Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 21 octobre 1986. – C. Fabbro et autres contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Article 45, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires. – Affaires jointes 269 et 292/84.

Par un arrêt rendu en chambres jointes, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de mobilité des fonctionnaires entre les différents services des institutions. Des fonctionnaires de la catégorie administrative générale ont été confrontés à une nouvelle politique de la Commission européenne. Celle-ci avait décidé, par une note d’information générale, de permettre aux fonctionnaires du cadre linguistique de postuler aux emplois administratifs dès la première phase de la procédure de vacance, sans passer de concours. S’appuyant sur cette orientation, l’administration a ensuite procédé à la nomination d’un agent issu du cadre linguistique à un poste de la catégorie administrative, rejetant par la même occasion la candidature d’un fonctionnaire de cette dernière catégorie.

Plusieurs fonctionnaires administratifs ont alors saisi la Cour de justice de deux recours distincts. Le premier visait à l’annulation de la décision générale instaurant cette nouvelle politique de mobilité. Le second contestait la légalité des décisions individuelles d’application, à savoir la nomination de l’agent linguiste et le rejet de leur propre collègue. Ils soutenaient que cette pratique violait les dispositions du statut des fonctionnaires qui imposent une séparation stricte des carrières et exigent un concours pour passer d’un cadre à une catégorie. La Commission, pour sa part, justifiait sa décision par l’intérêt du service, qui commanderait une plus grande mobilité du personnel, et par une interprétation souple des textes statutaires.

Se posaient alors à la Cour deux questions juridiques successives. D’une part, une communication interne annonçant une intention future de l’administration constitue-t-elle un acte susceptible de recours, affectant directement la situation juridique des fonctionnaires ? D’autre part, le passage d’un fonctionnaire du cadre linguistique à un emploi de la catégorie administrative, au sein du même groupe de fonctions, est-il subordonné à la réussite d’un concours en application du statut ?

La Cour a répondu à la première question par la négative, jugeant le recours contre la note d’information irrecevable, car celle-ci ne constituait pas un acte faisant grief. En revanche, elle a répondu positivement à la seconde question. Elle a annulé les décisions individuelles de nomination et de rejet, affirmant que le statut impose bien l’organisation d’un concours pour un tel changement de corps. L’analyse de la Cour se déploie en deux temps, examinant d’abord la condition de recevabilité de l’action pour ensuite affirmer une lecture rigoureuse des règles statutaires. Il convient donc d’étudier la conception stricte de l’acte faisant grief retenue par la Cour (I), avant de se pencher sur la réaffirmation de l’étanchéité entre les cadres et les catégories de fonctionnaires (II).

I. La conception restrictive de l’acte faisant grief comme filtre du contentieux

La Cour de justice adopte une approche rigoureuse de la recevabilité, qui conduit à distinguer nettement les déclarations d’intention des décisions créatrices d’effets juridiques. Elle déclare ainsi irrecevable le recours dirigé contre la note d’information générale (A), considérant que la simple diminution des perspectives de carrière ne constitue pas un préjudice direct et certain (B).

A. L’irrecevabilité de l’action contre une simple déclaration d’intention

La Cour écarte le premier recours en se fondant sur une analyse de la nature de l’acte attaqué. Elle observe que la décision du 11 juillet 1984 « se limite à énoncer l’intention de l’administration de prendre en considération, dans l’avenir, les candidatures des fonctionnaires du cadre la pour pourvoir à des emplois de la catégorie a ». Une telle manifestation de volonté, dépourvue de caractère exécutoire immédiat, ne peut être qualifiée d’acte faisant grief. L’acte attaquable est celui qui modifie par lui-même l’ordonnancement juridique.

La Cour souligne que « la simple manifestation d’une telle intention à mettre en oeuvre dans l’avenir n’est pas susceptible de créer des droits et des obligations correspondantes dans le chef des fonctionnaires ». En conséquence, un tel acte est « dénué d’effets juridiques » et ne peut faire l’objet d’un recours en annulation. Cette solution classique du contentieux administratif rappelle que le précontentieux ne saurait être ouvert contre de simples orientations politiques ou des mesures préparatoires. Les fonctionnaires ne peuvent contester une politique qu’à travers ses actes d’application concrets qui affectent directement leur situation statutaire.

B. L’insuffisance d’un grief tiré de la réduction des chances de promotion

Les requérants soutenaient que la nouvelle politique de mobilité, en augmentant le nombre de candidats potentiels aux postes administratifs, réduisait mathématiquement leurs chances de promotion. Ce faisant, elle leur causait un grief personnel, né et actuel, justifiant leur intérêt à agir. La Cour, sans le formuler explicitement, rejette cette argumentation en jugeant l’acte insusceptible de recours. Elle considère que la seule altération des perspectives de carrière est un préjudice trop hypothétique pour ouvrir droit à une action en justice.

Cette position établit une frontière claire entre la lésion d’un droit acquis et la simple modification d’une espérance. La situation juridique d’un fonctionnaire n’est pas affectée par une mesure qui ne fait que rendre sa progression de carrière potentiellement plus compétitive. Le préjudice ne devient certain et direct qu’au moment où un candidat issu d’un autre cadre est effectivement nommé à un poste auquel le requérant aurait pu prétendre, comme c’est le cas dans la seconde affaire. La Cour canalise ainsi le contentieux vers les décisions individuelles, évitant un contrôle abstrait des politiques de gestion des ressources humaines.

II. La réaffirmation de l’étanchéité statutaire entre cadres et catégories

Sur le fond, la Cour de justice opère un contrôle de légalité rigoureux des décisions individuelles. Elle écarte les justifications fondées sur l’opportunité et l’intérêt du service (A) pour imposer une interprétation littérale et systématique de l’article 45, paragraphe 2, du statut (B).

A. Le rejet d’une interprétation finaliste des règles de mobilité

La Commission défenderesse invoquait largement l’esprit de sa réforme, destinée à assurer une plus grande mobilité du personnel et à décloisonner les services. Elle mettait en avant la nécessité d’une gestion plus souple des carrières, dans l’intérêt même d’une administration efficace. Cet argumentaire téléologique, fondé sur les objectifs de la politique de gestion, n’a pas convaincu la Cour. Celle-ci refuse de laisser l’opportunité administrative primer sur la lettre du statut.

En jugeant les nominations illégales, la Cour rappelle que l’administration, même lorsqu’elle poursuit des objectifs légitimes, reste soumise au principe de légalité. La structure des carrières, telle que définie par le statut, constitue un cadre juridique contraignant qui ne peut être aménagé par de simples pratiques administratives, quand bien même elles seraient jugées souhaitables. La fin ne justifie pas les moyens si ces derniers contreviennent à une règle de droit formelle. La Cour se positionne ainsi en gardienne de la hiérarchie des normes au sein même de l’ordre juridique communautaire.

B. L’interprétation stricte de la distinction entre cadre et catégorie

Le cœur du raisonnement de la Cour repose sur une lecture rigoureuse des dispositions statutaires. Elle constate que « les notions de ‘catégorie’ et de ‘cadre’ constituent dans le statut des fonctionnaires deux notions distinctes aux effets statutaires et juridiques précis ». Le statut opère une « distinction systématique entre catégorie et cadre » à travers de nombreuses dispositions relatives à la carrière. L’appartenance à un cadre spécifique, comme le cadre linguistique, n’est pas neutralisée par l’appartenance à une catégorie générale.

La Cour en tire la conséquence inéluctable en interprétant l’article 45, paragraphe 2, du statut. Ce texte dispose que « le passage d’un fonctionnaire d’un cadre ou d’une catégorie à un autre cadre ou à une catégorie supérieure ne peut avoir lieu qu’après concours ». Elle en conclut, de manière lapidaire, que « le passage du cadre linguistique au cadre administratif de la catégorie a ne peut avoir lieu qu’en vertu d’un concours ». Cette disposition est jugée fondamentale et ne laisse aucune marge de manœuvre à l’administration. La Cour renforce son analyse par un argument a contrario, notant que le statut prévoit une dérogation expresse pour les fonctionnaires des cadres scientifique ou technique, ce qui confirme a contrario l’application de la règle générale au cadre linguistique.

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Hassan KOHEN
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