Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 12 novembre 1998. – Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne. – Manquement d’Etat – Directives 64/433/CEE, 91/497/CEE et 89/662/CEE – Obligation de marquage spécial et de traitement thermique de la viande de verrat. – Affaire C-102/96.

Par un arrêt en manquement du 22 mai 1998, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la compatibilité de mesures nationales restrictives avec le droit communautaire dans un secteur ayant fait l’objet d’une harmonisation. En l’espèce, un État membre avait adopté une réglementation imposant des conditions spécifiques pour l’importation de viandes de porcs mâles non castrés. Cette réglementation fixait un seuil de concentration d’androstérone au-delà duquel la viande était jugée impropre à la consommation, et ne reconnaissait qu’une seule méthode de test pour détecter cette substance, excluant de fait les viandes contrôlées et déclarées saines dans leur État membre d’origine selon d’autres méthodes. La Commission, considérant cette pratique comme une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises, a intenté un recours en manquement contre l’État membre concerné. Ce dernier justifiait ses mesures par des impératifs de protection de la santé publique et des consommateurs. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si, dans un domaine harmonisé par des directives communautaires, un État membre peut unilatéralement imposer des exigences sanitaires et des méthodes de contrôle plus strictes que celles prévues par les textes européens, au nom de la protection de la santé et des consommateurs. La Cour répond par la négative, affirmant que l’existence d’une harmonisation communautaire exclut la possibilité pour les États membres d’invoquer des justifications nationales pour entraver la libre circulation des marchandises, et que les différends doivent être réglés dans le cadre procédural prévu par les directives.

I. L’affirmation de la primauté de l’harmonisation communautaire sur les justifications nationales

La Cour de justice rappelle avec force que la mise en place d’une législation communautaire harmonisée a pour effet de priver les États membres de la possibilité de recourir à des dérogations unilatérales, même fondées sur des objectifs légitimes. Cette solution repose sur la reconnaissance du caractère complet du cadre normatif établi par les directives en cause.

A. L’inapplicabilité des dérogations à la libre circulation en matière harmonisée

La Cour commence son raisonnement par un principe fondamental du marché intérieur. Si l’article 36 du traité (devenu article 36 TFUE) autorise des restrictions à la libre circulation des marchandises pour des motifs de protection de la santé, cette faculté disparaît lorsque le législateur communautaire est intervenu. La Cour énonce clairement que « l’application de cette disposition doit être exclue lorsque des directives communautaires prévoient l’harmonisation des mesures nécessaires à la réalisation de l’objectif spécifique que poursuivrait le recours à l’article 36 ». Cette jurisprudence constante signifie que l’équilibre entre la libre circulation et la protection de la santé a déjà été réalisé au niveau communautaire. Les directives d’harmonisation sont présumées prendre en compte de manière adéquate les exigences de santé publique, et les États membres ne sauraient substituer leur propre appréciation à celle du législateur de l’Union. Le même raisonnement s’applique aux exigences impératives de protection des consommateurs, également invoquées par l’État défendeur. En présence d’une harmonisation, les contrôles et les mesures de protection doivent impérativement s’inscrire « dans le cadre tracé par les directives d’harmonisation », ce qui impose aux États membres une obligation de confiance mutuelle quant aux contrôles effectués sur leurs territoires respectifs.

B. La reconnaissance du caractère exhaustif de l’harmonisation sanitaire

Pour que le principe de préemption s’applique, encore faut-il que l’harmonisation soit effective et complète dans le domaine concerné. L’État membre défendeur contestait précisément ce point. La Cour rejette cet argument en procédant à une interprétation téléologique des directives 64/433 et 89/662. Elle relève que ces textes ont pour objectif d’éliminer les disparités entre législations nationales afin de supprimer les obstacles aux échanges. Le système mis en place déplace les contrôles sanitaires vers l’État membre expéditeur, instaurant ainsi un régime fondé sur l’équivalence des garanties et la confiance mutuelle. Concernant spécifiquement la détection de l’odeur sexuelle, la Cour reconnaît que la méthode de référence communautaire n’a pas encore été définie. Cependant, elle souligne que la directive 64/433 prévoit une solution transitoire : « en l’absence d’une telle méthode, la méthode reconnue par l’autorité compétente concernée doit être appliquée ». De plus, la directive 89/662 établit une procédure spécifique pour régler les divergences d’appréciation entre États membres. Il ressort de ces dispositions combinées que les mesures de détection de l’odeur de verrat « ont fait l’objet d’une harmonisation communautaire », fermant ainsi la porte à toute réglementation nationale autonome.

II. La sanction du contournement des règles et procédures communautaires

Ayant établi l’existence d’un cadre harmonisé, la Cour examine ensuite la pratique de l’État membre au regard de ses obligations. Elle conclut que cet État a manqué à ses devoirs non seulement en imposant des conditions de fond contraires aux directives, mais également en ignorant les procédures établies pour la gestion des différends.

A. Le manquement à l’obligation de reconnaissance mutuelle des contrôles

La réglementation nationale en cause violait directement les dispositions harmonisées sur deux points. D’une part, elle imposait un marquage et un traitement thermique pour des carcasses d’un poids inférieur à 80 kg, alors que la directive 64/433 ne le prévoit que pour les carcasses d’un poids supérieur à cette limite. D’autre part, et de manière plus fondamentale, l’État membre refusait de reconnaître la validité des contrôles effectués dans l’État d’expédition selon une méthode qu’il jugeait inappropriée. En érigeant sa propre méthode de test en norme unique et obligatoire, cet État a vidé de sa substance le principe de reconnaissance mutuelle. La Cour constate que cette pratique revient à nier la salubrité de viandes légalement contrôlées ailleurs, alors que la directive prévoyait justement que l’établissement d’origine pouvait garantir la détection par une méthode reconnue par sa propre autorité compétente. En se substituant à l’autorité de l’État d’origine pour définir les méthodes acceptables, l’État importateur a donc enfreint ses obligations.

B. L’ignorance de la procédure communautaire de règlement des différends

L’arrêt souligne que le système communautaire n’est pas dépourvu de solutions en cas de doute légitime sur la conformité d’un produit. Si, lors de contrôles par sondage, les autorités d’un État de destination estiment qu’une marchandise ne répond pas aux conditions sanitaires, elles ne peuvent la rejeter unilatéralement. La directive 89/662 leur impose d’engager une procédure spécifique : « l’autorité compétente d’un État membre de destination entre sans délai en contact avec les autorités compétentes de l’État membre d’expédition ». Cette procédure, prévue à l’article 8 de la directive, est le seul mécanisme légal pour résoudre les différends relatifs à l’évaluation de la salubrité des produits. En s’abstenant de l’utiliser et en instaurant sa propre politique de contrôle et de rejet systématique, l’État membre a agi en dehors du cadre légal. La Cour précise que l’article 8 « ne laisse aucun choix aux États membres quant à la mise en oeuvre de la procédure qu’il prévoit ». Le manquement est donc caractérisé, non seulement pour avoir appliqué des règles matérielles non conformes, mais aussi pour avoir délibérément ignoré la voie procédurale que le droit communautaire lui imposait de suivre.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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