Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 20 juin 2002. – Radiosistemi Srl contre Prefetto di Genova. – Demande de décision préjudicielle: Giudice di pace di Genova – Italie. – Directive 1999/5/CE – Équipements hertziens et équipements terminaux de télécommunications – Compatibilité d’un régime national interdisant la commercialisation d’appareils radio ne portant pas une marque d’homologation nationale – Admissibilité des sanctions prévues par la législation nationale. – Affaires jointes C-388/00 et C-429/00.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 21 février 2002, dans les affaires jointes C-388/00 et C-429/00, offre une illustration précise des principes fondamentaux régissant la libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne. Il met en lumière la tension entre les réglementations nationales et les impératifs du marché unique. En l’espèce, une société importait dans un État membre des équipements de radiocommande légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres. Ces appareils, bien que conformes aux normes techniques nationales d’utilisation des fréquences et portant le marquage « CE », ont fait l’objet d’une saisie administrative suivie de l’imposition d’amendes. Les autorités nationales justifiaient ces mesures par l’absence d’une marque d’homologation spécifique prévue par leur législation interne. La société importatrice a contesté ces sanctions devant une juridiction nationale, arguant de leur incompatibilité avec le droit communautaire. Saisie de plusieurs questions préjudicielles par cette juridiction, la Cour de justice a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises, ainsi qu’avec les dispositions d’une directive d’harmonisation. La question centrale était donc de savoir si un État membre peut subordonner la commercialisation d’un produit à l’obtention d’une homologation nationale, alors même que ce produit est conforme aux exigences essentielles et peut le prouver par d’autres moyens. La Cour a jugé qu’une telle exigence constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, prohibée par l’article 28 CE. Elle a en outre affirmé l’effet direct de plusieurs dispositions de la directive d’harmonisation applicable et, par voie de conséquence, l’illégalité des sanctions infligées sur le fondement de la réglementation nationale non conforme.

La solution de la Cour clarifie ainsi le conflit entre une formalité administrative nationale et les principes cardinaux du marché intérieur. Elle réaffirme avec force la primauté du droit de l’Union, que ce soit à travers les dispositions du traité ou par le biais d’une directive d’harmonisation. L’analyse se portera d’abord sur la caractérisation de l’exigence d’homologation nationale comme une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises (I). Ensuite, il conviendra d’examiner la protection renforcée que la directive d’harmonisation confère aux opérateurs économiques, notamment à travers son effet direct (II).

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I. L’entrave à la libre circulation des marchandises caractérisée par l’exigence d’une homologation nationale

La Cour de justice examine la réglementation nationale litigieuse au regard des règles fondamentales du traité. Elle conclut que l’obligation d’obtenir une homologation nationale constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative (A) et que cette mesure n’est pas justifiée au regard du principe de proportionnalité (B).

A. L’identification d’une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire doit être considérée comme une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative. En l’espèce, la législation nationale interdisait l’importation, la commercialisation ou la détention pour la vente d’équipements hertziens qui, bien que légalement produits et commercialisés dans d’autres États membres, ne portaient pas la marque d’homologation nationale. Une telle exigence, en conditionnant l’accès au marché à une procédure purement nationale, freine nécessairement l’importation de produits conformes.

La Cour confirme explicitement que cette situation relève de la prohibition de l’article 28 CE. Elle énonce de manière claire que « constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative, au sens de l’article 28 ce, la réglementation d’un État membre qui interdit d’importer, de commercialiser ou de détenir pour la vente des équipements hertziens dépourvus d’une marque d’homologation nationale ». Cette approche formalise le fait que l’obstacle ne réside pas dans une non-conformité technique du produit, mais dans le formalisme administratif imposé par l’État membre d’importation. La mesure est d’autant plus restrictive qu’elle s’applique à des produits dont la conformité technique aux règles nationales est par ailleurs avérée.

B. Le rejet d’une justification fondée sur des exigences impératives

Une mesure restrictive peut être exceptionnellement admise si elle est justifiée par l’une des raisons énumérées à l’article 30 CE ou par une exigence impérative reconnue par la jurisprudence. L’État membre concerné invoquait implicitement la nécessité de garantir le bon usage du spectre des fréquences radio, ce qui constitue une exigence impérative légitime. Toutefois, pour être justifiée, la mesure doit être proportionnée à l’objectif poursuivi. Elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Or, la Cour constate que la réglementation nationale ne respecte pas ce principe de proportionnalité. En imposant une procédure d’homologation nationale comme seul moyen de prouver la conformité, elle exclut toute alternative. La Cour souligne qu’il devrait exister « la possibilité de prouver d’une façon équivalente et moins onéreuse la conformité desdits appareils aux conditions concernant le bon usage des fréquences radio ». L’exigence d’une homologation nationale est donc jugée disproportionnée, car elle fait double emploi avec des contrôles déjà effectués ou facilement réalisables par des moyens moins contraignants, tels que ceux attestés par le marquage « CE » ou des rapports techniques. La mesure est donc une restriction déguisée au commerce.

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II. La portée renforcée de la protection des opérateurs par l’effet direct de la directive

Au-delà de l’analyse fondée sur le traité, la Cour se prononce sur les effets de la directive 1999/5/CE, dont le délai de transposition avait expiré. Elle reconnaît l’invocabilité de certaines de ses dispositions par les particuliers (A), ce qui conduit logiquement à déclarer illicites les sanctions fondées sur une réglementation nationale devenue incompatible avec le droit de l’Union (B).

A. L’invocabilité des dispositions d’une directive non transposée

La Cour rappelle qu’en l’absence de transposition d’une directive dans les délais, les particuliers peuvent invoquer devant les juridictions nationales les dispositions de cette directive qui apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises. La Cour procède à l’examen des articles 6, 7 et 8 de la directive et conclut qu’ils remplissent ces conditions. Ces articles interdisent aux États membres de soumettre les équipements conformes à d’autres exigences nationales de mise sur le marché ou de mise en service. Ils établissent une présomption de conformité pour les appareils portant le marquage « CE ».

La décision de la Cour est sans équivoque : « Les dispositions des articles 6, paragraphe 1, seconde phrase, 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1, de la directive 1999/5/ce […] attribuent aux justiciables des droits qui peuvent être invoqués devant les juridictions nationales bien que la directive elle-même n’ait pas été formellement transposée en droit interne ». Cet effet direct confère aux opérateurs économiques une arme juridique puissante pour contester le maintien de réglementations nationales qui sont devenues obsolètes et incompatibles avec le cadre réglementaire harmonisé. L’État membre ne peut se prévaloir de sa propre défaillance à transposer la directive pour refuser aux justiciables les droits que celle-ci leur octroie.

B. L’illicéité des sanctions découlant d’une réglementation nationale contraire au droit de l’Union

La dernière question portait sur la compatibilité avec le droit communautaire des sanctions prévues par la réglementation nationale. La réponse de la Cour est une conséquence logique du raisonnement précédent. Si la réglementation nationale qui impose l’homologation est contraire à la fois à l’article 28 CE et aux dispositions d’effet direct de la directive, les sanctions visant à en assurer le respect le sont également.

La Cour affirme ce principe avec force en déclarant que « lorsqu’une réglementation nationale a été reconnue contraire au droit communautaire, infliger des amendes ou d’autres mesures coercitives au titre d’une contravention à cette réglementation est également incompatible avec le droit communautaire ». Cette solution garantit l’effectivité du droit de l’Union. Permettre à un État membre de sanctionner la violation d’une règle nationale illicite viderait de leur substance les principes de primauté et d’effet direct. La Cour assure ainsi une protection complète des droits que les opérateurs économiques tirent du marché unique, en invalidant non seulement l’obstacle commercial lui-même, mais aussi l’appareil coercitif qui le soutient.

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Hassan KOHEN
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