Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 13 novembre 1990. – Carmina di Leo contre Land Berlin. – Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Darmstadt – Allemagne. – Non-discrimination – Enfant d’un travailleur communautaire – Aide à la formation. – Affaire C-308/89.

Par un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée du droit à l’égalité de traitement en matière d’aide à la formation pour les enfants de travailleurs migrants. En l’espèce, la fille d’un ressortissant italien employé en Allemagne depuis de nombreuses années s’était vu refuser le bénéfice d’une aide à la formation par les autorités allemandes. Résidant et ayant accompli sa scolarité en Allemagne, elle avait été contrainte de s’inscrire en faculté de médecine en Italie en raison des restrictions d’accès aux universités allemandes. La législation allemande applicable excluait cependant du bénéfice de l’aide pour des études à l’étranger les ressortissants d’un État membre lorsque la formation était dispensée dans leur État de nationalité. Saisi du litige, le Verwaltungsgericht Darmstadt a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si l’article 12 du règlement n° 1612/68, qui garantit l’accès des enfants de travailleurs migrants à l’enseignement dans les mêmes conditions que les nationaux de l’État d’accueil, s’appliquait également lorsque la formation était suivie dans l’État de nationalité de l’enfant. La Cour de justice y répond par une interprétation extensive, en jugeant que « les enfants visés par cette disposition doivent être assimilés aux nationaux en matière d’aide à la formation, non seulement lorsque la formation a lieu dans l’État d’accueil, mais également lorsque celle-ci est dispensée dans un État dont ils sont ressortissants ». Cette solution, qui étend le champ d’application du principe d’égalité de traitement (I), renforce la cohérence du droit à la libre circulation des travailleurs en prévenant toute forme de discrimination résiduelle (II).

I. L’extension du principe d’égalité de traitement en matière d’aides à la formation

La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture finaliste de l’article 12 du règlement n° 1612/68, confirmant que les aides financières aux études constituent un avantage social indissociable du droit d’accès à l’enseignement (A), tout en rejetant une interprétation territoriale restrictive de ce droit (B).

A. La consécration des aides aux études comme avantage social

La Cour rappelle sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le droit d’être admis aux cours d’enseignement dans les mêmes conditions que les nationaux ne se limite pas aux seules règles d’admission. Elle réaffirme que l’article 12 vise également « les mesures générales tendant à faciliter la fréquentation de l’enseignement ». Pour la Cour, le statut d’enfant de travailleur communautaire implique la reconnaissance d’un besoin de bénéficier des aides étatiques, celles-ci étant un instrument essentiel à son intégration sociale dans le pays d’accueil. En liant le bénéfice des bourses d’études à la réussite de l’intégration, la Cour considère que ces aides ne sont pas un simple accessoire, mais une condition même de l’exercice effectif du droit à l’enseignement. Dès lors, refuser cet avantage reviendrait à vider de sa substance le principe d’égalité de traitement posé par le règlement. Cette interprétation large confirme que les avantages sociaux garantis par le droit communautaire doivent être compris comme incluant toutes les aides qui, bien que non directement liées au contrat de travail, facilitent la mobilité et l’intégration du travailleur et de sa famille.

B. Le rejet d’une limitation territoriale du droit à l’aide

Face à l’argument des gouvernements allemand et néerlandais, qui soutenaient que le droit à l’égalité de traitement était subordonné à une formation suivie sur le territoire de l’État d’accueil, la Cour apporte une clarification décisive. Elle analyse la condition de résidence posée par l’article 12 et juge qu’elle ne concerne que la situation de l’enfant, non le lieu de la formation. Ainsi, « la condition de résidence […] a pour but de réserver l’égalité de traitement quant aux avantages visés par cet article aux seuls enfants des travailleurs communautaires qui résident dans le pays d’accueil de leurs parents ». Elle n’implique nullement que le droit lui-même soit géographiquement circonscrit. La Cour estime que l’objectif d’intégration de la famille, qui sous-tend le règlement, serait compromis si l’enfant du travailleur migrant ne pouvait choisir ses études dans les mêmes conditions qu’un national, y compris lorsque ce choix le conduit à étudier à l’étranger. La possibilité de poursuivre une formation hors de l’État d’accueil est donc perçue comme une composante de la liberté de choix, dont l’exercice ne saurait faire obstacle au principe d’égalité.

II. La consolidation du droit à la non-discrimination pour la famille du travailleur

Au-delà de l’interprétation de l’article 12, cet arrêt renforce la logique d’ensemble de la libre circulation des personnes en établissant un parallèle entre les droits de l’enfant et ceux du travailleur lui-même (A), et en neutralisant une forme de discrimination indirecte qui aurait pénalisé les travailleurs migrants (B).

A. L’alignement des droits de l’enfant sur ceux du travailleur

La Cour de justice appuie son raisonnement sur une analogie avec l’article 7, paragraphe 2, du même règlement, qui garantit au travailleur migrant les mêmes avantages sociaux que les travailleurs nationaux. Elle se réfère à sa jurisprudence antérieure, qui a déjà établi qu’un État membre offrant à ses nationaux la possibilité de suivre une formation à l’étranger doit étendre cette faculté aux travailleurs communautaires établis sur son territoire. Appliquant ce même principe aux enfants de ces travailleurs, la Cour juge que l’article 12 édicte une règle générale imposant la même égalité de traitement. Par conséquent, si un État membre accorde à ses propres ressortissants une aide pour des études à l’étranger, l’enfant d’un travailleur communautaire doit pouvoir en bénéficier dans les mêmes conditions. Cette approche systémique assure une cohérence entre les droits du travailleur et ceux de sa famille, considérant que les droits accordés aux enfants sont le corollaire nécessaire à l’exercice effectif de la libre circulation par leurs parents.

B. La neutralisation d’une discrimination à rebours

En dernière analyse, la Cour souligne que limiter le bénéfice de l’aide au seul motif que la formation se déroule dans l’État de nationalité de l’étudiant créerait une nouvelle forme de discrimination. En effet, une telle restriction aboutirait à une situation paradoxale : l’enfant d’un ressortissant allemand aurait pu obtenir l’aide pour des études en Italie, tandis que l’enfant d’un travailleur italien résidant en Allemagne se la voyait refuser pour ce même projet. La Cour censure cette conséquence en affirmant que l’interprétation de l’article 12 ne saurait varier selon le lieu de formation, car une telle distinction « aboutirait à une autre forme de discrimination à l’encontre des enfants des travailleurs communautaires par rapport aux ressortissants de l’État membre d’accueil ». En refusant de valider une telle différence de traitement, la Cour garantit que le droit à la libre circulation ne soit pas entravé par des désavantages indirects pesant sur la famille du travailleur. Elle assure ainsi que l’intégration, finalité du règlement, soit poursuivie dans des conditions optimales, sans créer d’inégalités fondées sur la nationalité.

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