Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 juillet 1997. – Texaco A/S contre Middelfart Havn, Århus Havn, Struer Havn, Ålborg Havn, Fredericia Havn, Nørre Sundby Havn, Hobro Havn, Randers Havn, Åbenrå Havn, Esbjerg Havn, Skagen Havn et Thyborøn Havn et Olieselskabet Danmark amba contre Trafikministeriet, Fredericia Kommune, Køge Havn, Odense Havnevæsen, Holstebro-Struer Havn, Vejle Havn, Åbenrå Havn, Ålborg Havnevæsen, Århus Havnevæsen, Frederikshavn Havn, Esbjerg Havn. – Demande de décision préjudicielle: Østre Landsret – Danemark. – Transports maritimes – Taxe sur les marchandises – Supplément à l’importation. – Affaires jointes C-114/95 et C-115/95.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction danoise, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime juridique applicable à une taxe portuaire nationale majorée pour les seules marchandises importées. En l’espèce, une taxe générale sur les marchandises était perçue dans les ports de commerce d’un État membre sur toutes les marchandises chargées ou déchargées. Cette taxe était toutefois augmentée d’un supplément de 40 % lorsqu’elle frappait des marchandises importées de l’étranger par voie maritime. Deux sociétés important des produits pétroliers, après s’être acquittées de cette taxe majorée, ont saisi les juridictions nationales afin d’en obtenir le remboursement, arguant de son incompatibilité avec le droit communautaire. Les autorités portuaires et le ministère compétent contestaient cette analyse, soutenant que le supplément constituait la contrepartie de services fournis. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur la qualification de ce supplément au regard des dispositions du traité relatives aux taxes d’effet équivalent et aux impositions intérieures discriminatoires, ainsi que sur sa compatibilité avec le droit communautaire selon l’origine des marchandises. Les questions portaient également sur les conséquences d’une éventuelle illégalité, notamment sur l’obligation de remboursement, la détermination du débiteur de la restitution et l’application des délais de prescription nationaux. La Cour a jugé que le supplément de 40 % constituait une imposition intérieure discriminatoire prohibée par l’article 95 du traité CEE pour les marchandises provenant d’un autre État membre. Cette interdiction s’applique également aux marchandises issues de pays tiers liés à la Communauté par un accord de libre-échange contenant une clause de non-discrimination fiscale. En revanche, le droit communautaire ne s’oppose pas à une telle mesure pour les marchandises importées directement de pays tiers non couverts par un tel accord. Enfin, la Cour a rappelé l’obligation de principe de rembourser les taxes indûment perçues, tout en reconnaissant que les modalités procédurales, y compris les délais de prescription, relèvent du droit national, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

L’analyse de la Cour clarifie d’abord la nature de la taxe litigieuse en la qualifiant d’imposition intérieure discriminatoire, dont la prohibition varie cependant selon l’origine des marchandises (I). Elle précise ensuite les conditions et limites du droit au remboursement découlant de cette illégalité, encadrant l’autonomie procédurale des États membres (II).

I. La sanction d’une imposition discriminatoire à la portée variable

La Cour de justice a d’abord qualifié le supplément de taxe d’imposition intérieure contraire à l’article 95 du traité (A), avant de préciser que l’application de cette prohibition dépendait de la provenance géographique des marchandises (B).

A. La qualification du supplément en tant qu’imposition intérieure discriminatoire

La Cour écarte les autres qualifications possibles pour retenir celle d’imposition intérieure discriminatoire. La taxe litigieuse, bien que perçue à l’occasion du franchissement d’une frontière, ne constitue pas une taxe d’effet équivalant à un droit de douane. Elle s’intègre en effet dans « un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l’origine des produits ». Le critère décisif est que la taxe frappe indistinctement les marchandises, qu’elles soient nationales ou importées, lors d’une même opération portuaire. Le supplément de 40 % n’est qu’une modalité de calcul de cette taxe intérieure et doit donc être analysé au regard de l’article 95 du traité, qui interdit de frapper les produits des autres États membres d’impositions intérieures supérieures à celles qui frappent les produits nationaux similaires.

En l’espèce, le caractère discriminatoire est manifeste. Alors que les marchandises transportées entre deux ports nationaux ne sont soumises qu’à la taxe de base, celles importées d’un autre État membre subissent une majoration de 40 %. Cette différence de traitement fiscal, fondée exclusivement sur l’origine des produits et leur importation, a pour effet de défavoriser les marchandises intracommunautaires par rapport aux marchandises nationales, faussant ainsi la concurrence au sein du marché intérieur. La Cour confirme ainsi une jurisprudence constante selon laquelle l’article 95 vise à assurer une parfaite neutralité des impositions intérieures pour garantir la libre circulation des marchandises dans des conditions normales de concurrence.

B. La portée modulée de l’interdiction en fonction de l’origine des marchandises

La Cour étend ensuite son raisonnement aux marchandises provenant de pays tiers, tout en opérant une distinction cruciale. Elle juge que l’interdiction de discrimination s’applique également aux importations issues de pays ayant conclu avec la Communauté un accord de libre-échange comportant une disposition analogue à l’article 95 du traité. En se référant à l’article 18 de l’accord CEE-Suède, qui interdit « toute mesure ou pratique de nature fiscale interne établissant directement ou indirectement une discrimination », la Cour applique une interprétation fonctionnelle. Elle considère que de telles clauses visent à garantir que la libéralisation des échanges commerciaux ne soit pas neutralisée par des mesures fiscales protectionnistes, assurant ainsi l’effet utile de ces accords.

En revanche, la solution est inversée pour les marchandises importées directement de pays tiers avec lesquels la Communauté n’a conclu aucun accord de ce type. La Cour rappelle que « l’article 95 du traité n’est applicable qu’aux marchandises en provenance des États membres et, le cas échéant, aux marchandises originaires de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres ». Pour les importations directes de pays tiers, le traité ne prévoit aucune règle équivalente à l’article 95. Le droit communautaire ne s’oppose donc pas à ce qu’un État membre leur applique un traitement fiscal moins favorable. Cette solution confirme les limites du champ d’application du principe de non-discrimination fiscale et préserve l’autonomie des États membres dans leur politique commerciale à l’égard des pays tiers non partenaires.

II. Les modalités de la restitution de la taxe indûment perçue

Après avoir constaté l’illégalité de la taxe, la Cour en précise les conséquences en termes de remboursement, en réaffirmant le droit à restitution tout en l’encadrant par le principe de l’autonomie procédurale nationale (A), et en validant l’application de délais de prescription nationaux (B).

A. Le droit au remboursement tempéré par l’autonomie procédurale nationale

La Cour rappelle avec force que « le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables ». Cette obligation de restitution découle directement de l’effet direct des dispositions du traité et constitue un pilier de la protection juridictionnelle des particuliers. Toutefois, en l’absence de réglementation communautaire, il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de définir les modalités procédurales de ce remboursement. Cette autonomie procédurale permet au droit national de désigner la juridiction compétente et de déterminer le débiteur de l’obligation de restitution.

Dans le cas d’espèce, la Cour admet que l’action en remboursement puisse être dirigée contre les entités administratives autonomes ayant perçu la taxe, même si celle-ci a été fixée par l’État. Cette autonomie est cependant soumise à deux conditions fondamentales. Les modalités nationales ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des recours internes similaires (principe d’équivalence), ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit communautaire (principe d’effectivité). Ainsi, la désignation du débiteur ne doit pas aboutir à un déni de justice pour le justiciable cherchant à recouvrer les sommes indûment versées.

B. La compatibilité des délais de prescription nationaux avec le droit communautaire

La Cour se prononce enfin sur la question des délais de forclusion. Elle juge que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce qu’un délai de prescription national commence à courir avant même que la taxe litigieuse ait été formellement abrogée. Cette position s’appuie sur le principe fondamental de sécurité juridique, qui justifie la fixation de « délais de recours raisonnables à peine de forclusion ». L’écoulement de tels délais, même s’il conduit au rejet de l’action, n’est pas considéré comme rendant l’exercice des droits impossible ou excessivement difficile. La Cour estime que les justiciables peuvent et doivent agir pour la sauvegarde de leurs droits dans les délais prévus par le droit national.

La Cour prend soin de distinguer cette situation de l’affaire *Emmott*, où elle avait jugé qu’un État membre ne pouvait opposer un délai de prescription tant qu’il n’avait pas correctement transposé une directive. Cette exception ne s’applique pas ici, car le droit au remboursement se fonde sur l’article 95 du traité, une disposition directement applicable. Les justiciables sont donc présumés connaître les droits qu’ils tirent du traité lui-même, sans qu’il soit nécessaire d’attendre une action de l’État membre pour que les délais de recours commencent à courir. La Cour réaffirme ainsi une conception équilibrée entre la protection des droits individuels et la nécessité de préserver la stabilité des situations juridiques.

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Hassan KOHEN
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