Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 6 décembre 2001. – Commission des Communautés européennes contre République hellénique. – Manquement d’Etat – Non-transposition des directives 97/41/CE, 98/51/CE et 98/67/CE. – Affaire C-166/00.

Par un arrêt du 20 septembre 2001, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa quatrième chambre, est venue se prononcer sur les conséquences du non-respect par un État membre des délais de transposition de plusieurs directives communautaires. En l’espèce, la Commission européenne avait constaté que la République hellénique n’avait pas pris, dans les délais impartis expirant le 31 décembre 1998, les dispositions nationales nécessaires pour transposer quatre directives relatives à la sécurité des denrées alimentaires et de l’alimentation animale.

Faisant application de la procédure prévue à l’article 226 du traité instituant la Communauté européenne, la Commission a d’abord mis en demeure l’État membre de présenter ses observations. En l’absence de réponse satisfaisante, elle a émis un avis motivé le 4 août 1999, accordant un délai de deux mois à la République hellénique pour se conformer à ses obligations. Face à l’inaction persistante de cet État, la Commission a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice le 8 mai 2000. Postérieurement à l’introduction du recours, l’État défendeur a notifié la transposition de l’une des directives, conduisant la Commission à se désister partiellement, et a informé la Cour que la procédure de transposition des autres textes était en voie d’achèvement.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si la mise en conformité d’un État membre avec ses obligations de transposition, intervenue après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, peut faire obstacle à la constatation d’un manquement.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative. Elle juge qu’un manquement doit être apprécié « en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte ». La Cour constate donc le manquement de la République hellénique pour les directives non transposées à cette date. Cette solution, fondée sur une application rigoureuse du droit communautaire, rappelle que la procédure en manquement est encadrée par un formalisme temporel strict (I), tout en soulignant que la constatation judiciaire du manquement conserve une portée juridique essentielle malgré une régularisation tardive (II).

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I. La cristallisation du manquement à l’expiration du délai de l’avis motivé

La décision rendue par la Cour de justice réaffirme avec force le rôle central de l’avis motivé dans la procédure en manquement, en figeant l’appréciation de la situation de l’État membre à une date précise (A). Par conséquent, toute tentative de régularisation postérieure à cette échéance est jugée inopérante pour échapper à la constatation du manquement (B).

A. Le caractère décisif du délai imparti par la Commission

La procédure en manquement prévue par le traité est structurée en deux phases distinctes : une phase précontentieuse, administrative, menée par la Commission, et une phase contentieuse, juridictionnelle, devant la Cour de justice. L’avis motivé constitue la dernière étape de la phase précontentieuse et revêt une importance fondamentale. Il offre à l’État membre une ultime opportunité de se conformer volontairement à ses obligations et, en cas d’échec, il délimite l’objet du litige qui sera porté devant la Cour.

Dans cet arrêt, la Cour rappelle une jurisprudence constante en affirmant que « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Ce principe de cristallisation garantit la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure. Il empêche les États membres de retarder indéfiniment la transposition du droit de l’Union, en ne se conformant à leurs obligations que sous la menace imminente d’une condamnation. En fixant un point de référence temporel intangible, la Cour assure que l’évaluation du comportement de l’État est objective et non soumise aux aléas des procédures législatives internes.

B. L’inefficacité des mises en conformité tardives

En l’espèce, la République hellénique ne contestait pas le retard initial, mais faisait valoir la transposition d’une directive et l’achèvement prochain de la procédure pour les autres, le tout après l’expiration du délai de deux mois fixé par l’avis motivé. Cet argumentaire est logiquement écarté par la Cour. La constatation d’un manquement revêt un caractère objectif : soit l’État s’est conformé à la date butoir, soit il ne l’a pas fait. Le manquement est donc constitué par le simple fait de n’avoir pas respecté l’échéance.

Les mesures prises ultérieurement par l’État défendeur, bien qu’elles mettent fin à l’infraction pour l’avenir, ne sauraient rétroactivement effacer le manquement initial. Le fait que la Commission se soit désistée de son recours pour l’une des directives transposées après l’introduction de l’instance relève de sa seule appréciation de l’opportunité des poursuites, mais n’affecte en rien le principe juridique. Le manquement a bel et bien existé entre l’expiration du délai de transposition initial et la régularisation effective, et c’est cette période d’illégalité que la Cour a pour mission de sanctionner par sa constatation.

Au-delà de cette stricte définition temporelle du manquement, la Cour rappelle l’ensemble des conséquences juridiques attachées à sa constatation.

II. La portée maintenue de la condamnation en dépit de la régularisation

Loin d’être purement symbolique, la constatation d’un manquement, même régularisé tardivement, conserve un intérêt juridique majeur. Elle est indispensable pour établir la base d’une éventuelle responsabilité de l’État (A) et remplit une fonction préventive essentielle au bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union (B).

A. La préservation de l’intérêt à agir en vue d’établir une responsabilité

La Cour de justice prend soin de préciser que, même si le manquement a pris fin, « la poursuite de l’action conserve un intérêt, en vue d’établir la base d’une responsabilité qu’un État membre peut être dans le cas d’encourir ». Cette affirmation est fondamentale, car elle connecte la procédure en manquement au principe de la responsabilité des États membres pour violation du droit de l’Union. Un tel arrêt en constatation de manquement constitue en effet une condition nécessaire pour que des particuliers, d’autres États membres ou l’Union elle-même puissent engager une action en réparation du préjudice causé par le retard de transposition.

En établissant de manière irréfutable l’existence d’une violation du droit communautaire, la décision de la Cour facilite la tâche des justiciables qui chercheraient à obtenir réparation devant les juridictions nationales. La constatation du manquement par la Cour lie le juge national sur ce point, qui n’aura plus qu’à examiner si les autres conditions de la responsabilité de l’État, telles que l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité, sont remplies. L’arrêt conserve donc une utilité pratique considérable.

B. La fonction préventive de l’arrêt en manquement

Au-delà de son rôle dans l’établissement d’une responsabilité, l’arrêt en manquement a une portée pédagogique et dissuasive. Il sert de rappel solennel à l’État condamné, ainsi qu’à tous les autres États membres, de leur obligation fondamentale de coopération loyale, qui leur impose d’assurer l’application pleine, entière et ponctuelle du droit de l’Union. Tolérer qu’une régularisation tardive efface le manquement initial reviendrait à priver les délais de transposition de leur caractère obligatoire et à porter atteinte à l’application uniforme du droit sur tout le territoire de l’Union.

En maintenant sa décision de condamnation, la Cour envoie un signal clair : le respect des échéances est impératif pour le bon fonctionnement du marché intérieur et la garantie des droits que les particuliers tirent des directives. La condamnation, même si elle n’emporte pas de sanction pécuniaire à ce stade, constitue une sanction politique et juridique qui expose l’État à une éventuelle seconde procédure en manquement sur manquement, assortie cette fois de sanctions financières. Elle vise ainsi à garantir l’effectivité du droit de l’Union et à prévenir de futurs retards.

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