Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 10 janvier 2002. – Gerry Plant et autres contre Commission des Communautés européennes. – Pourvoi – Recours en annulation au titre de l’article 33 du traité CECA – Recevabilité – Principe du contradictoire dans la procédure juridictionnelle. – Affaire C-480/99 P.

Par un arrêt en date du 22 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a annulé une ordonnance du Tribunal de première instance qui avait déclaré irrecevable le recours de plusieurs entreprises. Ces dernières contestaient une décision d’une institution communautaire refusant de donner suite à une plainte pour pratiques anticoncurrentielles. À l’origine, une association d’exploitants miniers avait déposé une plainte au nom de ses membres, dénonçant des pratiques de prix discriminatoires. Plusieurs années plus tard, l’institution saisie a rejeté cette plainte par une décision notifiée uniquement à l’association.

Plusieurs anciens membres de cette association, qui avaient entre-temps informé l’institution qu’ils n’étaient plus représentés par elle, ont formé un recours en annulation contre cette décision de rejet. Ils soutenaient avoir pris connaissance de ladite décision à une date ultérieure à sa notification à l’association. Le Tribunal de première instance a rejeté leur recours comme tardif, jugeant invraisemblable la date de prise de connaissance alléguée. Pour ce faire, il s’est appuyé sur des déclarations et des éléments provenant de la procédure parallèle engagée par l’association, sans que les requérants individuels en aient eu communication. Saisie d’un pourvoi par ces derniers, la Cour de justice devait se prononcer sur la régularité de la procédure suivie par le Tribunal. Elle devait également déterminer si le recours des entreprises était recevable, en examinant leur intérêt à agir et le point de départ du délai de recours.

La Cour de justice a annulé l’ordonnance du Tribunal, considérant que celui-ci avait violé le principe du contradictoire en se fondant sur des pièces non communiquées aux requérants. Statuant ensuite elle-même sur la recevabilité, elle a jugé le recours recevable. Elle a estimé que les requérants étaient bien concernés par la décision, qu’ils conservaient la qualité pour agir même après avoir cessé leur activité, et que le délai de recours avait commencé à courir à la date de leur prise de connaissance effective de la décision, rendant ainsi leur action recevable.

La solution retenue par la Cour de justice sanctionne une irrégularité procédurale fondamentale affectant les droits de la défense (I), avant de procéder à une analyse constructive des conditions de recevabilité du recours en annulation (II).

I. La sanction d’une atteinte manifeste aux droits de la défense

La Cour de justice censure avec fermeté le raisonnement du Tribunal de première instance en rappelant l’obligation de respecter le caractère contradictoire de la procédure (A), ce qui la conduit logiquement à annuler la décision pour irrégularité procédurale (B).

A. La prohibition du recours à des pièces non contradictoirement débattues

Le Tribunal de première instance avait rejeté le recours en se fondant sur l’invraisemblance des allégations des requérants quant à la date de leur prise de connaissance de l’acte attaqué. Pour forger sa conviction, il a utilisé des éléments factuels, notamment des déclarations sous serment, qui figuraient dans le dossier d’une autre affaire, certes connexe mais distincte. Ces pièces n’avaient jamais été communiquées aux requérants, qui n’ont donc pas eu l’opportunité d’en contester la pertinence ou la véracité. La Cour de justice relève cette défaillance procédurale et réaffirme un principe fondamental de la justice.

En effet, la Cour rappelle qu’il est contraire au droit de « fonder une décision judiciaire sur des faits ou documents dont les parties, ou l’une d’entre elles, n’ont pu prendre connaissance et sur lesquels elles n’ont donc pas été en mesure de prendre position ». Cette affirmation souligne le caractère essentiel du débat contradictoire, qui garantit que toute décision est rendue sur la base d’éléments connus et discutés par toutes les parties au litige. En s’appuyant sur des informations secrètes pour l’une des parties afin d’évaluer la crédibilité de ses affirmations, le Tribunal a privé celle-ci de la possibilité de se défendre efficacement.

B. L’annulation de l’ordonnance pour vice de procédure

La constatation de cette irrégularité emporte une conséquence radicale : l’annulation de l’ordonnance attaquée. La Cour de justice qualifie cette faute de procédure d’« irrégularité de procédure portant atteinte aux intérêts de la partie requérante », ce qui constitue un motif de pourvoi recevable et fondé. La solution est une application rigoureuse des garanties procédurales qui doivent prévaloir dans tout État de droit. Elle démontre que le respect des droits de la défense n’est pas une simple formalité mais une condition substantielle de la validité d’un jugement.

L’annulation de la décision du Tribunal de première instance ne se limite pas à une simple censure formelle. Elle prive de tout effet juridique le raisonnement du premier juge sur la tardiveté du recours. Cette annulation ouvre la voie à un nouvel examen de la recevabilité. Plutôt que de renvoyer l’affaire sur ce point, la Cour de justice use de sa compétence pour statuer elle-même, le litige étant en état d’être jugé sur cette question précise.

Après avoir réglé la question de la procédure, la Cour examine les conditions de fond de la recevabilité du recours, adoptant une approche particulièrement pragmatique et protectrice des droits des justiciables.

II. L’appréciation constructive de la recevabilité du recours

La Cour de justice ne se contente pas d’annuler, elle statue au fond sur la recevabilité en adoptant une interprétation large de la qualité pour agir des requérants (A) et en fixant le point de départ du délai de recours de manière à préserver leurs droits (B).

A. Une conception extensive de la qualité et de l’intérêt à agir

La Cour examine d’abord si les requérants, en tant qu’anciens membres d’une association, sont « concernés » par la décision de rejet adressée à cette dernière. Elle répond par l’affirmative, relevant que la plainte avait été déposée en leur nom et dénonçait des pratiques les affectant directement. La Cour écarte ainsi une approche formaliste et se concentre sur l’impact concret de la décision. De plus, elle confirme que l’exigence d’être « individuellement concerné », plus stricte et issue du traité CE, n’est pas applicable dans le cadre du traité CECA, qui se contente d’une simple affectation.

Ensuite, la Cour se prononce sur la question de la qualité d’« entreprise » des requérants, que ces derniers avaient perdue au moment de l’introduction du recours. L’institution défenderesse soutenait que cette qualité devait s’apprécier à la date du recours. La Cour rejette cet argument en jugeant qu’il suffit que les requérants aient eu cette qualité au moment des faits dommageables. Admettre le contraire reviendrait à priver de tout recours les victimes de pratiques anticoncurrentielles qui auraient été contraintes de cesser leur activité précisément à cause de ces pratiques, ce qui constituerait un déni de justice.

B. La détermination pragmatique du point de départ du délai de recours

Enfin, la Cour aborde la question cruciale de la tardiveté du recours. En principe, la notification du rejet d’une plainte à une association vaut notification à l’ensemble de ses membres. Cependant, la Cour introduit ici une exception notable en raison des circonstances de l’espèce. Les requérants avaient en effet informé l’institution qu’ils ne se sentaient plus représentés par l’association et avaient désigné leur propre mandataire. Dans un tel contexte, la notification faite à la seule association ne leur était pas opposable.

Dès lors que la décision n’avait été ni notifiée aux requérants, ni publiée, la Cour décide que le délai de recours doit courir à compter de la date où ils ont eu une « connaissance exacte du contenu et des motifs de l’acte ». Faisant preuve de pragmatisme, elle considère comme crédible la date avancée par les requérants, faute de preuve contraire apportée par l’institution. Cette solution équilibrée évite de faire peser sur les justiciables la charge d’une absence de notification qui n’est pas de leur fait, tout en maintenant le principe de sécurité juridique. Le recours est ainsi jugé recevable, et l’affaire renvoyée au Tribunal pour être jugée au fond.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture