Par un arrêt en date du 4 juin 2002, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur les conséquences de l’inexécution par un État membre de son obligation de transposer une directive dans les délais impartis. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes a engagé un recours en manquement contre le Grand-Duché de Luxembourg. Elle lui reprochait de ne pas avoir adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 97/66/CE du 15 décembre 1997, relative au traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications. Le délai de transposition de la quasi-totalité de la directive était fixé au 24 octobre 1998.
Conformément à la procédure prévue à l’article 226 du traité CE, la Commission a d’abord mis l’État membre en mesure de présenter ses observations. Elle a ensuite émis deux avis motivés successifs, les 23 juillet 1999 et 25 juillet 2001, invitant l’État à se conformer à ses obligations. Face à l’absence de réponse et de mise en conformité, la Commission a saisi la Cour de justice. Devant la Cour, le gouvernement mis en cause n’a pas contesté le retard, se bornant à indiquer que le processus de transposition était en cours et à avancer des raisons pour justifier ce délai. Le problème de droit soumis à l’appréciation de la Cour était donc de déterminer si un État membre peut invoquer des difficultés ou des pratiques de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des délais de transposition d’une directive. La Cour de justice a répondu par la négative, en constatant le manquement de l’État à ses obligations. Elle a ainsi rappelé les principes fondamentaux qui régissent les obligations des États membres en vertu du droit communautaire.
L’arrêt illustre ainsi la rigueur avec laquelle la Cour de justice contrôle le respect par les États membres de leurs obligations de transposition (I), réaffirmant par là même l’autonomie et la primauté de l’ordre juridique de l’Union (II).
I. La constatation objective du manquement à l’obligation de transposition
La Cour de justice constate le manquement de l’État membre en se fondant sur une approche purement objective du non-respect de ses obligations (A), ce qui souligne le caractère central de la procédure en manquement pour garantir l’effectivité du droit de l’Union (B).
A. Le caractère suffisant de l’inexécution dans les délais impartis
Le raisonnement de la Cour est d’une grande simplicité formelle. Elle se limite à constater que les dispositions nationales nécessaires à la transposition de la directive n’ont pas été adoptées dans les délais prescrits par l’article 15 de celle-ci. Le manquement est constitué par le seul fait matériel de l’expiration du délai sans que l’État membre ait pris les mesures requises pour atteindre le résultat imposé par la directive. Le gouvernement luxembourgeois ne conteste d’ailleurs pas cette absence de transposition.
La Cour n’examine pas la substance de la directive ni les raisons du retard invoquées par l’État défendeur. Le manquement est apprécié à une date précise, celle de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. La Cour rappelle ce principe de manière claire : « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne peuvent être pris en compte par la Cour ». Toute régularisation ultérieure par l’État membre est donc sans pertinence pour la constatation de l’infraction, même si elle peut avoir un impact sur les suites éventuelles de l’arrêt.
B. La procédure en manquement comme instrument de l’effectivité du droit de l’Union
Cet arrêt constitue une illustration classique du rôle de la Commission en tant que gardienne des traités. La procédure précontentieuse, marquée par l’envoi de lettres de mise en demeure et d’avis motivés, a pour but de permettre à l’État membre de régulariser sa situation et de faire valoir ses arguments. Ce dialogue préalable est une garantie pour l’État concerné.
Toutefois, en l’absence de mise en conformité, la saisine de la Cour de justice devient l’ultime recours pour assurer le respect du droit de l’Union. Le recours en manquement n’a pas pour objet principal de sanctionner un État, mais de le contraindre à respecter ses engagements et de garantir ainsi l’application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire de l’Union. La solution rendue, bien que prévisible, réaffirme que l’obligation de transposition est une obligation de résultat dont la bonne exécution est essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur et à la protection des droits que les directives accordent aux particuliers. L’inexécution par un État porte atteinte à cette uniformité et à cette effectivité.
II. Le rejet constant des justifications internes comme affirmation de la primauté
Au-delà de la constatation du manquement, l’intérêt de la décision réside dans le rappel ferme de l’inopposabilité des arguments tirés de l’ordre juridique national (A), ce qui confirme la portée fondamentale de l’obligation de transposition pour tous les États membres (B).
A. L’inopposabilité des contraintes de l’ordre juridique national
Face au manquement, l’État défendeur a tenté d’expliquer son retard en invoquant des raisons internes. La Cour balaie cet argument avec une grande fermeté, en s’appuyant sur une jurisprudence constante et fondamentale. Elle énonce de manière péremptoire qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et délais prescrits par une directive ».
Cette formule consacre un principe cardinal de l’ordre juridique de l’Union, corollaire des principes de primauté et d’autonomie. Admettre de telles justifications reviendrait à permettre à un État membre de se prévaloir de ses propres turpitudes pour se soustraire à ses obligations européennes. Cela viderait de leur substance les traités et le droit dérivé, dont l’application ne pourrait plus être ni uniforme ni effective. La structure constitutionnelle de l’État, les difficultés politiques, les lenteurs administratives ou parlementaires sont des circonstances que chaque État doit maîtriser pour garantir le respect de ses engagements internationaux et européens.
B. La portée d’une jurisprudence réaffirmée : une obligation de résultat intangible
En rappelant ces principes, la Cour ne fait pas œuvre d’innovation. Il s’agit d’un arrêt de « jurisprudence constante », dont la valeur est avant tout pédagogique. Il sert de rappel à l’ordre non seulement pour l’État mis en cause, mais pour l’ensemble des États membres. La décision souligne que l’obligation de transposer une directive est une obligation de résultat dont l’échéance doit être scrupuleusement respectée.
La portée de cet arrêt réside donc dans sa contribution à la solidité de l’ordre juridique de l’Union. Il confirme que les États membres sont tenus par une obligation de diligence et d’efficacité dans la mise en œuvre du droit européen. Le simple fait d’avoir « entamé » le processus de transposition est insuffisant. Seul le résultat compte : l’adoption effective, dans les délais, de mesures nationales contraignantes et conformes aux objectifs de la directive. Cette rigueur jurisprudentielle est la condition sine qua non de la crédibilité et de l’autorité du droit de l’Union européenne.