Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel de la High Court of Justice du Royaume-Uni, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime des sanctions applicables dans le cadre de la politique agricole commune. Le litige opposait des exploitants agricoles et leur syndicat professionnel à l’autorité nationale compétente au sujet de la suppression d’aides communautaires. Cette sanction avait été infligée à la suite de déclarations de superficies agricoles qui, bien que faites de bonne foi, se sont révélées supérieures de plus de 20 % aux superficies réellement déterminées lors de contrôles. Les exploitants ont contesté l’interprétation et la validité de la réglementation communautaire fondant ces sanctions, conduisant la juridiction nationale à interroger la Cour. La question de droit soumise à la Cour portait essentiellement sur la conformité du régime de sanctions, qui impose la perte totale de certaines aides en cas d’écart de déclaration significatif mais non intentionnel, avec les principes généraux du droit communautaire, et sur l’incidence de modifications réglementaires postérieures plus clémentes. En réponse, la Cour a jugé que si la réglementation initiale imposait bien une sanction de suppression totale des aides, le principe de l’application rétroactive de la sanction la plus douce, consacré par un règlement ultérieur, devait s’appliquer aux erreurs concernant les terres gelées. Toutefois, pour les erreurs similaires relatives aux superficies fourragères, la sanction de suppression totale demeurait applicable, la Cour validant sa compatibilité avec les principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de non-discrimination. La solution de la Cour se déploie ainsi en deux temps, modérant la rigueur de la sanction pour une catégorie d’irrégularités tout en confirmant la validité de cette même rigueur pour une autre.
Il convient donc d’analyser l’atténuation de la sanction par l’effet de la rétroactivité d’une loi plus douce (I), avant d’examiner la confirmation par la Cour de la validité d’un régime de sanction strict (II).
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I. L’atténuation de la sanction par l’application rétroactive de la loi plus douce
La Cour, tout en confirmant l’interprétation sévère de la réglementation originelle (A), a neutralisé ses effets en appliquant le principe de rétroactivité *in mitius* pour les erreurs de déclaration concernant les terres mises en jachère (B).
A. La rigueur initiale du régime de sanction pour les terres gelées
Dans un premier temps, la Cour s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 3887/92. Ce texte prévoyait qu’en cas de surdéclaration de superficie supérieure à 20 %, « aucune aide liée à la superficie n’est octroyée ». La Cour confirme que cette disposition entraînait bien la suppression totale des paiements liés aux surfaces arables. En effet, le droit à ces paiements était conditionné par le respect d’une obligation de gel d’une partie des terres, dont la superficie déclarée servait de base de calcul. Une surdéclaration de plus de 20 % de cette superficie de gel était donc réputée anéantir la base même du calcul de l’aide, privant l’exploitant de l’intégralité des paiements compensatoires pour ses cultures. Cette interprétation, défendue par l’autorité nationale, était particulièrement sévère pour des erreurs commises en l’absence de toute intention délibérée ou négligence grave. La Cour valide ainsi que, selon le droit initialement applicable, l’exploitant perdait non seulement l’aide pour les terres gelées, mais aussi toutes les aides aux cultures arables qui y étaient associées.
B. L’application inopinée du principe de rétroactivité in mitius
Cependant, la Cour a immédiatement tempéré cette conclusion en introduisant l’application d’un principe général du droit communautaire. Elle se réfère à l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 2988/95, qui consacre le principe de l’application rétroactive des sanctions moins sévères. Ce texte dispose qu’« en cas de modification ultérieure des dispositions portant sanctions administratives et contenues dans une réglementation communautaire, les dispositions moins sévères s’appliquent rétroactivement ». Or, un règlement postérieur, le n° 1648/95, avait justement modifié le régime de sanction pour les surdéclarations de terres gelées. Selon cette nouvelle version, même en cas d’écart supérieur à 20 %, le calcul de l’aide devait désormais se faire « sur la base de la superficie gelée effectivement déterminée et au prorata des différentes cultures ». En appliquant ce principe, la Cour impose à l’autorité nationale d’écarter la sanction originelle de suppression totale et de la remplacer par la sanction atténuée, bien que celle-ci ait été adoptée après les faits du litige. La rigueur initiale se trouve ainsi entièrement neutralisée pour cette catégorie d’erreurs, offrant une solution favorable aux exploitants concernés.
II. La confirmation de la validité d’une sanction rigoureuse
Si la Cour a adouci la sanction pour les terres gelées, elle a en revanche maintenu l’entière sévérité de la sanction pour les superficies fourragères (A) et a validé cette approche au regard des principes généraux du droit communautaire (B).
A. Le maintien de la suppression intégrale des aides pour la superficie fourragère
La situation est différente pour les exploitants ayant surdéclaré de plus de 20 % leur superficie fourragère. Cette superficie conditionne le droit aux primes pour les bovins. La Cour constate que, contrairement au cas des terres gelées, les modifications réglementaires ultérieures n’ont pas atténué la sanction applicable à ce type d’erreur. Le règlement n° 1648/95 est resté silencieux sur ce point. Par conséquent, le principe de rétroactivité *in mitius* ne pouvait trouver à s’appliquer, faute de disposition plus douce à appliquer. La Cour en conclut que la règle initiale conserve toute sa force. Elle interprète l’article 9, paragraphes 2 à 4, du règlement n° 3887/92 « en ce sens qu’il impose, en l’absence d’intention délibérée ou de négligence grave, la suppression de toute prime pour les bovins aux exploitants dont la superficie fourragère effectivement déterminée s’avère être inférieure de plus de 20 % à celle déclarée ». La sanction de la perte totale de l’aide est donc maintenue pour ces exploitants, créant une distinction de traitement notable selon la nature de la superficie surdéclarée.
B. La validation de la sanction au regard des principes généraux du droit communautaire
Cette sévérité maintenue a conduit la Cour à examiner la validité de la réglementation au regard des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de non-discrimination. Sur le principe de proportionnalité, la Cour rappelle que les institutions communautaires disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la gestion de la politique agricole. Elle estime qu’une sanction « dissuasive et efficace » n’est pas disproportionnée face à une erreur d’une « ampleur considérable », même commise de bonne foi. Elle note que le système prévoit des sanctions échelonnées et que des fautes plus graves, comme la négligence ou la fraude, sont punies encore plus lourdement. Concernant le principe de sécurité juridique, la Cour admet que la réglementation est complexe, mais juge qu’« une lecture attentive du règlement permet de saisir le sens et les conséquences de l’application de ses dispositions qui sont destinées à des professionnels en la matière ». Enfin, sur le principe de non-discrimination, elle écarte l’argument en relevant que les situations ne sont pas traitées de manière égale, puisque la sanction pour une erreur de bonne foi reste moins sévère que celle pour une fausse déclaration délibérée ou par négligence grave. La Cour valide donc entièrement la sanction de suppression totale des aides pour la surdéclaration de superficie fourragère.