Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 juillet 1997. – ARO Lease BV contre Inspecteur van de Belastingdienst Grote Ondernemingen te Amsterdam. – Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof Amsterdam – Pays-Bas. – Sixième directive TVA – Société de leasing de voitures particulières – Siège de l’activité économique du prestataire de services – Etablissement stable. – Affaire C-190/95.

Par un arrêt en date du 20 février 1997, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à interpréter la notion d’établissement stable, au sens des dispositions de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

En l’espèce, une société de crédit-bail établie aux Pays-Bas donnait en location des véhicules à des clients situés en Belgique. Cette société ne disposait en Belgique ni de bureau, ni de personnel, ni d’aucun lieu de stockage. Les clients prenaient contact avec la société par l’intermédiaire d’agents commerciaux indépendants, choisissaient leur véhicule auprès de concessionnaires belges, puis signaient des contrats de location qui étaient établis et conclus au siège de la société aux Pays-Bas. Bien que les véhicules fussent immatriculés et utilisés en Belgique, où les clients acquittaient la taxe de circulation, les autorités fiscales néerlandaises et belges se contestaient le lieu d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée de ces prestations de services. L’administration fiscale belge considérait que la seule présence du parc de véhicules suffisait à caractériser un établissement stable en Belgique, tandis que son homologue néerlandaise soutenait que les prestations étaient fournies depuis le siège de l’activité économique aux Pays-Bas. Saisi du litige par la société de leasing qui demandait le remboursement de la taxe acquittée aux Pays-Bas, le Gerechtshof te Amsterdam a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Il était ainsi demandé aux juges européens de déterminer si une société de leasing, qui ne dispose dans un État membre d’aucune infrastructure matérielle ou humaine propre, peut néanmoins y être considérée comme y disposant d’un établissement stable du seul fait de la présence sur ce territoire d’un parc de véhicules qu’elle donne en location. En d’autres termes, la présence physique du bien objet d’une prestation de services suffit-elle à localiser fiscalement cette dernière dans un État membre ?

La Cour répond par la négative, en jugeant que l’existence d’un établissement stable requiert une consistance minimale. Elle énonce qu’un tel établissement ne peut être retenu que s’il « présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées ». La simple mise à disposition de biens, sans structure de gestion propre dans l’État concerné, ne saurait suffire à caractériser un tel établissement.

Cette décision précise la notion d’établissement stable en la fondant sur des critères structurels et fonctionnels stricts (I), ce qui a pour effet de renforcer la sécurité juridique en réaffirmant la primauté du siège de l’activité économique comme principal critère de rattachement fiscal (II).

I. La consécration d’une conception exigeante de l’établissement stable

La Cour de justice opère une clarification importante en rejetant une analyse fondée sur la seule présence matérielle des biens pour définir l’établissement stable (A) et en lui substituant une définition positive exigeant la réunion de moyens humains et techniques formant une structure autonome (B).

A. Le rejet d’une approche purement matérielle du rattachement fiscal

La Cour écarte expressément l’idée selon laquelle la localisation des biens loués pourrait déterminer le lieu de la prestation de services. Elle considère que la présence d’un parc de plusieurs centaines de véhicules sur le territoire belge ne constitue pas en soi un critère suffisant pour y voir un établissement stable. Ce raisonnement repose sur une distinction fondamentale entre l’objet de la prestation et la structure qui permet de la fournir. Le service de location ne se résume pas à la simple jouissance d’un véhicule ; il englobe un ensemble d’opérations comme la négociation, la conclusion et la gestion des contrats.

Dans le cas d’espèce, toutes ces opérations structurantes étaient réalisées depuis le siège de la société aux Pays-Bas. La Cour souligne ainsi que des éléments tels que « la mise à la disposition matérielle des clients de véhicules dans le cadre de contrats de leasing, pas plus que le lieu d’utilisation de ceux-ci, ne saurai[en]t être considéré[s] comme un critère sûr, simple et praticable ». En cela, elle refuse de lier le rattachement fiscal à des éléments factuels qui, pour des biens mobiles comme des véhicules, sont par nature fluctuants et difficiles à contrôler. Les intermédiaires indépendants ou le lieu d’immatriculation des voitures sont également jugés inopérants car ils ne démontrent pas l’existence d’une structure appartenant en propre au prestataire.

B. L’exigence d’une structure permanente et autonome

En contrepoint du critère matériel qu’elle écarte, la Cour définit positivement ce qui constitue un établissement stable. Reprenant sa jurisprudence antérieure, elle rappelle que pour déroger au critère prioritaire du siège, un établissement secondaire doit présenter « une consistance minimale, par la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations de services déterminées ». La solution de l’espèce est une application directe de ce principe. L’absence de personnel propre et de bureaux en Belgique est déterminante pour exclure la qualification d’établissement stable.

La Cour insiste sur la capacité de la structure à rendre les prestations de manière autonome. Cela signifie que l’entité locale doit pouvoir prendre les décisions de gestion et conclure les contrats sans dépendre entièrement du siège principal. Or, dans les faits soumis à son appréciation, les contrats étaient signés aux Pays-Bas et les décisions administratives y étaient centralisées. Une structure qui n’est qu’un simple point de contact ou un lieu de présence matérielle des biens ne répond pas à cette exigence d’autonomie fonctionnelle. Cette conception rigoureuse de l’établissement stable n’est pas seulement une précision technique ; elle a une portée systémique pour l’application du droit de la taxe sur la valeur ajoutée.

II. La portée de la solution : une clarification au service de la sécurité juridique

En définissant strictement la notion d’établissement stable, la Cour de justice renforce le critère du siège de l’activité économique (A), offrant ainsi une interprétation cohérente avec les objectifs de simplicité et de prévisibilité du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (B).

A. Le renforcement du siège de l’activité économique comme critère principal

L’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive établit une hiérarchie claire des critères de rattachement. Le lieu principal est celui du siège de l’activité économique du prestataire, et ce n’est qu’à titre subsidiaire que le rattachement peut s’opérer au lieu d’un établissement stable. La décision commentée consolide cette hiérarchie en rendant la reconnaissance d’un établissement stable plus exigeante. En limitant les cas de dérogation, la Cour confirme que le siège doit être considéré comme le « point de rattachement prioritaire ».

Cette approche a le mérite de la clarté et de la prévisibilité. Pour les opérateurs économiques engagés dans des activités transfrontalières, savoir avec certitude où leurs prestations sont imposables est essentiel pour éviter les risques de double imposition, comme celui qui se dessinait dans cette affaire. En privilégiant un critère stable et facilement identifiable, celui du centre de décision de l’entreprise, la Cour fournit une grille de lecture simple et efficace. Elle prévient les conflits de compétence entre administrations fiscales qui naîtraient inévitablement d’une définition plus souple et casuistique de l’établissement stable, notamment pour des services portant sur des biens mobiles.

B. Une interprétation téléologique conforme à la logique du système de TVA

La solution retenue par la Cour n’est pas seulement pragmatique, elle est également fondée sur la finalité des textes applicables. La Cour rappelle en effet que pour la location de moyens de transport, le législateur communautaire a explicitement entendu appliquer strictement le critère du lieu du prestataire « pour des raisons de contrôle ». Les véhicules pouvant aisément franchir les frontières, localiser leur utilisation réelle serait une tâche complexe et souvent impossible pour les administrations. Le choix de rattacher la prestation au lieu où le prestataire est structurellement implanté constitue donc une simplification délibérée.

En conséquence, la Cour écarte l’argument fondé sur la « réalité économique » qui voudrait que l’imposition ait lieu là où l’activité est effectivement exercée. Elle considère que le législateur a déjà pesé cet impératif et a arbitré en faveur d’un critère plus formel mais plus praticable. En agissant ainsi, elle refuse d’introduire par voie jurisprudentielle une complexité que le législateur a cherché à éviter. L’interprétation est donc parfaitement alignée avec la volonté de construire un système commun de taxe sur la valeur ajoutée qui soit à la fois harmonisé, simple dans son application et source de sécurité juridique pour les assujettis.

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