Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 16 juillet 1992. – État belge contre Société coopérative Belovo. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Neufchâteau – Belgique. – Conséquences d’une rectification d’office d’un certificat d’importation entaché d’erreur. – Affaire C-187/91.

Par un arrêt rendu en 1992, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conséquences juridiques de la délivrance erronée, par une autorité nationale, de certificats d’importation dans le secteur agricole. En l’espèce, un opérateur économique avait obtenu de l’administration d’un État membre plusieurs certificats de préfixation des prélèvements pour l’importation d’œufs en provenance de pays tiers. Or, la réglementation communautaire en vigueur ne permettait pas une telle préfixation pour ces produits. Se fiant à la validité de ces documents officiels, l’opérateur avait conclu des engagements contractuels importants. Postérieurement, l’autorité nationale, ayant constaté son erreur, a exigé la restitution des certificats et a réclamé à l’opérateur le paiement d’un supplément de prélèvements correspondant à la différence entre le taux préfixé et le taux réellement applicable à la date des importations. Saisi du litige, l’État membre a engagé une action en paiement devant le tribunal de première instance de Neufchâteau. L’opérateur s’est opposé à cette demande en invoquant sa bonne foi et la confiance légitime qu’il avait placée dans les actes de l’administration. Le tribunal national a alors décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’interprétation des dispositions communautaires relatives à la rectification des certificats et sur les droits de l’opérateur dans une telle situation. La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer dans quelle mesure un opérateur économique de bonne foi peut se prévaloir du principe de confiance légitime pour contester une action en recouvrement a posteriori de droits à l’importation, lorsque cette action découle d’une erreur commise par l’autorité administrative elle-même lors de la délivrance des titres d’importation. La Cour répond que les règles procédurales de rectification des certificats n’empêchent pas une action en responsabilité de droit national contre l’administration émettrice. Surtout, elle précise que la question du recouvrement des droits relève d’un règlement spécifique sur le recouvrement a posteriori, lequel subordonne l’absence de perception ultérieure à la condition que l’erreur de l’administration n’ait pas été raisonnablement décelable par le redevable. La solution retenue par la Cour s’articule ainsi en deux temps. Elle admet d’abord la possibilité d’une action en responsabilité contre l’administration fautive (I), avant de définir les conditions strictes, issues du droit communautaire, permettant à l’opérateur d’échapper au paiement des sommes réclamées (II).

I. L’ouverture d’une voie de droit face à l’erreur administrative

La Cour de justice commence son raisonnement en distinguant clairement la procédure administrative de rectification d’un titre de la question de la responsabilité de l’administration pour l’erreur commise. Elle affirme ainsi que les mécanismes de correction prévus par le droit communautaire n’éteignent pas le droit de l’opérateur à rechercher réparation. Cette solution repose sur une interprétation finaliste des textes, qui dissocie la simple régularisation matérielle des certificats (A) de l’engagement éventuel de la responsabilité de l’autorité émettrice, qui reste soumis au droit national (B).

A. La portée limitée des règles de rectification des certificats

L’État membre soutenait que les articles 24 et 25 du règlement n° 3719/88, en organisant une procédure de rectification et de retrait des certificats erronés, suffisaient à régler la situation et imposaient à l’opérateur de se soumettre aux conséquences financières de la correction. La Cour écarte cette analyse en précisant la fonction purement procédurale de ces dispositions. Elle juge que ces articles « concernent, notamment, la procédure à suivre en cas de doute tenant à l’exactitude des mentions qui figurent sur les certificats et n’excluent pas une éventuelle action en responsabilité ». En d’autres termes, la faculté pour l’administration de corriger ses propres erreurs matérielles est une chose ; les conséquences dommageables que cette erreur initiale a pu causer à un opérateur de bonne foi en est une autre. La rectification administrative a pour but de rétablir la conformité du titre avec la réglementation, mais elle ne saurait purger rétroactivement l’illégalité commise ni effacer les préjudices qui en sont nés. La Cour refuse ainsi de voir dans ces textes un mécanisme d’immunité au profit de l’administration.

B. Le renvoi au droit national pour l’action en responsabilité

Ayant établi que les règles de rectification n’excluaient pas une action en réparation, la Cour précise que celle-ci doit être « engagée, conformément au droit national, par le bénéficiaire de certificats à l’importation […] contre l’organisme émetteur ». Cette solution est une application classique du principe d’autonomie procédurale des États membres. Le droit communautaire fixe les obligations de fond, comme le paiement des prélèvements agricoles, mais il appartient en principe aux ordres juridiques nationaux de définir les modalités des recours visant à sanctionner les violations de ce droit, y compris lorsque ces violations sont le fait des autorités nationales elles-mêmes. En renvoyant au droit interne, la Cour permet à l’opérateur d’invoquer les principes de responsabilité de la puissance publique propres à chaque État membre. Elle souligne toutefois que, dans le cadre de cette action, il doit être « tenu compte, notamment, de la confiance légitime de l’opérateur économique dans lesdits certificats », orientant ainsi l’appréciation du juge national vers un principe général du droit communautaire.

Après avoir confirmé l’existence d’une voie de droit distincte pour l’indemnisation du préjudice, la Cour se penche sur la question centrale du litige : l’obligation pour l’opérateur de payer ou non le supplément de prélèvements. Pour ce faire, elle recadre le débat juridique en le plaçant sur le terrain d’un règlement spécifique.

II. L’encadrement communautaire du non-recouvrement des droits

La Cour de justice ne s’en tient pas à la question des certificats, mais identifie elle-même le fondement juridique pertinent pour trancher la demande de paiement de l’État. Elle soumet ainsi le litige aux dispositions du règlement n° 1697/79, qui régit spécifiquement le recouvrement a posteriori des droits de douane. Cette démarche conduit la Cour à reconnaître l’applicabilité d’un régime protecteur pour l’opérateur (A), tout en en confiant l’appréciation au juge national sur la base de critères précis (B).

A. L’application du régime spécifique du recouvrement a posteriori

De manière didactique, la Cour constate que le litige « concerne en substance le montant d’une partie des prélèvements à l’importation » et que, par conséquent, l’action « relève des dispositions de l’article 5 du règlement (cee) n° 1697/79 ». Ce règlement vise précisément à concilier les intérêts financiers de la Communauté avec le principe de sécurité juridique, en limitant les cas où les autorités peuvent réclamer tardivement des droits qui n’ont pas été perçus. L’article 5, paragraphe 2, de ce texte prévoit que les autorités peuvent renoncer au recouvrement a posteriori lorsque les droits n’ont pas été perçus « par suite d’une erreur des autorités compétentes elles-mêmes, qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable », à condition que ce dernier ait agi de bonne foi. En appliquant ce texte, la Cour déplace le centre de gravité du litige : il ne s’agit plus de savoir si les certificats erronés créent un droit acquis, mais si les conditions d’une exception au recouvrement sont remplies.

B. Les critères d’appréciation de l’erreur non décelable

La Cour rappelle qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier si les conditions de l’article 5, paragraphe 2, sont réunies, mais elle lui fournit une grille d’analyse détaillée pour ce faire. Pour apprécier si l’erreur « ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable », le juge doit tenir compte de trois éléments : « de la nature de l’erreur, de l’expérience professionnelle de l’opérateur intéressé et de la diligence dont ce dernier a fait preuve ». La Cour va plus loin et livre une interprétation concrète des faits de l’espèce. Elle estime que la délivrance répétée de neuf certificats erronés sur une longue période constitue « un indice tendant à prouver, d’une part, la nature complexe du problème à résoudre et, d’autre part, l’absence de négligence de la part de l’opérateur ». Cette indication forte constitue un guide précieux pour le juge de renvoi, l’incitant à considérer que la persistance de l’administration dans son erreur rendait celle-ci difficilement décelable, même pour un professionnel. La protection de la confiance légitime de l’opérateur trouve ici une traduction concrète et opératoire dans le cadre strict du droit douanier.

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