Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 29 février 1984. – Estel NV contre Commission des Communautés européennes. – CECA – Dépassement des quotas de production pour l’acier – Amendes. – Affaire 270/82.

Par un arrêt rendu dans le cadre du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la Cour de justice a précisé les modalités de sanction applicables aux entreprises en cas de non-respect du régime des quotas de production d’acier. En l’espèce, une entreprise sidérurgique s’est vu infliger une amende par la Commission pour avoir dépassé, au cours du troisième trimestre de 1981, à la fois ses quotas de production pour certaines catégories de produits et la part de l’un de ces quotas qui pouvait être livrée sur le marché commun. L’entreprise a alors saisi la Cour d’une demande d’annulation ou, à titre subsidiaire, de réduction de cette amende. Elle soutenait notamment que des circonstances particulières justifiaient les dépassements, qu’elle subissait une double sanction illégale pour un même fait, et que la décision de la Commission était insuffisamment motivée. La question de droit soulevée par cette affaire était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si la sanction pécuniaire prévue par la réglementation revêtait un caractère automatique ou si la Commission disposait d’une marge d’appréciation pour en moduler le montant. D’autre part, la Cour était amenée à se prononcer sur le point de savoir si le dépassement simultané du quota de production global et de la part de ce quota destinée au marché commun constituait une seule ou deux infractions distinctes pouvant faire l’objet d’un cumul de sanctions. En réponse, la Cour a jugé que si la violation de ces deux plafonds constituait bien deux infractions distinctes justifiant deux amendes, la Commission avait non seulement la faculté, mais également l’obligation de tenir compte de circonstances exceptionnelles pour ajuster le montant de la sanction. Elle a ainsi partiellement donné raison à l’entreprise en réduisant l’amende, tout en confirmant le bien-fondé du principe d’une double sanction.

L’analyse de la Cour clarifie le pouvoir de modulation dont dispose la Commission dans l’application des sanctions, l’orientant vers une appréciation nuancée plutôt qu’automatique (I). Cette approche est cependant contrebalancée par une interprétation stricte de la pluralité d’infractions, qui renforce la portée coercitive du système des quotas (II).

I. La modulation de la sanction, correctif nécessaire à la rigueur du régime des quotas

La décision commentée apporte une précision fondamentale sur le mécanisme des amendes en rejetant l’idée d’un automatisme punitif et en consacrant le rôle des circonstances propres à chaque cas. La Cour écarte ainsi une application purement mécanique de la sanction (A) pour admettre que l’incertitude juridique, lorsqu’elle est imputable en partie à l’autorité réglementaire, constitue une circonstance exceptionnelle justifiant un allègement de la peine (B).

A. Le rejet du caractère automatique de l’amende

Face à l’argument de la Commission selon lequel l’amende prévue par la décision générale présentait un caractère strict et automatique, la Cour rappelle sa jurisprudence antérieure et affirme une position contraire. Elle juge que la fixation de l’amende ne saurait découler d’un simple calcul arithmétique basé sur le volume du dépassement. Au contraire, le texte confère à l’institution un pouvoir d’appréciation. La Cour énonce en des termes clairs que « la commission a la faculte et meme L ‘ obligation de graduer le montant des amendes en raison des circonstances de la violation et de la gravite de L ‘ infraction dans des cas exceptionnels ». Cette solution est essentielle car elle introduit un principe de proportionnalité dans un système par nature rigide, destiné à répondre à une situation de crise manifeste. En imposant à la Commission de ne pas ignorer les situations sortant de l’ordinaire, la Cour garantit que l’exercice de la puissance répressive communautaire demeure soumis à une exigence d’équité, protégeant les entreprises d’une rigueur qui pourrait s’avérer excessive.

B. L’incertitude juridique, circonstance exceptionnelle justifiant une réduction

La Cour met en application ce principe directeur en examinant l’un des dépassements reprochés à l’entreprise, lequel découlait d’une divergence d’interprétation sur une méthode de calcul nouvellement introduite. L’entreprise soutenait avoir agi de bonne foi, dans un contexte où la Commission n’avait pas encore clarifié les modalités d’adaptation des quotas. La Cour a retenu cet argument, relevant que le caractère nouveau de la disposition, son laconisme et le retard de la Commission à communiquer la méthode applicable avaient contribué à créer une insécurité juridique. Elle en conclut que la Commission, en omettant d’informer les entreprises en temps utile, partageait une part de la responsabilité dans l’infraction. Cette reconnaissance d’une responsabilité partagée constitue la circonstance exceptionnelle justifiant une réduction de l’amende. A contrario, la Cour rejette les autres justifications avancées par l’entreprise, telles que les contraintes liées à des accords privés ou les difficultés logistiques à l’exportation, considérant qu’elles relèvent du risque commercial normal que toute entreprise doit assumer. La portée de l’exception est donc précisément délimitée : elle ne vaut que lorsque l’ambiguïté de la norme est aggravée par une carence de l’autorité publique.

II. La consécration d’une double infraction en cas de dépassements simultanés

Si la Cour fait preuve d’une certaine souplesse quant au montant de la sanction, elle adopte une lecture beaucoup plus stricte s’agissant de la définition et du cumul des infractions. Elle établit une distinction nette entre les différentes obligations pesant sur les entreprises (A), ce qui la conduit logiquement à valider l’application d’une double sanction en cas de manquements concomitants (B).

A. La distinction des obligations de production et de livraison

L’entreprise requérante avançait que le dépassement de la partie du quota livrable sur le marché commun était absorbé par le dépassement, plus large, du quota de production global, et qu’un seul fait générateur ne pouvait entraîner deux sanctions. Pour rejeter cette thèse, la Cour se livre à une analyse finaliste de la réglementation. Elle explique que le système des quotas poursuit deux objectifs distincts et complémentaires. La limitation de la production totale vise à assainir le marché de l’acier dans sa globalité, en évitant la constitution de stocks excessifs qui ne trouveraient pas preneur, y compris à l’exportation. La limitation des livraisons sur le marché commun a, quant à elle, une fonction plus ciblée : maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande à l’intérieur de la Communauté. La Cour souligne ainsi que « les deux limitations ont pour objet de proteger deux interets distincts de la communaute ». En dissociant les finalités des deux règles, elle en déduit que les obligations qu’elles créent sont également autonomes.

B. L’admissibilité du cumul des amendes

La conséquence de cette dualité d’objectifs est que la violation de chaque limitation constitue une infraction à part entière. Une entreprise qui dépasse simultanément sa production autorisée et les livraisons permises sur le marché commun ne commet pas une seule faute, mais bien deux infractions distinctes. La Cour en conclut que la Commission est en droit de lui « infliger dans ces conditions deux amendes a calculer separement ». Cette solution renforce considérablement l’efficacité du dispositif de crise, en permettant à la Commission de sanctionner de manière cumulative les atteintes portées à chacun des intérêts protégés par le système. Par ailleurs, la Cour en profite pour rappeler une règle procédurale intangible : un requérant ne peut, à l’occasion d’un recours contre une décision lui infligeant une amende, contester par voie d’exception l’illégalité des décisions antérieures fixant ses quotas, lorsque celles-ci sont devenues définitives. Cette rigueur procédurale, combinée à la reconnaissance de la double infraction, confère à l’arsenal répressif de la Commission une force dissuasive maximale, indispensable à la gestion d’une crise sectorielle.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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