Par un arrêt en date du 8 mai 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la légalité de décisions de la Commission européenne refusant d’autoriser des aides d’État à la fermeture pour certaines entreprises sidérurgiques italiennes. Cette décision offre une clarification importante des principes régissant le contrôle des aides dans le secteur du charbon et de l’acier.
En l’espèce, plusieurs entreprises sidérurgiques italiennes avaient sollicité le bénéfice d’un régime d’aides à la fermeture, mis en place par la République italienne et notifié à la Commission. Ce régime national transposait les dispositions du cinquième code des aides à la sidérurgie, une décision de la Commission prise sur le fondement du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Après avoir autorisé le régime d’aide dans son principe, la Commission a examiné les cas individuels. Elle a constaté que les entreprises requérantes n’avaient pas respecté la condition de « production régulière » durant la période de référence, affichant une production nulle ou très faible par rapport à leur capacité. Par conséquent, par des décisions de 1996, elle a déclaré les aides envisagées en leur faveur incompatibles avec le marché commun. Saisies d’un recours en annulation par les entreprises concernées, le Tribunal de première instance a rejeté leurs prétentions par un arrêt du 12 mai 1999. Les entreprises ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice.
Le problème juridique soumis à la Cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer la portée de l’interdiction des aides d’État posée par l’article 4, sous c), du traité CECA, et notamment de savoir si elle supposait une distorsion avérée de la concurrence. D’autre part, la Cour était conduite à préciser les modalités d’interprétation des conditions dérogatoires prévues par le cinquième code des aides, en particulier l’exigence d’une production régulière comme condition d’éligibilité à une aide à la fermeture.
Dans sa décision, la Cour de justice rejette les pourvois et confirme intégralement l’analyse du Tribunal de première instance. Elle valide la lecture stricte du régime des aides CECA, considérant que l’interdiction posée par le traité est de principe et ne requiert pas la preuve d’une distorsion de concurrence. Elle approuve également l’interprétation restrictive de la condition de production régulière, la jugeant nécessaire à l’accomplissement des objectifs du code des aides. Cette décision réaffirme la spécificité et la rigueur du régime CECA en matière d’aides d’État (I), ce qui justifie une application stricte des conditions d’octroi des aides dérogatoires (II).
I. La réaffirmation de la spécificité du régime des aides d’État CECA
La Cour de justice fonde son raisonnement sur la nature particulière du traité CECA, qui se distingue nettement du régime général institué par le traité de Rome. Elle rappelle ainsi le caractère quasi absolu de l’interdiction des aides (A), ce qui impose une lecture particulièrement restrictive des dérogations possibles (B).
A. Le caractère inconditionnel de l’interdiction des aides
L’un des apports essentiels de l’arrêt est de rappeler la différence de nature fondamentale entre le contrôle des aides sous l’empire du traité CECA et celui prévu par le traité CE. Contrairement au régime général, le régime sectoriel de l’acier n’exige pas que l’aide fausse ou menace de fausser la concurrence pour être jugée incompatible. La Cour énonce ce principe de manière très claire en approuvant le raisonnement du Tribunal. Elle relève que « l’article 4, sous c), du traité ceca, à la différence de l’article 92, paragraphe 1, du traité ce, ne requiert pas, pour que les aides soient considérées comme incompatibles avec le marché commun, la condition qu’elles faussent ou menacent de fausser la concurrence ».
Cette solution signifie que toute subvention ou aide accordée par un État est présumée incompatible avec le marché commun du charbon et de l’acier. L’interdiction est un principe cardinal destiné à garantir des conditions de concurrence considérées comme normales, sans qu’il soit besoin pour la Commission de démontrer un impact concret sur le marché. L’aide est donc illicite par sa nature même, non par ses effets. Cette approche radicalement différente de celle du traité CE s’explique par les objectifs propres au traité CECA, visant à encadrer un secteur économique jugé stratégique par une discipline de marché particulièrement stricte.
Cette interdiction de principe, d’une portée générale, entraîne logiquement une conséquence majeure quant aux possibilités d’y déroger.
B. L’interprétation stricte nécessaire des régimes dérogatoires
Puisque l’interdiction des aides constitue la règle, toute exception doit être interprétée de manière restrictive. La Cour applique ce principe classique d’interprétation au cinquième code des aides à la sidérurgie. Ce code, adopté sur la base de l’article 95 du traité CECA pour faire face aux besoins de restructuration du secteur, n’en constitue pas moins une exception à la prohibition de l’article 4, sous c). À ce titre, il ne saurait faire l’objet d’une lecture extensive. La Cour le confirme sans ambiguïté en affirmant que « le cinquième code constituant une dérogation à l’article 4 du traité ceca, il doit être interprété de façon stricte ».
Cette exigence d’interprétation stricte justifie l’approche rigoureuse adoptée par la Commission dans l’examen des aides notifiées. Elle ne dispose que d’une marge d’appréciation limitée, encadrée par les termes mêmes du code des aides. Il en découle que pour qu’une aide soit déclarée compatible, elle doit respecter l’ensemble des conditions énumérées de manière cumulative et précise. L’absence d’une seule de ces conditions suffit à rendre l’aide illégale, sans que la Commission puisse y substituer une appréciation globale ou plus souple. Cette logique systémique fonde la validité du contrôle opéré par la Commission et confirmé par le Tribunal.
L’application de cette double grille de lecture, interdiction de principe et interprétation stricte des dérogations, conduit la Cour à approuver l’analyse menée quant aux conditions d’éligibilité des entreprises.
II. La validation de l’application restrictive des conditions dérogatoires
La Cour de justice tire les conséquences de son analyse principielle pour valider la méthode d’appréciation de la Commission. Elle se concentre sur l’interprétation de la condition de production régulière (A) et sur les obligations procédurales qui en découlent, notamment en matière de motivation et de non-discrimination (B).
A. L’appréciation de la condition de production régulière
Le cœur du litige portait sur la notion de « production régulière » exigée par le cinquième code pour l’octroi d’une aide à la fermeture. Les entreprises requérantes soutenaient qu’une simple aptitude technique à produire suffisait. La Commission avait retenu une approche quantitative, considérant qu’une production effective significative était nécessaire. La Cour valide cette dernière approche en s’attachant à la finalité de la disposition. Elle approuve l’appréciation du Tribunal selon laquelle « la condition de la production régulière […] a été adoptée afin de renforcer l’effet utile des aides à la fermeture en assurant qu’elles aient des effets suffisamment significatifs, non seulement en termes de démantèlement d’installations, mais aussi de réduction du niveau actuel de la production ».
Le raisonnement est donc téléologique. L’objectif d’une aide à la fermeture n’est pas de subventionner des capacités de production déjà inactives ou quasi inactives, mais bien de retirer du marché des acteurs qui y sont effectivement présents et dont la disparition entraînera une réduction réelle de la production globale. Une entreprise qui ne produit plus ou très peu ne pèse plus sur le marché, et sa fermeture n’aurait donc pas l’« effet utile » recherché par le régime d’aide. L’interprétation retenue par la Commission, et validée par la Cour, apparaît ainsi comme la seule apte à garantir la réalisation de l’objectif de restructuration saine du secteur sidérurgique. Elle empêche que des aides publiques ne soient détournées pour récompenser des entreprises déjà sorties du marché de fait.
Cette approche rigoureuse se répercute sur les obligations procédurales de la Commission et sur l’appréciation des situations individuelles.
B. Le rejet des griefs relatifs à la motivation et à la non-discrimination
Les entreprises requérantes faisaient également valoir que la Commission n’avait pas suffisamment motivé ses décisions et avait violé le principe de non-discrimination en traitant leur situation différemment de celle d’autres entreprises. La Cour rejette ces deux arguments. Sur l’obligation de motivation, elle énonce une règle d’une grande clarté dans le cadre d’un régime dérogatoire strict. Elle affirme qu’ « est exclue toute nécessité de motivation autre que sa constatation que certains critères visés par ce régime ne sont pas remplis en l’espèce ».
Autrement dit, dès lors que la Commission constate objectivement qu’une condition essentielle du code des aides n’est pas satisfaite, elle n’est pas tenue de répondre à tous les arguments secondaires présentés par l’entreprise ou l’État membre concerné. La motivation de sa décision de refus se trouve et se suffit dans la démonstration du non-respect de l’une des conditions d’éligibilité. Quant au grief tiré d’une rupture d’égalité, la Cour rappelle qu’une différence de traitement n’est discriminatoire que si elle concerne des situations comparables. En l’espèce, elle estime que le Tribunal a correctement établi que les situations des entreprises requérantes n’étaient pas objectivement comparables à celles des entreprises ayant bénéficié d’une aide, justifiant ainsi une issue différente.