à retenir l’État de destination finale des marchandises (A). Elle consacre au contraire la compétence de l’État sur le territoire duquel l’infraction ou l’irrégularité a été matériellement commise (B).

A. Le rejet de la compétence de l’État de destination finale

Dans ses observations, la Commission avançait que la mise en circulation en Italie de marchandises non communautaires constituait l’événement générateur des droits et impositions, justifiant la compétence des autorités italiennes pour le recouvrement. Cet argument est explicitement écarté par la Cour. Elle estime que l’économie générale du régime de transit communautaire impose une règle spécifique pour les irrégularités. Le simple fait que les droits soient devenus exigibles dans l’État de destination finale en raison de la mise à la consommation ne suffit pas à y localiser la compétence de recouvrement lorsque cette exigibilité découle d’une infraction commise en amont.

En rejetant cette thèse, la Cour évite de faire peser la charge du recouvrement sur le dernier maillon de la chaîne, qui peut n’être que la victime d’irrégularités commises bien avant l’arrivée des marchandises sur son territoire. L’État de destination finale est souvent celui où l’infraction est constatée, mais pas nécessairement celui où elle a été commise. L’arrêt refuse ainsi de créer une présomption de compétence au profit de l’État qui découvre l’infraction, préférant une analyse localisant l’origine de la faute. Cette approche renforce la sécurité juridique pour les opérateurs de l’État de destination qui agissent de bonne foi sur la base de documents en apparence réguliers.

B. L’affirmation de la compétence de l’État où l’infraction a été commise

En réponse aux troisième et quatrième questions, la Cour interprète l’article 36 du règlement n° 542/69. Ce texte dispose que « quand il est constate qu’au cours ou a l’occasion d’une operation de transit communautaire une infraction ou une irregularite a ete commise dans un etat membre determine, le recouvrement des droits et autres impositions eventuellement exigibles est poursuivi par cet etat membre ». La Cour applique ce principe sans détour. Elle en déduit que si une irrégularité a entraîné la non-perception de droits, l’action en recouvrement doit être menée par l’État où cette irrégularité a pris naissance.

La solution est formulée en des termes généraux : « lorsqu’en raison d’une infraction ou d’une irregularite commise a l’occasion d’une operation de transit communautaire les droits et autres impositions exigibles ne sont pas percus, le recouvrement de ces droits et impositions est poursuivi par l’etat membre ou l’infraction ou l’irregularite a ete commise ». Dans le cas d’espèce, il appartiendra donc à la juridiction nationale d’identifier le lieu de l’infraction initiale : s’agissait-il du défaut de déclaration du statut extracommunautaire dans le premier État membre, ou de l’émission indue du document T2 en Suisse ? La réponse déterminera l’État compétent. Cet arrêt établit ainsi un critère de rattachement clair et objectif, responsabilisant chaque État membre et chaque partie à l’accord pour la surveillance des opérations de transit se déroulant sur son territoire.

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