Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 5 octobre 1983. – Ministero delle Finanze contre Esercizio Magazzini Generali SpA et Mellina Agosta Srl. – Demandes de décision préjudicielle: Corte d’appello di Catania – Italie. – Paiement des droits de douane – Cas de dispense. – Affaires jointes 186 et 187/82.

Par une décision rendue en réponse à une question préjudicielle de la Corte d’appello di Catania, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié la portée des causes d’extinction de la dette douanière. En l’espèce, des marchandises entreposées dans un port italien sous surveillance douanière avaient fait l’objet d’un vol avec effraction. L’administration des douanes avait par conséquent réclamé le paiement des droits et taxes afférents à ces marchandises à la société gérant l’entrepôt ainsi qu’à la société propriétaire des biens. Saisi du litige, le tribunal de première instance avait d’abord annulé cette réclamation. L’administration fiscale ayant interjeté appel, la juridiction de renvoi s’est trouvée confrontée à une difficulté d’interprétation. Le droit national italien, tout en prévoyant une exemption en cas de perte par force majeure, avait fait l’objet d’une loi interprétative précisant que le vol ne constituait pas une telle perte. Les sociétés débitrices soutenaient néanmoins que les circonstances du vol devaient être qualifiées de force majeure au sens du droit communautaire, justifiant ainsi une exonération. Se posait alors la question de savoir si la soustraction de marchandises sous douane par des tiers, dans des conditions assimilables à la force majeure en droit commun, pouvait éteindre l’obligation de payer les droits de douane en vertu du droit communautaire. La Cour de justice répond par la négative, en affirmant que le vol ne saurait être assimilé à une « perte irrémédiable » au sens de la réglementation douanière, car il ne fait pas obstacle à l’introduction des marchandises dans le circuit économique de la Communauté.

La solution retenue par la Cour consacre une interprétation stricte et autonome des conditions d’extinction de la dette douanière (I), une approche dont la rigueur garantit l’uniformité du droit douanier mais soulève des questions d’équité (II).

I. L’affirmation d’une conception autonome et stricte de l’extinction de la dette douanière

La Cour de justice établit une distinction nette entre les concepts du droit national et ceux, spécifiques, du droit douanier communautaire. Elle écarte ainsi l’analyse fondée sur les circonstances du vol (A) pour lui préférer une interprétation finaliste, centrée sur la destination économique des marchandises (B).

A. Le rejet d’une qualification fondée sur les circonstances du délit

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité d’assimiler le vol à un cas de force majeure en raison des « circonstances indiquées », à savoir une effraction particulièrement élaborée. La Cour de justice écarte cependant ce débat factuel pour se concentrer sur la nature même de la « perte » visée par la directive 79/623. En jugeant que la notion de perte « N ‘ englobe pas la notion de vol , quelles que soient les circonstances dans lesquelles celui-ci a ete commis », elle établit que le concept de force majeure en matière douanière possède une signification propre, déconnectée des qualifications qui pourraient prévaloir en droit civil ou pénal national. L’élément intentionnel du vol ou le caractère irrésistible de l’événement deviennent donc inopérants. La solution repose sur une logique binaire : soit la marchandise est détruite ou irrémédiablement perdue, soit elle est présumée être entrée dans l’économie, peu important que cette entrée soit légale ou frauduleuse. Cette approche consacre l’autonomie du droit douanier et son imperméabilité aux notions juridiques générales des ordres nationaux, assurant une application uniforme sur tout le territoire de la Communauté.

B. La consécration d’une interprétation téléologique liée à la destination économique

Pour justifier sa position, la Cour s’appuie sur la finalité même des droits de douane. Elle rappelle que les causes d’extinction de la dette, telles que la destruction ou la perte irrémédiable, « doivent se fonder sur la constatation que la marchandise N ‘ a pas effectivement recu la destination economique justifiant L ‘ application des droits a L ‘ importation ». A contrario, dans l’hypothèse d’un vol, la Cour instaure une présomption simple : « on peut presumer que la marchandise passe dans le circuit commercial de la communaute ». Dès lors, le fait générateur de la taxe, qui est l’entrée potentielle des biens sur le marché communautaire, est considéré comme réalisé. La dette douanière survit non pas parce que le débiteur aurait commis une faute, mais parce que l’objectif fiscal de la réglementation demeure pertinent. Le vol, loin de détruire la marchandise, ne fait que modifier illicitement les modalités de sa mise à la consommation. En adoptant ce raisonnement téléologique, la Cour renforce la fonction des droits de douane comme instrument de politique commerciale et comme ressource propre de la Communauté, dont la perception ne saurait être compromise par des événements qui ne neutralisent pas l’impact économique de la marchandise.

II. Une solution rigoureuse garantissant l’intégrité de l’union douanière

Cette interprétation stricte emporte des conséquences significatives. Si elle assure la primauté des objectifs fiscaux de l’Union, elle le fait au détriment de la prise en compte de la situation du débiteur de bonne foi (A). En définitive, la portée de cette décision est considérable, car elle unifie le traitement des vols sur l’ensemble du territoire douanier et renforce la sécurité juridique (B).

A. La primauté des objectifs fiscaux sur la situation du débiteur diligent

Le dispositif de l’arrêt est sans équivoque lorsqu’il énonce que la dette n’est pas éteinte, « meme sans faute du debiteur ». Cette précision souligne la rigueur d’un système qui s’apparente à une responsabilité objective. L’opérateur économique, qu’il soit entrepositaire ou propriétaire des marchandises, se voit imposer une obligation de résultat quant à la surveillance des biens placés sous régime douanier. Même en ayant pris toutes les précautions raisonnables, et en étant lui-même victime d’une infraction pénale, il reste redevable des droits de douane. Une telle solution peut paraître sévère sur le plan de l’équité, car elle fait peser le risque de l’activité criminelle de tiers sur un opérateur qui n’a pas nécessairement failli à ses obligations de prudence et de diligence. La Cour privilégie ainsi manifestement la protection des ressources financières de la Communauté et l’intégrité de sa politique commerciale sur la situation individuelle d’un débiteur de bonne foi. Cette approche pragmatique vise à décourager toute négligence et à garantir la perception effective des droits, considérés comme essentiels au bon fonctionnement du marché commun.

B. La portée unificatrice de la décision pour le marché commun

Au-delà de sa sévérité, la décision revêt une importance fondamentale pour l’union douanière. En posant une règle claire et absolue, la Cour prévient les divergences d’interprétation entre les États membres. Si chaque administration nationale pouvait apprécier au cas par cas si les circonstances d’un vol constituaient ou non un cas de force majeure, des traitements fiscaux différents pourraient apparaître pour des situations identiques, créant des distorsions de concurrence et des brèches dans le tarif extérieur commun. L’arrêt a donc une portée de principe : il établit que la soustraction illicite d’une marchandise sous douane fait naître la dette douanière de manière irréfragable. Cette solution garantit que toute marchandise introduite sur le territoire douanier, et qui n’est ni réexportée ni détruite, sera soumise aux droits correspondants. Elle renforce ainsi la cohérence et l’étanchéité du système douanier, piliers essentiels du marché unique, en assurant une application prévisible et uniforme du droit sur l’ensemble de son territoire.

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