Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 3 octobre 2000. – Cinzia Gozza e.a. contre Università degli Studi di Padova e.a.. – Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Venezia – Italie. – Droit d’établissement – Libre prestation de services – Médecins – Spécialités médicales – Périodes de formation – Rémunération – Effet direct. – Affaire C-371/97.

Par un arrêt du 29 mai 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’étendue des droits conférés aux médecins en formation spécialisée par la directive 82/76/CEE, notamment en ce qui concerne leur droit à une rémunération appropriée. En l’espèce, plusieurs centaines de médecins, diplômés en médecine et chirurgie, suivaient une formation au sein de diverses écoles de spécialisation rattachées à une université italienne durant l’année académique 1990-1991. Ils n’ont perçu aucune rémunération pour leur activité, bien que la directive 82/76, modifiant les directives 75/362/CEE et 75/363/CEE, prévoyait une telle contrepartie pour les formations effectuées à plein temps ou à temps partiel. La République italienne n’avait transposé cette directive que par un décret-loi du 8 août 1991, dont l’application était limitée aux médecins inscrits à partir de l’année universitaire 1991-1992, excluant de fait les requérants. Saisi du litige, le Tribunale civile e penale di Venezia a sursis à statuer pour interroger la Cour de justice à titre préjudiciel. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si les dispositions de la directive relatives à la rémunération appropriée revêtaient un effet direct permettant aux particuliers de s’en prévaloir à l’encontre de l’État défaillant, et, dans l’affirmative, quels critères devaient être utilisés pour déterminer le montant de cette rémunération. La Cour a jugé que si l’obligation de rémunérer la formation est en soi inconditionnelle et précise, elle ne permet pas au juge national de déterminer l’identité du débiteur ou le montant exact de la rémunération, tout en rappelant l’obligation d’interprétation conforme du droit national et, à défaut, le principe de la responsabilité de l’État pour violation du droit communautaire.

La solution retenue par la Cour de justice conduit à examiner la nature du droit à rémunération conféré par la directive (I), avant d’analyser les mécanismes de sanction assurant son effectivité en cas de transposition défaillante par un État membre (II).

I. La nature ambivalente du droit à une rémunération appropriée

La Cour de justice reconnaît l’existence d’un droit substantiel à la rémunération pour les médecins en formation, mais elle en délimite strictement le champ d’application (A) et en module la portée juridique, ce qui affecte son invocabilité directe par les justiciables (B).

A. La consécration d’une obligation de rémunération conditionnée

L’arrêt précise que le bénéfice d’une rémunération appropriée n’est pas universel pour l’ensemble des médecins en cours de spécialisation. La Cour établit deux conditions cumulatives pour que naisse cette obligation à la charge de l’État membre. D’une part, le droit ne concerne que les formations relatives à des spécialités médicales spécifiques. Il s’agit uniquement de celles qui sont « communes à tous les États membres ou à deux ou plusieurs d’entre eux et mentionnées aux articles 5 ou 7 de la directive 75/362/CEE ». Cette précision, qui renvoie aux listes de spécialités faisant l’objet d’une reconnaissance mutuelle, a pour effet d’exclure les formations purement nationales qui ne s’inscrivent pas dans le système de coordination mis en place par le législateur communautaire. La finalité de la directive, qui est de faciliter la libre circulation des médecins, justifie cette limitation.

D’autre part, la Cour subordonne le droit à rémunération au respect des exigences qualitatives de la formation elle-même. Les médecins doivent se conformer « aux conditions de la formation à plein temps énoncées au point 1 de l’annexe de la directive 75/363 […] ou celles de la formation à temps partiel énoncées au point 2 de l’annexe ». Ces conditions impliquent notamment une participation effective à l’ensemble des activités du service, y compris les gardes, de sorte que le médecin consacre à sa formation toute son activité professionnelle. La rémunération est ainsi la contrepartie d’un engagement substantiel et non la simple conséquence de l’inscription à un cursus de spécialisation. Il appartient donc au juge national de vérifier que chaque requérant satisfait individuellement à ces critères matériels pour prétendre au bénéfice de la directive.

B. L’affirmation d’un droit à rémunération de portée limitée

Si l’existence du droit est clairement établie sous conditions, son invocabilité directe par les particuliers est plus nuancée. La Cour de justice procède à une analyse en deux temps pour apprécier l’effet direct de l’obligation de verser une « rémunération appropriée ». Elle considère que l’obligation est « inconditionnelle et suffisamment précise en tant qu’elle exige, pour qu’un médecin spécialiste puisse bénéficier du régime de reconnaissance mutuelle prévu par la directive 75/362, que sa formation soit effectuée à plein temps ou à temps partiel et rémunérée ». En cela, le principe même de la rémunération ne laisse aucune marge d’appréciation aux États membres et constitue un droit pour les particuliers.

Cependant, la Cour constate que la disposition manque de précision sur des éléments essentiels à son exécution. Elle juge que l’obligation « ne permet toutefois pas, par elle-même, au juge national de déterminer l’identité du débiteur tenu au paiement de la rémunération appropriée non plus que le montant de celle-ci ». L’adjectif « appropriée » est jugé trop imprécis pour qu’un juge puisse, sans disposition nationale complémentaire, fixer un montant de manière objective. Cette absence de précision sur le débiteur de l’obligation et sur son quantum fait obstacle à un effet direct complet, empêchant les requérants d’obtenir directement, sur le seul fondement de la directive, la condamnation de l’État au paiement d’une somme déterminée. La Cour se refuse ainsi à laisser le juge national se substituer au législateur pour définir les modalités concrètes de la rémunération.

Face à cette invocabilité imparfaite, la Cour de justice ne laisse pas les justiciables démunis et rappelle au juge national les outils dont il dispose pour assurer la primauté et l’effectivité du droit communautaire.

II. Les palliatifs à la défaillance de l’État membre

La Cour rappelle que l’absence d’effet direct complet de la directive n’exonère pas l’État de ses responsabilités. Elle enjoint ainsi la juridiction nationale à mobiliser les techniques de droit communautaire permettant de remédier à la transposition tardive ou incorrecte, en particulier l’interprétation conforme (A) et, en dernier ressort, l’engagement de la responsabilité de l’État (B).

A. L’office du juge national et l’obligation d’interprétation conforme

En première intention, la Cour de justice réaffirme le rôle central du juge national en tant que juge de droit commun du droit communautaire. Il lui incombe de garantir la pleine efficacité des directives. À cette fin, elle rappelle que « la juridiction nationale est […] tenue, lorsqu’elle applique des dispositions de droit national antérieures comme postérieures à une directive, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette directive ». Cette obligation d’interprétation conforme impose au juge italien de rechercher si une lecture des dispositions nationales existantes, y compris celles du décret-loi de transposition, ne permettrait pas d’atteindre le résultat voulu par la directive 82/76.

Le juge de renvoi est ainsi invité à examiner s’il peut, par exemple, étendre le bénéfice de la bourse d’études créée par le décret-loi n° 257 aux médecins inscrits avant l’année 1991-1992, malgré la lettre du texte qui semble l’exclure. Cette interprétation pourrait permettre de déterminer à la fois le débiteur de l’obligation et une référence pour le montant de la rémunération, comblant ainsi les lacunes de la directive. L’obligation d’interprétation conforme trouve cependant ses limites dans les principes généraux du droit, notamment la non-rétroactivité et la sécurité juridique, et ne peut conduire à une interprétation *contra legem* du droit national. C’est seulement en cas d’impossibilité avérée de parvenir à une telle interprétation que d’autres voies de droit doivent être explorées.

B. La réparation du préjudice né de la transposition tardive

En cas d’échec de l’interprétation conforme, la Cour rappelle qu’un État membre engage sa responsabilité pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire qui lui est imputable. Cette solution, consacrée par une jurisprudence constante, s’applique lorsque la règle violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation et le dommage. En l’espèce, le manquement de l’Italie, déjà constaté par un arrêt en manquement, est manifeste.

La Cour fournit ensuite des indications sur l’étendue de la réparation. Elle précise qu’une « application rétroactive, régulière et complète des mesures d’exécution de la directive suffirait », en principe, à assurer une réparation adéquate du préjudice. Cela signifie que le versement aux requérants des sommes qu’ils auraient dû percevoir en vertu du décret-loi de 1991, si celui-ci leur avait été appliqué, constituerait une réparation appropriée. Toutefois, la Cour ajoute une nuance importante, laissant la porte ouverte à une indemnisation complémentaire. Il reviendra aux bénéficiaires d’établir « l’existence de pertes complémentaires qu’ils auraient subies du fait qu’ils n’ont pu bénéficier en temps voulu des avantages pécuniaires garantis par la directive ». Cette ouverture permet de compenser, par exemple, un préjudice financier lié à l’indisponibilité des sommes dues, assurant ainsi une réparation véritablement intégrale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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