Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 14 décembre 2000. – République fédérale d’Allemagne contre Commission des Communautés européennes. – FEOGA – Apurement des comptes – Exercice 1993 – Promotion des produits laitiers. – Affaire C-245/97.

Par un arrêt du 16 décembre 1999, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur les limites du pouvoir de contrôle de la Commission en matière d’apurement des comptes du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole. En l’espèce, des actions de promotion pour le lait et les produits laitiers avaient été menées dans un État membre, cofinancées par le budget communautaire. Dans le cadre de la procédure d’apurement des comptes de l’exercice 1993, les services de la Commission ont estimé que les rapports intérimaires fournis par l’organisme national compétent étaient insuffisants. Ils ne contenaient notamment pas d’évaluation chiffrée des objectifs poursuivis ni d’analyse de l’impact des campagnes sur les consommateurs.

En conséquence, la Commission a adopté une décision appliquant une correction financière forfaitaire de 2 % sur les dépenses déclarées par l’État membre concerné pour ces actions. L’État membre a alors introduit un recours en annulation partielle de cette décision devant la Cour de justice. Il soutenait que les rapports fournis étaient conformes aux exigences détaillées des règlements communautaires spécifiques applicables et des contrats types qui en découlaient. La Commission, pour sa part, justifiait la correction par la violation des principes généraux de bonne gestion financière et de rapport coût/efficacité, ainsi que par le manquement de l’État membre à son obligation générale de contrôle.

Le litige posait ainsi la question de savoir si la Commission pouvait, sur le fondement de principes généraux, imposer des exigences de contrôle plus strictes que celles expressément prévues par la réglementation sectorielle pertinente. La Cour de justice a répondu par la négative et a annulé la décision de la Commission sur ce point. Elle a considéré que lorsque la législation spécifique met en place un système de contrôle adéquat, des obligations supplémentaires non écrites ne peuvent être déduites de règles plus générales, en vertu du principe de sécurité juridique.

La solution retenue par la Cour conduit à clarifier l’articulation entre les obligations de contrôle générales et spécifiques pesant sur les États membres dans la gestion des fonds agricoles. Elle réaffirme l’existence d’une obligation de surveillance à la charge des autorités nationales, tout en la cantonnant aux exigences prévues par la législation sectorielle (I). Ce faisant, elle consacre le principe de sécurité juridique comme un rempart contre une interprétation extensive des pouvoirs de la Commission (II).

I. La surveillance des dépenses agricoles : une obligation de contrôle encadrée par la législation spécifique

La Cour reconnaît l’obligation générale de contrôle qui incombe aux États membres pour garantir la bonne utilisation des fonds communautaires (A), mais elle juge que, dans le cas présent, le système de surveillance prévu par la réglementation sectorielle était suffisant et donc exclusif de toute autre exigence (B).

A. La reconnaissance d’une obligation générale de contrôle à la charge des États membres

Dans son raisonnement, la Cour ne remet pas en cause le principe fondamental selon lequel les États membres sont tenus de garantir la régularité des opérations financées par le FEOGA. Elle rappelle sa jurisprudence constante en la matière, fondée sur l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 729/70. Selon cette disposition, les États membres doivent prendre « les mesures nécessaires pour s’assurer de la réalité et de la régularité des opérations financées par le Fonds ». La Cour précise que cette obligation générale s’applique « même si l’acte communautaire spécifique ne prévoit pas expressément l’adoption de telle ou telle mesure de contrôle ».

Cette obligation est complétée par l’article 2 du règlement financier, qui impose une utilisation des crédits budgétaires conforme « aux principes de bonne gestion financière et notamment d’économie et de rapport coût/efficacité ». La Commission s’est appuyée sur ces dispositions pour soutenir que l’absence, dans les rapports intérimaires, d’une quantification des objectifs et d’une analyse des résultats constituait une carence dans la surveillance exercée par l’État membre. Cette carence créait un risque pour les finances communautaires, justifiant ainsi une correction financière préventive. La Cour admet la validité de cette obligation générale de veiller au respect du principe de coût/efficacité, mais elle en circonscrit la portée en présence d’une réglementation détaillée.

B. La primauté du système de contrôle institué par la réglementation sectorielle

La Cour observe que les règlements spécifiques n° 465/92 et n° 585/93, qui encadraient les actions de promotion en cause, prévoyaient leur propre mécanisme de contrôle. Ce système comportait des exigences précises à différents stades. Au moment de la soumission des propositions, les candidats devaient fournir des descriptions détaillées des actions, des résultats escomptés et de la stratégie envisagée. En fin de programme, les contrats types imposaient la remise d’un rapport final détaillé sur l’utilisation des fonds et sur les résultats des actions, notamment au regard des objectifs fixés et de l’évolution des ventes.

La Cour estime que « un tel système, qui est instauré par une réglementation communautaire précise et exige des contrôles portant sur l’efficacité par rapport aux coûts et sur l’obtention de résultats quantifiés, suffit à assurer le respect de l’obligation générale d’utiliser les crédits budgétaires communautaires ». Les rapports intérimaires, quant à eux, n’avaient pour fonction, selon les contrats types, que de rendre compte du « travail effectué » et de justifier les « dépenses réellement supportées ». En jugeant le système de contrôle sectoriel adéquat et complet, la Cour écarte l’application de normes supplémentaires issues de principes plus généraux.

Cette analyse conduit la Cour à sanctionner la démarche de la Commission, qui revenait à ajouter des exigences non prévues par les textes applicables. En affirmant la prééminence de la *lex specialis*, l’arrêt protège les États membres contre une extension de leurs obligations de contrôle fondée sur une interprétation subjective de la bonne gestion financière, renforçant par là même la sécurité juridique.

II. La sanction d’une interprétation extensive des pouvoirs de la Commission au nom de la sécurité juridique

La décision de la Cour repose de manière déterminante sur le principe de sécurité juridique. Elle conduit au rejet d’exigences de contrôle non formalisées dans les textes (A), offrant ainsi une garantie significative aux États membres contre l’application rétroactive de nouvelles normes d’audit (B).

A. Le rejet d’exigences de contrôle non prévues par les textes applicables

Le cœur de l’argumentation de la Cour réside dans la protection de la confiance légitime des opérateurs et des États membres. Elle énonce clairement que « l’impératif de sécurité juridique implique qu’une réglementation doit permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose ». Or, en l’espèce, ni les règlements sectoriels ni les contrats types n’imposaient que les rapports intérimaires contiennent une quantification des objectifs ou une analyse de l’impact sur la consommation. Ces éléments étaient requis au stade de la proposition et du rapport final, mais pas au cours de l’exécution du contrat.

La Cour en déduit que la Commission ne peut « opter, au moment de l’apurement des comptes du feoga, pour une interprétation qui s’écarte du libellé de la réglementation spécifique applicable et, partant, ne s’impose pas ». En d’autres termes, si des rapports intermédiaires plus détaillés auraient pu contribuer à une gestion financière « encore plus efficace », leur absence ne constitue pas une violation du droit communautaire dès lors que les textes applicables n’en faisaient pas une obligation explicite. La Cour censure donc l’approche de la Commission qui consistait à transformer une bonne pratique souhaitable en une obligation juridique contraignante a posteriori, au détriment de l’État gestionnaire.

B. La portée de la solution : une garantie pour les États membres contre l’application rétroactive de nouvelles exigences

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est considérable pour les relations financières entre la Commission et les États membres. Il établit une limite claire au pouvoir d’appréciation de la Commission dans le cadre de la procédure d’apurement des comptes. Cette procédure ne peut devenir l’occasion d’édicter de nouvelles règles de gestion ou de contrôle par voie d’interprétation. Les États membres doivent pouvoir s’appuyer sur le texte de la législation applicable pour connaître l’étendue de leurs devoirs, sans craindre que des exigences supplémentaires leur soient opposées des années après la réalisation des dépenses.

Cette solution renforce la prévisibilité du droit et la stabilité des situations juridiques. Elle contraint la Commission, si elle estime un système de contrôle insuffisant, à modifier la réglementation en amont pour l’avenir, plutôt qu’à sanctionner les États membres en aval pour ne pas avoir deviné ses attentes. En protégeant les États contre le risque d’une application rétroactive de critères de contrôle non écrits, la Cour assure un équilibre nécessaire entre l’impératif de protection du budget communautaire et le respect des garanties procédurales dues aux États qui exécutent les politiques communes.

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Hassan KOHEN
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