Par un arrêt rendu dans des affaires jointes, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des règles communautaires d’harmonisation en matière de droit des sociétés. En l’espèce, une législation nationale avait institué un organisme public chargé de contribuer au développement économique et social du pays. Cet organisme pouvait notamment prendre l’administration d’entreprises en difficulté et décider, par un acte administratif, d’augmenter leur capital social. En application de cette loi, l’organisme a pris le contrôle d’une société anonyme et a procédé à deux augmentations de capital successives, devenant ainsi l’actionnaire majoritaire. Des actionnaires historiques de cette société ont contesté la validité de ces opérations, arguant qu’elles étaient contraires aux dispositions de la deuxième directive sur le droit des sociétés. Leurs recours ayant été rejetés en première instance, ils ont interjeté appel. La juridiction d’appel, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait essentiellement de déterminer si l’article 25 de la deuxième directive, qui réserve en principe à l’assemblée générale des actionnaires la compétence pour décider une augmentation de capital, pouvait être invoqué par des particuliers à l’encontre d’une réglementation nationale dérogatoire. La juridiction de renvoi demandait également si une telle réglementation, justifiée par la nécessité de sauver des entreprises d’importance économique et sociale, était compatible avec la directive. Enfin, elle interrogeait la Cour sur la portée d’une décision de la Commission relative aux aides d’État qui avait examiné la législation nationale en cause. La Cour de justice a répondu que les dispositions de la directive étaient suffisamment précises pour être invoquées directement par les justiciables. Elle a jugé qu’elles faisaient obstacle à la réglementation nationale permettant une augmentation de capital par voie administrative, et qu’une décision de la Commission en matière d’aides d’État ne pouvait autoriser une dérogation aux règles du droit des sociétés. La solution de la Cour renforce ainsi la protection accordée aux actionnaires par le droit communautaire (I), tout en affirmant une stricte séparation entre le contrôle des aides d’État et les règles d’harmonisation du droit des sociétés (II).
I. La consolidation de la protection des actionnaires face aux interventions étatiques
La Cour de justice, en réponse aux questions posées, réaffirme le caractère fondamental des garanties offertes aux actionnaires par la deuxième directive. Elle confirme d’une part l’invocabilité directe de la disposition régissant les augmentations de capital (A) et consacre d’autre part la compétence exclusive de l’assemblée générale en la matière (B).
A. L’affirmation de l’effet direct de l’article 25 de la directive
La première question portait sur la capacité d’un particulier à se prévaloir de l’article 25 de la directive à l’encontre de la législation nationale. La Cour y répond par l’affirmative, en s’appuyant sur sa jurisprudence constante relative à l’effet direct des directives. Elle juge que la disposition en cause, qui attribue la compétence pour l’augmentation de capital à l’assemblée générale, est inconditionnelle et suffisamment précise. Par conséquent, « l’article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive […] est susceptible d’être invoqué devant les juridictions nationales par un particulier à l’encontre des autorités publiques ». Cette solution est essentielle car elle confère aux actionnaires un moyen de droit concret pour faire sanctionner par leur juge national toute mesure étatique qui violerait les prérogatives que le droit communautaire leur reconnaît. En l’absence d’une telle invocabilité, les règles d’harmonisation pourraient rester lettre morte chaque fois qu’un État membre maintiendrait ou adopterait des dispositions contraires. La Cour assure ainsi l’effectivité de la protection voulue par le législateur communautaire au-delà de la seule transposition formelle.
B. La sanctuarisation de la compétence de l’assemblée générale
Au-delà de l’invocabilité de la norme, la Cour se prononce sur le fond de sa compatibilité avec la loi nationale. La législation en cause permettait à une autorité administrative de décider d’une augmentation de capital, contournant ainsi l’organe social normalement compétent. La Cour juge une telle dérogation incompatible avec le droit communautaire. Elle interprète les dispositions de la directive en ce sens qu’elles « font obstacle à une réglementation nationale qui […] prévoit qu’il peut être décidé par acte administratif d’augmenter leur capital social ». Le fait que la loi nationale maintienne le droit préférentiel de souscription des anciens actionnaires est jugé insuffisant pour assurer la conformité à la directive. La décision de procéder à l’augmentation est en effet l’acte premier qui peut diluer leur participation, et cette décision doit émaner de la collectivité des actionnaires. La Cour opère ainsi une lecture stricte des garanties prévues, considérant que la compétence de l’assemblée générale est une protection fondamentale qui ne saurait être écartée par des considérations économiques nationales.
II. Le cloisonnement des régimes juridiques communautaires
L’État membre et l’organisme public soutenaient que la loi nationale constituait un régime spécial justifié par des objectifs économiques et sociaux, et qu’une décision de la Commission l’avait implicitement validée. La Cour rejette cette argumentation en dissociant clairement la nature de la législation nationale du champ de la directive (A) et l’autonomie du droit des sociétés par rapport au contrôle des aides d’État (B).
A. Le rejet de l’exception fondée sur l’objectif économique et social
Les défendeurs au principal faisaient valoir que la loi nationale ne relevait pas du droit commun des sociétés mais d’un droit spécial de l’interventionnisme économique, comparable au droit de la faillite, visant à assurer la survie d’entreprises stratégiques. La Cour écarte cet argument en se fondant sur le champ d’application de la directive. Celle-ci a pour objet de coordonner les garanties exigées des sociétés anonymes pour la protection des associés et des tiers, notamment en ce qui concerne les modifications de capital. La situation financière difficile d’une entreprise ne suffit pas à la soustraire à ces règles communes. En jugeant que la réglementation nationale, bien que poursuivant un but spécifique, reste soumise aux exigences de la directive, la Cour prévient la création de brèches dans le système d’harmonisation. Elle refuse qu’un État membre puisse s’affranchir des règles communes au nom d’impératifs économiques nationaux, sauf dérogation expressément prévue par le droit communautaire lui-même.
B. L’indépendance du droit des sociétés vis-à-vis du régime des aides d’État
La dernière question préjudicielle visait à déterminer si une décision de la Commission, prise sur le fondement de l’article 93 du traité CEE, avait pu autoriser l’État membre à maintenir temporairement sa législation non conforme à la directive. La Cour répond par une négation catégorique. Elle rappelle que le pouvoir d’appréciation de la Commission en matière d’aides d’État lui permet d’autoriser des dérogations à l’interdiction des aides, mais non à d’autres dispositions du droit communautaire. Ainsi, « la décision […] n’a pas autorisé la République hellénique à maintenir en vigueur […] les dispositions de la loi […] contraires à la deuxième directive ». Cette clarification est d’une portée considérable. Elle signifie qu’une autorisation délivrée par la Commission au titre du contrôle des aides ne constitue pas un blanc-seing et ne saurait purger une mesure de ses éventuelles autres illégalités au regard du droit communautaire. Chaque corps de règles, qu’il s’agisse du droit de la concurrence ou du droit des sociétés, conserve son champ d’application et sa force contraignante propres.