Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de compatibilité des réglementations sportives avec le principe de libre circulation des travailleurs. En l’espèce, un joueur de basket-ball de nationalité finlandaise avait été engagé par un club belge après la date limite de transfert fixée par la fédération sportive nationale. Le club, ayant aligné le joueur lors d’un match de championnat, s’est vu infliger une sanction de forfait. Saisi en référé par le joueur et son club qui contestaient cette sanction, le Tribunal de première instance de Bruxelles a sursis à statuer. Il a interrogé la Cour de justice sur la conformité de telles règles, interdisant d’aligner un joueur recruté après une certaine date, avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes. La question posée était de déterminer si une réglementation édictée par une association sportive, fixant une date limite pour l’engagement de joueurs professionnels, constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 48 du traité CE, et si une telle entrave peut être justifiée par la nécessité d’assurer la régularité des compétitions. La Cour de justice juge que l’article 48 du traité « s’oppose à l’application de règles édictées dans un État membre par des associations sportives qui interdisent à un club de basket-ball, lors des matchs du championnat national, d’aligner des joueurs en provenance d’autres États membres qui ont été transférés après une date déterminée lorsque cette date est antérieure à celle qui s’applique aux transferts de joueurs en provenance de certains pays tiers, à moins que des raisons objectives […] ne justifient une telle différence de traitement ».
La solution de la Cour repose sur l’application des libertés fondamentales du traité aux réglementations sportives (I), tout en admettant une possible justification de l’entrave à condition qu’elle soit proportionnée (II).
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**I. L’application des principes de libre circulation aux réglementations sportives**
La Cour de justice réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle l’activité sportive relève du droit communautaire lorsqu’elle constitue une activité économique (A), ce qui la conduit à identifier dans les règles de transfert une restriction à la libre circulation des travailleurs (B).
**A. La qualification du sportif professionnel en tant que travailleur**
L’exercice des sports relève du droit communautaire dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l’article 2 du traité. La Cour rappelle que cette qualification est acquise dès lors qu’un sportif effectue une prestation de travail salarié ou une prestation de services rémunérés. L’activité doit être réelle et effective, et non purement marginale. En l’espèce, le joueur de basket-ball avait conclu un contrat de travail prévoyant une rémunération mensuelle fixe ainsi que des primes de match. Il accomplit donc, en faveur d’un club et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles il perçoit une rémunération.
Cette situation caractérise la relation de travail et confère au joueur la qualité de travailleur au sens de l’article 48 du traité. La Cour précise que la notion de travailleur a une portée communautaire et ne peut être interprétée de manière restrictive, car elle définit le champ d’application d’une liberté fondamentale. Par conséquent, les règles édictées par des associations et organismes privés, comme les fédérations sportives, visant à régler de façon collective le travail salarié, sont soumises au respect des dispositions du traité. L’abolition des barrières étatiques serait en effet compromise si des obstacles de nature privée pouvaient y faire échec.
**B. L’identification d’une restriction à la libre circulation**
Une fois la qualité de travailleur établie, la Cour examine si la réglementation en cause constitue une entrave à la libre circulation. Les règles de la fédération belge interdisaient à un club d’aligner, lors des matchs du championnat, un joueur provenant d’un autre État membre si celui-ci avait été engagé après une date déterminée. Bien que ces règles ne visent pas directement l’emploi du joueur, mais seulement sa participation aux compétitions, la Cour considère qu’elles restreignent ses possibilités d’emploi.
En effet, la participation aux rencontres constitue l’objet essentiel de l’activité d’un joueur professionnel. Une règle qui limite cette participation affecte donc directement l’exercice de sa profession et, par conséquent, sa liberté de circulation. La réglementation litigieuse est ainsi susceptible d’empêcher ou de dissuader les joueurs d’autres États membres de s’engager auprès de clubs belges après la date butoir. Elle constitue dès lors une entrave à la libre circulation des travailleurs, prohibée en principe par l’article 48 du traité.
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**II. Le contrôle de la justification et de la proportionnalité de la restriction**
Après avoir constaté l’existence d’une entrave, la Cour examine si celle-ci peut être objectivement justifiée (A). Elle exerce ensuite un contrôle de proportionnalité qui la conduit à sanctionner l’application discriminatoire de la mesure (B).
**A. L’admission d’un objectif légitime lié à la régularité des compétitions**
La Cour de justice reconnaît que des objectifs non économiques, intéressant uniquement le sport en tant que tel, peuvent justifier des restrictions à la libre circulation. En l’occurrence, la fixation de délais pour les transferts de joueurs peut répondre à l’objectif légitime d’assurer la régularité des compétitions sportives. Des transferts tardifs seraient susceptibles de modifier de manière significative la valeur sportive des équipes en cours de championnat. Une telle situation pourrait remettre en cause la comparabilité des résultats et, par conséquent, le bon déroulement de la compétition dans son ensemble.
Cet objectif est particulièrement pertinent dans le cadre d’un championnat se déroulant en plusieurs phases, avec des matchs décisifs en fin de saison. La Cour admet donc que le souci de préserver l’équilibre et l’incertitude des compétitions constitue une raison impérieuse d’intérêt général. La mise en place de « fenêtres de transfert » n’est donc pas, en soi, contraire au droit communautaire. Elle peut être considérée comme inhérente à l’organisation de telles compétitions.
**B. La sanction du caractère disproportionné et discriminatoire de la mesure**
Cependant, la Cour rappelle que les mesures prises pour atteindre un objectif légitime ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Le principe de proportionnalité exige que la mesure soit à la fois apte et nécessaire, sans qu’il existe de moyens moins restrictifs. Or, dans l’affaire au principal, la réglementation prévoyait une date limite de transfert différente selon la provenance du joueur. La date butoir pour les joueurs issus de la zone européenne était fixée au 28 février, tandis que les joueurs provenant d’une fédération extérieure à cette zone pouvaient être transférés jusqu’au 31 mars.
Cette différence de traitement constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, puisque la majorité des joueurs de la zone européenne sont des ressortissants des États membres. Une telle réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir la régularité du championnat, car il n’apparaît pas qu’un transfert entre le 28 février et le 31 mars présente plus de risques pour la compétition s’il provient de la zone européenne plutôt que d’une autre zone. Il appartient dès lors à la juridiction nationale de vérifier si des raisons objectives, tenant à des différences de situation entre les joueurs, peuvent justifier une telle différence de traitement, ce qui semble peu probable en l’espèce.