Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 décembre 1998. – Rijksdienst voor Pensioenen contre Gerdina Lustig. – Demande de décision préjudicielle: Hof van Cassatie – Belgique. – Règlement (CEE) nº 1408/71 – Prestations de vieillesse – Articles 45 et 49 – Calcul des prestations lorsque l’intéressé ne réunit pas simultanément les conditions requises par toutes les législations sous lesquelles des périodes d’assurance ou de résidence ont été accomplies. – Affaire C-244/97.

Par un arrêt en date du 28 mai 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités de calcul des pensions de vieillesse pour les travailleurs migrants. La décision a été rendue dans le cadre d’un litige opposant une ressortissante belge à l’organisme de pension de cet État. L’intéressée, après avoir accompli une partie de sa carrière professionnelle aux Pays-Bas puis en Belgique, a sollicité la liquidation de ses droits à la retraite en Belgique à l’âge de soixante ans. L’organisme compétent lui a accordé une pension calculée sur la base des seules années de service effectuées en Belgique, ce qui excluait le bénéfice d’un montant minimum garanti, subordonné à une durée de carrière plus longue. Cinq ans plus tard, à l’âge de soixante-cinq ans, l’assurée est devenue éligible à une pension néerlandaise, ce qui a conduit l’organisme belge à recalculer sa prestation et à lui accorder, à compter de cette nouvelle date, le montant minimum garanti en tenant compte de l’ensemble de sa carrière.

L’assurée a contesté la décision initiale de l’organisme de pension, estimant qu’elle aurait dû bénéficier du montant minimum garanti dès la première liquidation de sa pension. Saisies du litige, les juridictions belges de première instance et d’appel ont donné raison à l’assurée, jugeant que les périodes d’assurance accomplies aux Pays-Bas auraient dû être prises en compte pour déterminer le droit au montant minimum. L’organisme de pension a alors formé un pourvoi devant la juridiction suprême nationale. Celle-ci, confrontée à l’articulation des règles nationales et du droit communautaire, a sursis à statuer pour poser une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’article 49, paragraphe 1, sous b), ii), du règlement n° 1408/71 devait être interprété comme imposant à une institution nationale de prendre en compte les périodes d’assurance accomplies dans un autre État membre, où les conditions d’ouverture du droit à pension ne sont pas encore remplies, afin d’accorder une prestation d’un montant plus élevé.

À cette question, la Cour de justice a répondu par l’affirmative. Elle a jugé que les dispositions du règlement « imposent à l’institution compétente, si l’intéressé satisfait aux conditions d’une seule législation pour le service d’une prestation de vieillesse, même limitée, sans qu’il soit besoin de faire appel aux périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous une autre législation dont les conditions ne sont pas remplies, de prendre néanmoins en compte, conformément à l’article 46 du même règlement, les périodes accomplies sous cette dernière législation, lorsque, de ce fait, une prestation de vieillesse d’un montant plus élevé peut lui être accordée ». Cette solution repose sur une interprétation finaliste des règles de coordination en matière de sécurité sociale, visant à garantir la pleine effectivité de la libre circulation des travailleurs.

La Cour consacre ainsi une interprétation téléologique des règles de coordination (I), dont la portée clarificatrice permet de consolider le calcul des droits à pension des travailleurs migrants (II).

I. La consécration d’une interprétation téléologique des règles de coordination

L’arrêt met en lumière la prééminence des objectifs du Traité sur une lecture littérale des dispositions du droit dérivé. La Cour affirme l’application du principe de totalisation des périodes d’assurance pour le calcul de la prestation, y compris en l’absence de droits ouverts simultanément dans tous les États concernés (A), subordonnant ainsi les règles techniques au principe fondamental garantissant le résultat le plus favorable au travailleur migrant (B).

A. L’application du principe de totalisation au calcul de la prestation en dépit de l’ouverture du droit national autonome

La Cour rappelle que l’article 51 du Traité CE vise à garantir la libre circulation des travailleurs en prévoyant la totalisation des périodes d’assurance tant pour l’ouverture du droit aux prestations que pour leur calcul. L’article 46 du règlement n° 1408/71 met en œuvre ce principe en organisant une double méthode de calcul : d’une part, la liquidation d’une prestation « autonome » selon la seule législation nationale et, d’autre part, le calcul d’une prestation « proratisée » tenant compte de toutes les périodes accomplies dans l’Union. L’institution compétente doit ensuite retenir le montant le plus élevé des deux. Dans le cas d’espèce, la difficulté provenait de l’article 49, paragraphe 1, sous b), ii), qui semblait écarter ce mécanisme lorsque le droit à pension est ouvert dans un seul État membre sans qu’il soit nécessaire de recourir aux périodes étrangères.

Or, la Cour écarte une application isolée de cette disposition. Elle estime que le mécanisme de totalisation et de proratisation de l’article 46 demeure la référence pour le calcul du montant, même lorsque les conditions d’ouverture du droit sont remplies de manière autonome dans un seul État. En ce sens, la prise en compte des périodes étrangères n’est pas seulement un outil pour ouvrir un droit, mais aussi un instrument pour déterminer le montant le plus juste de la prestation. Cette approche garantit qu’un travailleur ayant exercé sa mobilité ne subisse pas une réduction de ses droits par rapport à un travailleur sédentaire. Le raisonnement de la Cour est donc fermement ancré dans l’objectif de neutraliser les effets négatifs de la mobilité professionnelle sur les droits sociaux.

B. La primauté du résultat le plus favorable pour le travailleur migrant

En faisant prévaloir le calcul communautaire, la Cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle « si l’application de la seule législation de l’État membre en cause se révèle moins favorable au travailleur que celle du régime communautaire, prévu à l’article 46 du règlement n° 1408/71, ce sont les dispositions de cet article qui doivent être appliquées dans leur ensemble ». La dérogation prévue à l’article 49, paragraphe 1, sous b), ii), ne peut donc être interprétée comme autorisant un résultat moins favorable pour le travailleur. Il n’est en effet pas contesté que si l’assurée avait accompli toute sa carrière en Belgique, elle aurait bénéficié du montant minimum garanti dès l’âge de soixante ans.

Lui refuser cet avantage au motif que sa carrière était répartie entre deux États membres constituerait une pénalisation directe de l’exercice de son droit à la libre circulation. La Cour considère donc que l’objectif de l’article 51 du Traité impose de prendre en compte les périodes accomplies dans l’autre État membre, même si elles n’ouvrent pas encore droit à une pension dans cet État, dès lors que cette prise en compte permet d’aboutir à une prestation plus élevée. Cette interprétation maximalise la protection du travailleur et assure la pleine effectivité des règles de coordination, au-delà de leur seule lettre.

Cette décision, en privilégiant l’esprit du Traité, apporte une clarification bienvenue quant à l’articulation des différentes règles de calcul, ce qui en renforce la portée pour les situations futures.

II. La portée clarificatrice de la décision sur le calcul des pensions de vieillesse

L’arrêt ne se contente pas de résoudre un cas d’espèce ; il précise la portée de la jurisprudence antérieure (A) et affirme avec force le mécanisme de comparaison comme une garantie essentielle contre tout traitement désavantageux pour les travailleurs mobiles (B).

A. Une solution distincte de la jurisprudence antérieure et de portée interprétative

La Cour prend soin de distinguer sa solution de celle rendue dans l’arrêt *McLachlan* de 1994. Dans cette précédente affaire, la Cour avait refusé la prise en compte de périodes étrangères pour le calcul du montant de la pension. Elle souligne que le contexte était différent : le demandeur dans l’affaire *McLachlan* sollicitait que sa pension soit calculée comme s’il avait accompli toute sa carrière sous la législation d’un seul État. Une telle demande heurtait le principe selon lequel le système communautaire coordonne des régimes nationaux distincts sans les fusionner. Dans la présente affaire, la demande de l’assurée est plus limitée : elle vise uniquement à ce que les périodes étrangères soient prises en compte pour satisfaire une condition de durée de carrière prévue par la loi nationale afin de bénéficier d’un avantage spécifique, le calcul final de la pension demeurant proportionnel aux seules périodes belges.

Par ailleurs, la Cour relève que la modification du règlement par un texte ultérieur, le règlement n° 3096/95, qui a explicitement prévu la prise en compte des périodes étrangères dans l’hypothèse de l’article 49, paragraphe 1, sous b), ii), si cela conduit à un montant plus élevé, n’a qu’une « valeur de simple clarification ». Elle affirme ainsi que sa solution découle directement de l’article 51 du Traité et des principes généraux de la coordination, et qu’elle aurait été la même avant cette modification. La portée de l’arrêt est donc interprétative et s’inscrit dans la continuité des grands principes du droit social européen.

B. L’affirmation du mécanisme de comparaison comme garantie d’un traitement non discriminatoire

En définitive, l’arrêt consacre le rôle central du mécanisme de comparaison institué par l’article 46 du règlement. Chaque fois qu’une prestation de vieillesse est liquidée, l’institution compétente doit systématiquement comparer le résultat du calcul purement national avec celui du calcul communautaire (totalisation-proratisation) et octroyer le montant le plus avantageux. Cette obligation s’applique même lorsque le droit est ouvert sur la seule base de la législation nationale, et même lorsque les droits dans d’autres États membres ne sont pas encore liquidables en raison, par exemple, d’une condition d’âge différente.

Cette solution garantit une protection efficace au travailleur migrant à chaque étape de sa carrière et de sa retraite. Elle empêche que l’application successive de différentes législations nationales ne crée des « trous » de couverture ou des réductions de prestations qui n’existeraient pas dans un parcours purement national. La Cour renforce ainsi la sécurité juridique pour des millions de citoyens européens et réaffirme que la coordination des systèmes de sécurité sociale n’est pas un exercice purement technique, mais un instrument essentiel au service de la liberté de circulation.

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