Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 23 janvier 1997. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’Etat – Non-transposition de directives concernant des problèmes sanitaires et de police sanitaire. – Affaire C-314/95.

Par un arrêt du 12 septembre 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. La Commission reprochait à cet État de ne pas avoir transposé dans les délais impartis une série de sept directives du Conseil, toutes relatives à des questions sanitaires et de police sanitaire dans le secteur agroalimentaire. Les directives concernaient notamment la production de viandes de gibier, de lait et de volaille, ainsi que les échanges d’animaux et de produits d’origine animale. Les délais de transposition, fixés en principe au 1er janvier 1994, n’avaient pas été respectés par l’État défendeur.

La procédure précontentieuse a débuté par une lettre de mise en demeure de la Commission le 10 février 1994. Les autorités nationales ont répondu en mars 1994, indiquant que les mesures de transposition étaient en cours d’élaboration. Face à l’absence de communication ultérieure, la Commission a émis un avis motivé le 22 septembre 1994, accordant un nouveau délai de deux mois à l’État membre pour se conformer. Dans sa réponse d’octobre 1994, l’État a de nouveau justifié son retard par des difficultés procédurales internes, tout en réitérant sa volonté d’adopter les mesures nécessaires. Constatant que les directives n’étaient toujours pas transposées, la Commission a saisi la Cour de justice le 3 octobre 1995. Le problème de droit posé à la Cour était de savoir si un État membre peut invoquer des difficultés liées à son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des délais de transposition fixés par des directives communautaires.

La Cour de justice a répondu par la négative, en constatant le manquement de l’État. Elle a jugé que la non-adoption des dispositions nationales nécessaires pour se conformer aux directives dans les délais prescrits constituait une violation des obligations découlant de ces directives et du traité. La Cour rappelle ainsi de manière constante la force obligatoire des directives et l’impossibilité pour un État membre d’invoquer des circonstances internes pour se soustraire à ses engagements communautaires.

L’arrêt, bien que classique dans sa solution, permet de rappeler la rigueur avec laquelle le droit communautaire encadre les obligations des États membres (I). Il met en lumière le caractère essentiellement objectif du recours en manquement, dont la fonction est avant tout de garantir l’application effective et uniforme du droit communautaire (II).

I. La réaffirmation de l’obligation de transposition en droit communautaire

La décision de la Cour rappelle la nature impérative de l’obligation de transposition qui pèse sur les États membres (A). Elle confirme également que les contraintes procédurales internes ne sauraient justifier un manquement à cette obligation (B).

A. Le caractère absolu de l’obligation de transposition

L’arrêt réitère avec clarté le fondement et la portée de l’obligation pour chaque État membre d’assurer la transposition des directives. Cette obligation découle directement de l’article 189 du traité CE, qui confère aux directives leur caractère contraignant quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La Cour prend soin de souligner que cette obligation générale est, en l’espèce, « expressément répétée dans les dispositions spécifiques » de chacune des sept directives visées. Le manquement est donc d’autant moins contestable que l’État membre avait été notifié de délais précis et de l’étendue de ses devoirs pour chaque texte.

La Commission, dans sa requête, rappelle que cette obligation est une composante essentielle du principe de coopération loyale énoncé à l’article 5 du traité. En omettant de prendre les mesures nationales requises, l’État défendeur ne manque pas seulement à une obligation technique, mais porte atteinte à la structure même de l’ordre juridique communautaire. La Cour valide ce raisonnement en constatant le manquement sans analyser en détail la nature des directives, leur contenu ou leur complexité. L’absence de transposition dans les délais suffit, à elle seule, à caractériser la violation des obligations qui incombent à l’État en vertu du traité.

B. L’indifférence des justifications tirées de l’ordre interne

Face au manquement constaté, l’État membre ne conteste pas l’obligation qui lui incombe. Il se contente d’invoquer des retards dans sa procédure interne d’adoption des mesures d’application. Il déclare « s’efforcer d’accélérer la procédure » et espère se conformer « dans un bref délai ». Cette ligne de défense est systématiquement rejetée par la Cour de justice. Celle-ci confirme sa jurisprudence constante selon laquelle « un État membre ne saurait exciper des dispositions, pratiques ou situations de son ordre interne pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant des directives communautaires ».

Cette formule, rappelée par la Commission dans sa requête et implicitement validée par la Cour, est au cœur de l’autonomie et de la primauté du droit communautaire. Admettre une telle justification reviendrait à permettre aux États membres de moduler l’application du droit communautaire en fonction de leurs contingences politiques ou administratives. Cela créerait une insécurité juridique et une application différenciée des règles communes, ce qui est contraire aux objectifs fondamentaux du marché intérieur. La Cour se montre donc particulièrement stricte et considère que les difficultés internes, qu’elles soient d’ordre législatif, réglementaire ou administratif, doivent être surmontées par l’État membre pour garantir le respect de ses engagements.

II. La portée d’une décision au service de l’effectivité du droit communautaire

Cet arrêt s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle bien établie, ce qui en limite la portée novatrice (A). Sa principale valeur réside dans sa fonction coercitive, visant à assurer l’application uniforme du droit au sein de la Communauté (B).

A. Une solution classique dépourvue d’apport jurisprudentiel majeur

La décision commentée ne constitue pas un arrêt de principe et ne cherche pas à établir une nouvelle règle de droit. Le raisonnement de la Cour est bref, et sa conclusion s’appuie sur une jurisprudence solidement ancrée. En effet, la Cour se limite à constater que la transposition des directives « n’ayant pas été réalisée dans les délais prescrits, il y a lieu de considérer comme fondé le recours intenté à cet égard par la Commission ». La solution est attendue et ne laisse place à aucune discussion sur le fond du droit. Le caractère factuel et non contesté du manquement rendait l’issue du litige prévisible.

La valeur de la décision n’est donc pas à rechercher dans une contribution à la théorie du droit communautaire, mais dans son illustration du fonctionnement ordinaire du contentieux en manquement. Elle montre comment la Cour de justice agit en tant que gardienne de la légalité communautaire face à des défaillances administratives. La simplicité de l’argumentation de la Cour, qui écarte sans discussion les justifications de l’État membre, témoigne du caractère objectif de ce type de recours. Le seul fait matériel de l’inexécution d’une obligation suffit à déclencher la condamnation, indépendamment de la volonté ou des difficultés de l’État défaillant.

B. La fonction comminatoire du recours en manquement

L’arrêt a une fonction avant tout pragmatique : constater officiellement une violation du droit communautaire pour inciter l’État membre à y mettre fin. La condamnation pour manquement est une étape formelle qui expose l’État à des conséquences juridiques et politiques. Bien que l’arrêt se limite à une simple déclaration, il constitue un préalable indispensable à d’éventuelles procédures ultérieures, notamment une procédure en manquement sur manquement qui pourrait, en vertu des dispositions du traité de Maastricht, aboutir à des sanctions pécuniaires. La décision a donc une portée comminatoire, exerçant une pression sur l’État pour qu’il régularise sa situation.

En l’espèce, l’objet du litige porte sur des directives sanitaires, un domaine où l’harmonisation est cruciale pour la protection de la santé publique et la libre circulation des marchandises. Le retard de transposition est susceptible de créer des distorsions de concurrence et des risques pour les consommateurs. En condamnant l’État membre, la Cour ne fait pas seulement respecter une obligation formelle, elle garantit l’intégrité du marché intérieur et la protection des citoyens européens. L’arrêt, par sa nature déclaratoire, sert ainsi de rappel à l’ordre et contribue à maintenir la discipline collective nécessaire au bon fonctionnement de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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