Dans une affaire C-242/97, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles la Commission peut procéder à des corrections financières à l’encontre d’un État membre pour des manquements dans le contrôle des dépenses agricoles. En l’espèce, la Commission avait refusé de prendre en charge une partie des dépenses déclarées par un État membre au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, section « garantie », pour l’exercice financier 1993. Cette décision se fondait sur la constatation de carences dans le système national de contrôle du préfinancement des restitutions à l’exportation dans les secteurs de la viande bovine et des céréales, justifiant l’application d’une correction forfaitaire de dix pour cent. L’État membre a alors introduit un recours en annulation partielle de cette décision, contestant tant la réalité des manquements allégués que la légalité et la proportionnalité de la sanction appliquée. Le litige soulevait la question fondamentale de la répartition de la charge de la preuve dans le contentieux de l’apurement des comptes et des conditions de mise en œuvre des corrections forfaitaires par la Commission. En réponse, la Cour de justice a rejeté le recours de l’État membre, validant entièrement l’approche de la Commission. Elle a rappelé que si la Commission doit apporter la preuve du doute sérieux et raisonnable quant à la régularité des dépenses, il incombe ensuite à l’État membre de démontrer de manière détaillée et complète la conformité de ses systèmes et de ses déclarations. La Cour a jugé que les défaillances constatées étaient suffisamment graves et systémiques pour justifier l’application du taux de correction le plus élevé. Ainsi, la Cour a confirmé la légitimité du pouvoir de sanction de la Commission face aux manquements d’un État dans ses obligations de contrôle (I), tout en validant la méthode d’évaluation forfaitaire du préjudice financier qui en résulte (II).
I. La consolidation des prérogatives de la Commission dans le contrôle des dépenses agricoles
La décision commentée réaffirme le rôle central de la Commission dans la procédure d’apurement des comptes, d’une part en consacrant une répartition de la charge de la preuve qui lui est favorable (A), et d’autre part, en procédant à une interprétation rigoureuse des obligations de contrôle incombant aux États membres (B).
A. L’aménagement de la charge de la preuve au profit de la Commission
L’arrêt rappelle avec force le principe jurisprudentiel constant en matière d’apurement des comptes du FEOGA. La Cour énonce qu’il n’appartient pas à la Commission de « démontrer d’une façon exhaustive l’irrégularité des données transmises par les États membres, mais de présenter un élément de preuve du doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouve à l’égard de ces données ». Cette règle allège considérablement le fardeau probatoire de la Commission. Une fois ce doute établi, la charge de la preuve est renversée et il revient à l’État membre de fournir la preuve « la plus détaillée et complète de la réalité de ses chiffres et, le cas échéant, de l’inexactitude des calculs de la Commission ».
La justification de ce mécanisme probatoire réside dans le fait que l’État membre est le mieux placé pour recueillir et vérifier les informations nécessaires. Cette asymétrie d’information justifie que l’État, qui gère les fonds communautaires, doive en garantir la bonne utilisation et en apporter la preuve irréfutable en cas de contestation. En l’espèce, la Cour a estimé que l’État requérant n’avait pas réussi à réfuter les éléments présentés par la Commission concernant les multiples défaillances de son système de contrôle. Ces défaillances, relatives notamment à l’absence de matériel de pesage adéquat, à des procédures de scellement défectueuses ou encore à des contrôles physiques inopinés rendus impossibles, constituaient un faisceau d’indices suffisant pour établir le doute raisonnable de la Commission.
B. L’interprétation stricte des obligations réglementaires de contrôle
La Cour confirme que les obligations de contrôle qui pèsent sur les autorités nationales doivent être interprétées et appliquées avec une rigueur particulière. Elle examine plusieurs griefs techniques pour conclure à la réalité des manquements de l’État membre. Concernant la règle de l’équivalence, la Cour juge que, conformément à l’article 27, paragraphe 3, du règlement n° 3665/87, des produits de base ne peuvent être remplacés que par des produits se situant « au même stade du processus de transformation », ce qui exclut la substitution par des produits finis. L’autorisation d’une telle pratique par les autorités nationales constituait donc une violation manifeste du droit communautaire.
De même, la Cour souligne l’importance du contrôle physique des marchandises dès l’acceptation de la déclaration de paiement. Elle en déduit que les autorités douanières doivent « être informées en permanence des quantités de marchandises en stock » afin d’exclure toute déclaration portant sur des marchandises inexistantes. L’absence de vérification systématique de la présence physique des stocks au moment du dépôt des déclarations est ainsi considérée comme une carence grave du système. Ces exemples démontrent que la Cour n’admet aucune flexibilité dans l’application des règles de contrôle, dont le but est de prévenir tout risque de fraude ou de négligence susceptible d’affecter les finances de la Communauté.
La validation par la Cour des manquements relevés par la Commission ouvre la voie à l’examen de la légitimité de la sanction financière appliquée. La Cour s’attache alors à justifier le recours à une correction forfaitaire et son niveau particulièrement élevé.
II. La légitimation de la correction forfaitaire comme outil de sanction
L’arrêt est également remarquable en ce qu’il valide l’application d’une correction forfaitaire de dix pour cent, soit le taux le plus élevé. La Cour admet ainsi le principe d’une correction fondée sur une évaluation du risque (A) et écarte l’argument de l’État requérant tiré d’une prétendue rupture d’égalité de traitement (B).
A. L’application d’une correction élevée fondée sur l’évaluation du risque
Face à des manquements systémiques, la Commission n’est pas tenue de quantifier précisément le préjudice financier résultant de chaque irrégularité. La Cour reconnaît la validité de la méthode d’évaluation forfaitaire du risque, telle que définie dans les lignes directrices de la Commission. Elle rappelle que trois taux de correction sont prévus : deux, cinq ou dix pour cent, selon la gravité des carences constatées. L’application du taux de dix pour cent est réservée aux cas où « la carence concerne l’ensemble ou les éléments fondamentaux du système de contrôle », créant ainsi « un risque élevé de pertes généralisées pour le FEOGA ».
En l’espèce, la Cour estime que les nombreuses défaillances relevées, qui touchaient tant le secteur de la viande bovine que celui des céréales, affectaient des éléments essentiels du dispositif de contrôle. L’insuffisance des contrôles physiques, les problèmes d’identification des marchandises, les faiblesses dans les procédures de pesage et de scellement constituaient des carences fondamentales. La Cour a également jugé que les enquêtes menées par la Commission, bien que limitées à un nombre restreint de bureaux, étaient suffisamment représentatives pour permettre une extrapolation à l’ensemble du système national. Dès lors, la Commission était en droit de conclure à l’existence d’un risque majeur justifiant la correction la plus sévère.
B. Le rejet de la violation du principe d’égalité de traitement
L’État requérant soutenait que la Commission avait manqué au principe d’égalité de traitement en lui infligeant une correction de dix pour cent, alors que d’autres États membres, pour des carences prétendument similaires, n’avaient subi qu’une correction de cinq pour cent. La Cour rejette cet argument en rappelant que le principe d’égalité de traitement ne proscrit une différence de traitement qu’à l’égard de situations comparables, sauf justification objective. Or, chaque procédure d’apurement doit être appréciée séparément.
La Cour constate que, dans le cas présent, « la liste des carences affectant le royaume de Belgique est plus longue que celle qui concerne les autres États membres contrôlés et que les carences et défaillances du système belge de contrôle atteignaient un degré de gravité plus important ». Les situations n’étant pas comparables, il ne pouvait y avoir de discrimination. Cette analyse réaffirme que la détermination du taux de correction relève d’une appréciation au cas par cas, fondée sur la nature, le nombre et la gravité des manquements propres à chaque État membre. La simple référence à un traitement prétendument plus favorable accordé à d’autres ne suffit pas à établir une violation du principe d’égalité.