Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 2 mai 1996. – Faaborg-Gelting Linien A/S contre Finanzamt Flensburg. – Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof – Allemagne. – Demande de décision préjudicielle – TVA – Opérations de restauration à bord d’un navire – Lieu des opérations imposables. – Affaire C-231/94.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes au début de l’année 1996 apporte une clarification essentielle sur le traitement des opérations de restauration au regard de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision, rendue sur question préjudicielle, examine la nature juridique de ces opérations afin d’en déterminer le lieu de taxation. En l’espèce, une société de transport maritime exploitant une ligne régulière entre le Danemark et l’Allemagne se voyait imposer par les autorités fiscales allemandes pour les repas servis à bord de ses navires durant la traversée en eaux territoriales allemandes. Celles-ci qualifiaient la vente de repas de livraison de biens, taxable au lieu où se trouve le bien au moment de la livraison, conformément à l’article 8 de la sixième directive TVA. La société contestait cette analyse, soutenant qu’il s’agissait de prestations de services dont le lieu de taxation devait être celui du siège de son activité économique, situé au Danemark, en application de l’article 9 de la même directive. Le litige fut porté devant le Bundesfinanzhof, qui sursit à statuer pour interroger la Cour sur l’interprétation des dispositions pertinentes du droit communautaire. La question de droit posée était donc de savoir si les opérations de restauration doivent être qualifiées de livraisons de biens ou de prestations de services, et quel critère de rattachement territorial en découle pour l’application de la taxe. La Cour juge que ces opérations constituent des prestations de services, le lieu d’imposition étant celui où le prestataire a établi le siège de son activité économique.

La solution retenue par la Cour repose sur une analyse fonctionnelle de l’opération de restauration, privilégiant la composante de service (I), ce qui permet de déterminer un critère de rattachement fiscal rationnel et unifié (II).

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I. La qualification de l’opération de restauration par la prédominance du service

La Cour opère une distinction fondamentale entre la simple fourniture d’un bien et l’ensemble complexe que constitue une opération de restauration. Pour ce faire, elle rejette une qualification fondée sur l’élément matériel (A) au profit d’une méthode d’analyse globale consacrant la prééminence des services (B).

A. Le dépassement d’une qualification par la nature du bien

L’analyse des autorités fiscales nationales reposait sur une approche matérielle, considérant que la fourniture d’aliments et de boissons constituait le cœur de l’opération, la qualifiant ainsi de livraison de biens. Cette vision, bien que simple, ne rendait pas compte de la réalité économique de la transaction vécue par le consommateur. La Cour écarte cette perspective en refusant de décomposer artificiellement l’opération pour n’en retenir que la composante tangible. Une telle démarche aurait conduit à ignorer l’environnement et les actes qui accompagnent la consommation des produits, lesquels en modifient substantiellement la nature.

En effet, limiter l’opération à une simple vente de nourriture reviendrait à ignorer la valeur ajoutée apportée par le prestataire, qui ne se résume pas à la transmission de la propriété d’un plat. La Cour de justice choisit délibérément une approche plus large, qui prend en compte l’ensemble des circonstances de la transaction pour en dégager les éléments caractéristiques. Cette méthode préfigure une jurisprudence constante visant à appréhender les opérations complexes dans leur globalité, sans s’arrêter à une qualification parcellaire qui méconnaîtrait leur finalité économique.

B. La consécration de la méthode du faisceau d’indices

Pour déterminer la nature de l’opération, la Cour examine l’ensemble des éléments qui la composent et constate que la fourniture de la nourriture n’est qu’un aspect d’un tout plus vaste. Elle énonce que « l’opération de restauration est caractérisée par un faisceau d’éléments et d’actes dont la livraison de nourriture n’est qu’une composante et au sein duquel les services prédominent largement ». Ces services incluent la préparation des plats, leur présentation, la mise à disposition d’une infrastructure d’accueil comme une salle, du mobilier et de la vaisselle, ainsi que le service à table par du personnel qualifié.

C’est donc bien la prédominance de ces éléments de service qui emporte la qualification de la transaction dans son ensemble. La Cour souligne cette prépondérance en distinguant explicitement l’opération de restauration de la vente d’aliments « à emporter », laquelle, dépourvue de services annexes significatifs, relève de la livraison de biens. Cette analyse fonctionnelle permet d’établir une frontière claire entre deux types de transactions et d’assurer que la qualification fiscale corresponde fidèlement à la nature de la prestation offerte au consommateur.

II. La détermination d’un critère de rattachement fiscal rationnel

Une fois l’opération qualifiée de prestation de services, la Cour en tire les conséquences quant à son lieu de taxation, affirmant la primauté du siège de l’activité comme point de rattachement (A), ce qui renforce l’harmonisation du système commun de TVA (B).

A. La primauté du siège de l’activité économique comme point de rattachement

La qualification de prestation de services entraîne l’application de l’article 9, paragraphe 1, de la sixième directive. Cette disposition désigne comme lieu d’imposition « l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique ». La Cour confirme que ce critère constitue le « point de rattachement prioritaire ». Le recours à un autre établissement, comme un établissement stable, n’est envisagé que de manière subsidiaire, notamment si le rattachement au siège ne conduit pas à une solution fiscale rationnelle ou crée un conflit de compétence avec un autre État membre.

Dans le cas d’espèce, la Cour juge qu’un lieu de restauration à bord d’un navire ne peut être considéré comme un établissement stable, car il ne présente pas la « consistance minimale, par la réunion permanente des moyens humains et techniques nécessaires à des prestations de services déterminées ». Par conséquent, le siège de la compagnie de ferries constitue le seul point de rattachement pertinent. Ce faisant, la Cour opte pour un critère stable et certain, qui évite les difficultés liées à la localisation d’une prestation réalisée sur un moyen de transport en mouvement entre plusieurs territoires fiscaux.

B. La consolidation de l’harmonisation du système commun de TVA

Au-delà de la résolution du litige, cette décision a une portée significative pour l’uniformité du marché intérieur. En établissant une règle d’interprétation claire et unique pour l’ensemble des États membres, la Cour prévient les risques de double imposition ou de non-imposition qui pourraient résulter de qualifications nationales divergentes. L’arrêt garantit ainsi que des opérations économiques similaires reçoivent un traitement fiscal identique, indépendamment du lieu de leur exécution matérielle, renforçant la neutralité de la taxe.

La solution assure une sécurité juridique aux opérateurs économiques transfrontaliers, qui peuvent ainsi déterminer avec certitude leurs obligations fiscales. En qualifiant les opérations de restauration de prestations de services et en les rattachant au siège du prestataire, la Cour fournit une grille d’analyse applicable à de nombreuses autres prestations complexes. Cet arrêt de principe illustre le rôle de la Cour comme acteur de l’harmonisation fiscale, veillant à ce que l’application de la TVA soit cohérente avec les objectifs de suppression des entraves à la libre circulation des services.

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