Par un arrêt en date du 27 janvier 1988, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’étendue du pouvoir réglementaire des institutions en matière de sécurité sociale des fonctionnaires.
En l’espèce, un fonctionnaire bénéficiait de la prise en charge des frais médicaux de sa mère, celle-ci étant assimilée à un enfant à charge en vertu de l’article 2, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut des fonctionnaires. L’institution compétente a mis fin à cette prise en charge après avoir été informée que l’ascendante de l’agent était couverte par le régime national de santé de son pays de résidence. Le fonctionnaire a contesté cette décision, arguant que la réglementation sur laquelle elle se fondait ajoutait une condition non prévue par le statut.
La procédure a débuté par une réclamation administrative de l’agent, qui fut rejetée. Le fonctionnaire a alors saisi la Cour de justice d’un recours en annulation de la décision de refus de prise en charge. La requérante soutenait que l’article 3, paragraphe 3, de la réglementation relative à la couverture des risques de maladie, en exigeant l’absence de couverture par un autre régime public pour les personnes assimilées aux enfants à charge, était illégal. Selon elle, cette disposition excédait l’habilitation donnée par l’article 72 du statut, qui définit les bénéficiaires de l’assurance maladie, et ne pouvait être modifiée par un texte de rang inférieur. L’institution défenderesse rétorquait que le statut lui-même déléguait aux institutions le pouvoir de réglementer la matière, ce qui incluait la possibilité d’ajouter des conditions objectivement justifiées.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si une réglementation d’application, établie sur le fondement de l’article 72 du statut, pouvait légalement subordonner le bénéfice de la couverture maladie pour une personne assimilée à un enfant à charge à la condition que celle-ci ne soit pas déjà couverte par un autre régime public, alors même que cette condition restrictive n’était pas explicitement prévue pour cette catégorie de personnes par le statut lui-même.
La Cour a rejeté le recours, considérant que la réglementation n’avait pas outrepassé le cadre fixé par le statut. Elle juge que l’article 72 du statut, « en prévoyant que le fonctionnaire, son conjoint, ses enfants et les autres personnes à sa charge sont couverts contre les risques de maladie (…) sur la base d’une réglementation commune aux institutions », laisse aux auteurs de cette dernière « le soin de préciser le champ d’application de cette couverture, dans le respect des dispositions du statut et des objectifs que celui-ci poursuit ».
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation finaliste des textes, validant une limitation réglementaire au nom de la cohérence générale du système de sécurité sociale (I). Cette approche conduit à consacrer une distinction de traitement entre les bénéficiaires, fondée sur une différence de situation jugée objective (II).
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I. La légalité de la restriction réglementaire fondée sur la finalité du statut
La Cour de justice valide la condition litigieuse en s’appuyant sur une interprétation large de l’habilitation réglementaire (A) et en la justifiant par la recherche d’une cohérence avec l’objectif général du statut visant à éviter les cumuls de prestations (B).
A. L’interprétation de l’étendue de l’habilitation réglementaire
Le litige portait essentiellement sur la hiérarchie des normes et l’étendue d’une délégation de pouvoir. La requérante défendait une conception stricte, selon laquelle la réglementation ne pouvait que préciser des points de détail sans ajouter de conditions de fond à celles déjà énumérées par le statut. La Cour écarte cette analyse en adoptant une lecture extensive de l’habilitation conférée par l’article 72 du statut.
En effet, la Cour estime que la formule « sur la base d’une réglementation » ne cantonne pas les institutions à un rôle d’exécution purement technique. Elle leur confère la mission de « préciser le champ d’application de cette couverture », ce qui inclut la possibilité de définir plus finement les contours des droits ouverts par le statut. Cette interprétation reconnaît aux institutions un pouvoir réglementaire d’application conséquent, leur permettant d’adapter et de compléter les principes posés par le législateur statutaire, à condition de ne pas en contredire la lettre ou l’esprit. Par cette approche, la Cour reconnaît que le statut, en tant que texte-cadre, ne peut prévoir toutes les situations et nécessite des mesures d’application pour assurer son bon fonctionnement.
B. La prévention du double remboursement comme objectif statutaire
Pour s’assurer que le pouvoir réglementaire a été exercé dans le respect des objectifs du statut, la Cour procède à une analyse téléologique. Elle recherche l’intention des auteurs du statut en examinant d’autres dispositions pertinentes. Elle relève ainsi que le statut lui-même pose explicitement, dans plusieurs cas, une condition de non-couverture par un autre régime.
La Cour cite notamment le cas du conjoint, du fonctionnaire retraité ou de l’ex-conjoint divorcé. Pour ces catégories, le bénéfice du régime commun est expressément subordonné à l’impossibilité d’être couvert par un autre régime public. De ces dispositions, la Cour déduit une volonté générale des auteurs du statut « d’éviter, dans la mesure du possible, des doubles couvertures contre les risques de maladie ». La réglementation contestée, en appliquant cette même logique aux personnes assimilées aux enfants à charge, ne fait donc que suivre un principe déjà consacré. Elle agit « dans le même esprit » et ne saurait, dès lors, être considérée comme allant « au-delà des limites que le conseil a posées dans l’article 72 du statut ». La restriction n’est pas une création ex nihilo mais l’application d’un critère statutaire à une hypothèse non expressément réglée.
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II. La justification de la distinction de traitement entre catégories de bénéficiaires
Après avoir validé le principe de la restriction, la Cour examine son application spécifique à la catégorie des personnes assimilées aux enfants à charge. Elle justifie la différence de traitement par rapport aux enfants à charge (A) et écarte par là même l’idée d’une solution alternative qui aurait consisté en une couverture complémentaire (B).
A. La reconnaissance d’une différence de situation objective
La requérante soutenait, à titre subsidiaire, que la condition imposée créait une discrimination injustifiée entre les enfants à charge et les personnes qui leur sont assimilées. Pour ces dernières, la couverture est exclue en cas d’affiliation à un autre régime, tandis qu’elle semble acquise sans condition pour les enfants. La Cour rejette cet argument en se fondant sur une différence de situation objective entre les deux catégories.
Selon la Cour, « les personnes assimilées aux enfants à charge constituent une catégorie distincte ». Elle précise qu’il s’agit « habituellement de personnes d’un certain âge, dont on peut logiquement s’attendre qu’elles aient déjà exercé une activité professionnelle et qu’elles soient, par conséquent, couvertes par un régime d’assurance contre les risques de maladie ». À l’inverse, une telle éventualité ne peut être normalement attendue pour les enfants. Le traitement différencié repose donc non pas sur une distinction arbitraire, mais sur une présomption raisonnable liée à la situation concrète et typique des membres de chaque groupe. La condition restrictive apparaît alors comme une mesure de bonne administration, adaptée à la réalité sociologique des personnes concernées.
B. Le rejet implicite d’une couverture à titre complémentaire et la portée de la décision
En validant une exclusion totale plutôt qu’une simple couverture complémentaire, la Cour opte pour une solution de clarté et de simplicité administrative. La requérante suggérait qu’il aurait été suffisant de prévoir que le régime commun n’intervienne qu’en complément des prestations servies par le régime national. La Cour n’accueille pas cet argument, confirmant la légalité d’une règle qui délimite clairement les champs d’application respectifs des régimes en présence.
La portée de cet arrêt est significative. Il confirme le caractère subsidiaire du régime de sécurité sociale des Communautés européennes face aux régimes nationaux publics. Ce régime a vocation à intervenir principalement là où une couverture fait défaut, et non à se cumuler avec des dispositifs existants. De plus, cette décision consolide le pouvoir réglementaire d’application des institutions, leur permettant de mettre en œuvre les principes du statut de manière cohérente et pragmatique. Bien qu’étant une décision d’espèce, son raisonnement, basé sur l’interprétation finaliste et la recherche de la cohérence du système, constitue une grille de lecture applicable à d’autres contentieux relatifs à l’articulation entre le statut et ses mesures d’exécution.