Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 16 septembre 1997. – Bernd von Hoffmann contre Finanzamt Trier. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Rheinland-Pfalz, Neustadt an der Weinstrasse – Allemagne. – Sixième directive TVA – Interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret – Prestation de services d’arbitre – Lieu de la prestation. – Affaire C-145/96.

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous e), troisième tiret, de la sixième directive du 17 mai 1977 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision trouve son origine dans un litige opposant un professeur de droit et arbitre, résident allemand, à l’administration fiscale de son pays. L’intéressé avait perçu des honoraires pour des missions d’arbitrage effectuées au sein d’un tribunal arbitral constitué sous l’égide de la chambre de commerce internationale à Paris. L’administration fiscale allemande a assujetti ces honoraires à la taxe sur le chiffre d’affaires, considérant que le lieu de la prestation de service était en Allemagne, conformément à la règle générale selon laquelle le service est réputé fourni au lieu où le prestataire a établi le siège de son activité.

Le prestataire a contesté cette imposition, arguant que ses activités relevaient d’une catégorie de prestations dérogatoires dont le lieu de taxation est celui où le bénéficiaire est établi. La juridiction de renvoi, le Finanzgericht Rheinland-Pfalz, saisie du litige, a éprouvé des doutes quant à la qualification de l’activité d’arbitrage au regard du droit communautaire. Elle a estimé que si cette activité ne semblait pas correspondre directement à celles d’un avocat ou d’un expert-comptable, elle pourrait néanmoins être qualifiée d’« autre prestation similaire » au sens de la directive. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si les prestations d’un membre d’un tribunal d’arbitrage entrent dans le champ d’application de la dérogation prévue par la directive pour certaines prestations de services immatériels, notamment celles des conseillers, avocats, et « autres prestations similaires ».

À cette question, la Cour de justice répond par la négative. Elle juge que la directive « doit être interprétée en ce sens qu’il ne vise pas les prestations d’un membre d’un tribunal d’arbitrage ». Pour parvenir à cette solution, la Cour opère une analyse restrictive des catégories de services visées par le texte, fondée sur la nature et la finalité des prestations. L’approche de la Cour repose ainsi sur une interprétation stricte des exceptions au principe de localisation des services (I), aboutissant à l’exclusion logique des activités d’arbitrage du champ de la dérogation (II).

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I. Une interprétation stricte des catégories de prestations visées par la directive

La Cour de justice adopte une méthode d’interprétation rigoureuse pour définir le périmètre de l’article 9, paragraphe 2. Elle écarte une analyse fondée sur la profession du prestataire pour se concentrer sur la nature de l’activité (A), ce qui la conduit à opérer une distinction fonctionnelle entre l’arbitrage et les services expressément énumérés (B).

A. Le rejet d’une approche par profession

La Cour précise d’emblée que la disposition de la directive « ne vise pas des professions, telles que celles d’avocats, de conseillers, d’experts comptables ou d’ingénieurs, mais des prestations ». Le législateur communautaire n’a utilisé la mention de ces professions que comme un moyen de définir les catégories de services concernées. Cette clarification est fondamentale car elle déplace le centre de l’analyse du statut professionnel de la personne vers la substance même du service rendu. Peu importe que l’arbitre soit en pratique souvent choisi parmi des juristes ou des avocats renommés ; ce qui compte est la nature intrinsèque de sa mission.

Cette approche évite une application extensive et incertaine de la dérogation. Si la qualité professionnelle suffisait à déterminer le régime de taxation, des situations complexes pourraient naître lorsqu’un même professionnel exerce des activités de nature différente. En se focalisant sur le service, la Cour assure une application plus cohérente et objective du texte. La prestation doit être identifiable et correspondre à celles qui sont « principalement et habituellement effectuées dans le cadre des professions énumérées ». C’est donc à une analyse matérielle de l’activité que les juges nationaux doivent se livrer, et non à une simple vérification de la profession du prestataire.

B. La distinction fonctionnelle entre la prestation d’arbitrage et les prestations énumérées

Appliquant ce critère, la Cour examine si l’activité d’un arbitre correspond à la prestation typique d’un avocat ou des autres professionnels listés. Sa conclusion est négative. Elle observe que s’il est vrai que les arbitres sont souvent choisis pour leurs connaissances juridiques, « les services effectués par un avocat ont principalement et habituellement pour objet la représentation et la défense des intérêts d’une personne, alors que les prestations d’un arbitre ont principalement et habituellement pour objet le règlement d’un différend entre deux ou plusieurs parties ». La distinction est donc nette : l’avocat est un mandataire partial, défenseur d’une cause, tandis que l’arbitre est un juge privé, investi d’une mission juridictionnelle de trancher un litige de manière impartiale.

Pour des raisons similaires, la prestation d’arbitre ne peut être assimilée à celle d’un conseiller, d’un ingénieur ou d’un expert-comptable. Aucune de ces professions n’a pour objet principal et habituel la résolution d’un différend. Le conseiller assiste, l’ingénieur conçoit et l’expert-comptable vérifie, mais aucun n’exerce la fonction de juger. Cette analyse fonctionnelle met en lumière l’irréductibilité de la mission arbitrale aux autres services intellectuels visés par le texte, préparant ainsi le terrain pour l’examen de la notion résiduelle d’« autres prestations similaires ».

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II. Le refus d’assimilation de l’arbitrage aux « autres prestations similaires »

Après avoir écarté une correspondance directe, la Cour examine si la prestation d’arbitrage peut être qualifiée de « similaire » à l’une des prestations énumérées. Elle développe pour ce faire un critère fondé sur la finalité du service (A), dont l’application stricte conduit à renforcer la sécurité juridique tout en limitant la portée des régimes dérogatoires (B).

A. La définition de la similarité par la finalité du service

Pour déterminer si un service est « similaire », la Cour précise que ce terme « ne se réfère pas à quelque élément commun des activités hétérogènes mentionnées », mais à une similarité appréciée par rapport à chaque activité envisagée séparément. Un service sera jugé similaire à un autre « lorsque toutes deux répondent à la même finalité ». Ce critère de la finalité commune est déterminant. La Cour l’applique en comparant l’arbitrage à la prestation d’un avocat qui s’en approcherait le plus : la négociation en vue d’un compromis.

Or, même dans cette hypothèse, les finalités divergent. Selon la Cour, « la recherche d’un compromis par un avocat qui participe à une négociation est habituellement fondée sur des éléments d’opportunité et des pondérations d’intérêts, le règlement d’un différend par un arbitre est fondé sur des considérations de justice ou d’équité ». La distinction est subtile mais juridiquement essentielle. L’avocat négociateur cherche un accord acceptable pour son client, tandis que l’arbitre, même lorsqu’il statue en équité (`ex aequo et bono`), est tenu par une exigence de justice impartiale. Les prestations ne poursuivant pas le même but, elles ne peuvent être considérées comme similaires.

B. La portée de la solution et le renforcement de la sécurité juridique

En refusant d’inclure les prestations d’arbitrage dans la catégorie des services visés par la dérogation, la Cour de justice livre une interprétation stricte des exceptions au principe général de territorialité de la TVA. La règle est que la taxe est due au lieu d’établissement du prestataire ; la taxation au lieu du preneur est l’exception et doit, à ce titre, être d’interprétation restrictive. Cette solution a le mérite de la clarté et renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques. Elle évite une extension incontrôlée de la liste des services dérogatoires, qui aurait pu conduire à des incertitudes et à des doubles impositions ou des absences d’imposition.

La portée de cet arrêt dépasse le seul cas des arbitres. Il confirme une méthode d’interprétation fonctionnelle et téléologique qui s’applique à l’ensemble des services immatériels visés par la directive. Pour chaque service non expressément nommé, il faudra se demander non seulement s’il ressemble à l’un des services listés, mais surtout s’il poursuit la même finalité. En l’espèce, l’activité juridictionnelle de l’arbitre est jugée unique dans sa finalité, ce qui la distingue fondamentalement des activités de conseil ou de représentation. La solution est donc cohérente avec la nature de l’arbitrage, qui constitue une forme de justice privée plutôt qu’une simple prestation de service intellectuel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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