Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 15 avril 1997. – Woodspring District Council contre Bakers of Nailsea Ltd. – Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Bristol Mercantile Court – Royaume-Uni. – Inspections vétérinaires ante mortem aux abattoirs – Validité – Rôle des vétérinaires officiels – Répercussion des honoraires sur l’exploitant de l’abattoir. – Affaire C-27/95.

Par un arrêt du 7 mai 1997, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur la validité d’une directive relative aux inspections sanitaires des viandes fraîches. Cette décision a fourni l’occasion de clarifier l’étendue du contrôle de légalité des actes de l’Union par les juridictions nationales et d’apprécier la marge d’appréciation du législateur européen dans le cadre de la politique agricole commune.

En l’espèce, un exploitant d’abattoir s’opposait au paiement des frais réclamés par une autorité locale au titre des services d’inspection vétérinaire. L’exploitant soutenait que la directive communautaire imposant ces inspections, notamment par des vétérinaires officiels et avant l’abattage, était invalide au regard des objectifs de la politique agricole commune et des principes de proportionnalité et de non-discrimination. Le litige portait donc sur le refus de régler des factures fondées sur une réglementation nationale qui transposait la directive contestée.

Saisie du litige au principal, la High Court of Justice du Royaume-Uni a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice en vertu de l’article 177 du traité CE. La juridiction de renvoi cherchait à savoir, d’une part, si un particulier pouvait invoquer la violation de certaines dispositions du traité et de principes généraux du droit pour contester la validité d’un acte communautaire. D’autre part, elle interrogeait la Cour sur la validité même de la directive au regard de ces normes, tant en ce qui concerne la nature des inspections que l’imputation de leur coût à l’opérateur.

Le problème de droit soulevé était double. Il s’agissait premièrement de déterminer l’office du juge national face à la contestation de la validité d’un acte de l’Union et, plus précisément, de savoir s’il dispose du pouvoir de prononcer lui-même une telle invalidité. Secondement, la question se posait de savoir si les exigences d’une inspection sanitaire systématique *ante mortem* par un vétérinaire officiel, ainsi que la mise à la charge de l’abattoir des frais y afférents, constituaient des mesures disproportionnées ou discriminatoires au regard de la politique agricole commune.

À ces questions, la Cour de justice répond en affirmant qu’un particulier peut contester la validité d’un acte de l’Union devant une juridiction nationale, mais que seule la Cour de justice a compétence pour déclarer un tel acte invalide afin de garantir l’application uniforme du droit de l’Union. Sur le fond, elle juge que la directive n’est pas invalide, considérant que les mesures litigieuses relèvent du large pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union pour atteindre les objectifs de protection de la santé publique et de bon fonctionnement du marché intérieur.

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I. La clarification du monopole juridictionnel de la Cour de justice en matière de contrôle de validité

La Cour profite de la première question préjudicielle pour rappeler les principes fondamentaux régissant la répartition des compétences entre les juridictions nationales et la sienne dans le cadre du contrôle de validité des actes de l’Union. Elle réaffirme ainsi le rôle du juge national comme juge de droit commun du droit de l’Union, tout en confirmant sa compétence exclusive pour invalider un acte (B), après avoir précisé l’étendue du pouvoir d’examen du juge national (A).

A. L’office du juge national face à la contestation d’un acte de l’Union

La Cour commence par reconnaître le droit pour un particulier de contester la validité d’un acte communautaire devant son juge national, en se fondant sur des dispositions du traité telles que les articles 39 et 40, paragraphe 3, ainsi que sur les principes généraux de proportionnalité et de non-discrimination. Cette faculté est une condition essentielle de l’État de droit et garantit aux justiciables une protection juridictionnelle complète.

Dans ce contexte, la Cour précise que le juge national dispose d’un pouvoir d’examen de la validité. Il peut entendre les arguments des parties et, s’il les juge non fondés, écarter le moyen d’invalidité. L’arrêt énonce clairement que les juridictions nationales « peuvent examiner la validité d’un acte communautaire et, si elles n’estiment pas fondés les moyens d’invalidité que les parties invoquent devant elles, rejeter ces moyens en concluant que l’acte est pleinement valide ». En agissant ainsi, le juge national ne remet pas en cause l’existence de l’acte et contribue à l’efficacité du système juridique de l’Union.

B. La réaffirmation de la compétence exclusive de la Cour pour prononcer l’invalidité

Si le juge national peut confirmer la validité d’un acte, il ne peut en revanche le déclarer lui-même invalide. La Cour réitère avec force la solution dégagée dans son arrêt *Foto-Frost* de 1987. Le monopole de la déclaration d’invalidité est justifié par des exigences impérieuses tenant à l’unité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire.

L’arrêt souligne que « des divergences entre les juridictions des États membres quant à la validité des actes communautaires seraient susceptibles de compromettre l’unité même de l’ordre juridique communautaire et de porter atteinte à l’exigence fondamentale de la sécurité juridique ». Permettre à une juridiction nationale d’invalider un acte produirait des effets limités à son État membre, créant une application fragmentée du droit de l’Union et une insécurité juridique inacceptable. Le renvoi préjudiciel en appréciation de validité apparaît ainsi comme le seul mécanisme garantissant une décision uniforme pour l’ensemble de l’Union.

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II. La confirmation de la large marge d’appréciation du législateur de l’Union dans le cadre de la politique agricole commune

Après avoir tranché la question de compétence, la Cour examine la validité matérielle de la directive contestée. Elle conclut à sa validité en reconnaissant au législateur une grande latitude pour définir et mettre en œuvre la politique agricole commune, que ce soit dans la justification des exigences sanitaires (A) ou dans la répartition des charges financières qui en découlent (B).

A. La justification des exigences sanitaires au regard des objectifs de la politique agricole

La Cour rejette l’argument selon lequel les inspections *ante mortem* et le recours à des vétérinaires officiels violeraient les articles 39 et 40 du traité ou le principe de proportionnalité. Elle rappelle que les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la poursuite des objectifs de la politique agricole commune. En l’espèce, les mesures visent à protéger la santé publique, objectif d’intérêt général que les institutions se doivent de prendre en compte.

Concernant la proportionnalité, la Cour juge que le recours au vétérinaire officiel constitue « le moyen le plus approprié » pour assurer un contrôle uniforme et compétent, particulièrement après la suppression des contrôles aux frontières. De même, l’inspection *ante mortem* est jugée nécessaire car « certaines maladies ne peuvent être efficacement diagnostiquées que sur l’animal vivant ». Le législateur n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en imposant ces exigences pour garantir un niveau élevé de protection sanitaire sur l’ensemble du marché.

B. La validation de l’imputation des coûts d’inspection à l’opérateur économique

Enfin, la Cour écarte le grief tiré de la prétendue illégalité de la mise à la charge de l’abattoir des frais d’inspection. Elle distingue la situation d’espèce de celle des taxes d’effet équivalent à des droits de douane, unilatéralement imposées par un État membre. Ici, les redevances découlent d’une réglementation de l’Union, appliquée de manière uniforme et destinée à financer un système harmonisé de contrôle.

La Cour estime qu’il n’est pas inapproprié que le législateur fasse peser sur les opérateurs économiques la responsabilité financière du respect des normes de sécurité des produits qu’ils mettent sur le marché. Elle ajoute que rien n’empêche les abattoirs de répercuter ces coûts sur les propriétaires de la viande, ce qui atténue d’autant la charge qui leur est imposée. Par conséquent, cette modalité de financement ne viole ni les objectifs de la politique agricole commune ni les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

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