Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 23 janvier 2003. – Makedoniko Metro et Michaniki AE contre Elliniko Dimosio. – Demande de décision préjudicielle: Dioikitiko Efeteio Athinon – Grèce. – Marchés publics de travaux – Règles de participation – Groupement d’entrepreneurs soumissionnaire – Modification de la composition du groupement – Interdiction prévue dans le cahier des charges – Compatibilité avec le droit communautaire – Recours. – Affaire C-57/01.

Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le cadre juridique applicable à la modification de la composition des groupements d’entrepreneurs dans le contexte des marchés publics. En l’espèce, une autorité publique d’un État membre avait lancé une procédure d’appel à la concurrence pour la construction et l’exploitation d’un réseau de métro. Un groupement d’entrepreneurs, présélectionné, avait été désigné adjudicataire provisoire. Postérieurement à cette désignation, ce groupement a notifié à l’autorité adjudicatrice une modification substantielle de sa composition, plusieurs de ses membres initiaux étant remplacés par de nouvelles entités. Constatant un échec des négociations, le ministre compétent a mis fin à celles-ci et a invité le soumissionnaire suivant à négocier. Le groupement évincé a alors engagé un recours en annulation contre cette décision. La plus haute juridiction administrative nationale a rejeté ce recours au motif que le groupement, dans sa nouvelle composition, ne pouvait légitimement se prévaloir d’un droit à poursuivre la procédure. Saisie par la suite d’une action en dommages-intérêts, la cour administrative d’appel a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle situation avec le droit communautaire. La juridiction de renvoi cherchait à savoir, d’une part, si la directive 93/37/CEE relative aux marchés publics de travaux s’opposait à une réglementation nationale interdisant la modification de la composition d’un groupement après la soumission des offres. Elle s’interrogeait, d’autre part, sur le point de savoir si la directive 89/665/CEE sur les procédures de recours garantissait un droit d’agir à un tel groupement. La Cour de justice répond que la directive sur les marchés de travaux ne s’oppose pas à une telle interdiction nationale, mais que la directive sur les recours impose de reconnaître un accès aux voies de recours au groupement dès lors qu’une décision du pouvoir adjudicateur est susceptible de porter atteinte aux droits qu’il tire du droit communautaire.

La solution de la Cour s’articule en deux temps, distinguant nettement la question de la validité substantielle de la composition du groupement de celle de son droit procédural à un recours. Cette dualité conduit à examiner d’abord la confirmation de la compétence des États membres pour régir la stabilité des groupements soumissionnaires (I), avant d’analyser la portée de la garantie d’un accès aux voies de recours pour les groupements même modifiés (II).

I. La stabilité de la composition du groupement, une prérogative nationale

La Cour de justice reconnaît aux États membres la latitude de réglementer la composition des groupements d’entrepreneurs, validant ainsi l’exigence de stabilité après le dépôt des offres. Cette position se fonde sur une interprétation littérale des textes (A) qui trouve sa justification dans les principes fondamentaux de la commande publique (B).

A. Une compétence étatique déduite du silence des directives

La Cour observe que le droit communautaire des marchés publics est largement silencieux sur la question de la modification de la composition d’un groupement en cours de procédure. Elle relève que « la seule disposition de la directive 93/37 ayant trait aux groupements d’entrepreneurs est son article 21 ». Or, cette disposition se limite à autoriser les groupements à soumissionner et à interdire qu’une forme juridique déterminée leur soit imposée avant l’attribution du marché. La Cour en tire une conclusion logique et rigoureuse : « cet article ne contient aucune disposition quant à la composition de tels groupements. La réglementation de cette composition relève donc de la compétence des États membres ». Cette approche illustre une application classique du principe de subsidiarité et de la compétence d’attribution. En l’absence de règle communautaire expresse, la matière reste dans le champ de la souveraineté normative des États membres. La Cour renforce son propos en précisant que cette solution s’applique *a fortiori* aux concessions de travaux publics, pour lesquelles l’article 21 n’est même pas applicable. Le raisonnement, fondé sur une lecture stricte des textes, laisse une marge d’appréciation considérable aux législateurs nationaux pour encadrer les conditions de participation des groupements.

B. Une prérogative justifiée par les principes de la commande publique

Bien que la Cour ne développe pas cet aspect, la validation d’une réglementation nationale interdisant la modification d’un groupement trouve un fondement solide dans les principes d’égalité de traitement et de transparence qui gouvernent les marchés publics. L’identité des membres d’un groupement et la répartition de leurs capacités techniques et financières sont des éléments essentiels qui ont déterminé sa sélection initiale. Permettre une modification de cette composition après le dépôt des offres reviendrait à altérer un élément substantiel de l’offre en cours de procédure. Une telle faculté créerait une rupture d’égalité au détriment des autres soumissionnaires, qui demeurent liés par les termes de leur propre offre. De surcroît, cela ouvrirait la porte à des stratégies d’optimisation ou de sauvetage d’une candidature qui pourraient fausser le jeu normal de la concurrence. En jugeant que le droit communautaire ne s’oppose pas à une interdiction nationale de modification, la Cour protège indirectement l’intégrité de la procédure de mise en concurrence et la confiance que les opérateurs économiques doivent pouvoir placer en elle. L’interdiction assure que l’évaluation des offres repose sur une base stable et comparable pour tous les participants.

La reconnaissance de la compétence nationale pour interdire la modification d’un groupement semble donc sceller le sort d’une candidature ainsi transformée. Toutefois, la Cour opère une distinction cruciale en dissociant cette question de fond de l’accès du groupement au prétoire.

II. La garantie d’un accès inconditionnel au recours juridictionnel

La Cour affirme avec force que, nonobstant la modification de sa composition, un groupement doit pouvoir bénéficier des voies de recours prévues par le droit communautaire. Cette solution repose sur une dissociation entre la recevabilité du recours et la légalité de la composition du groupement (A), tout en en définissant précisément la portée (B).

A. La déconnexion du droit au recours et de la légalité de la candidature

Le second apport majeur de l’arrêt réside dans l’interprétation de la directive 89/665, dite « directive recours ». La Cour rappelle que ce texte a pour objet de garantir des recours efficaces contre les décisions des pouvoirs adjudicateurs qui violent le droit communautaire des marchés publics. L’accès à ces recours est ouvert à « toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché […] et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée ». La Cour suggère que la qualité à agir du groupement ne saurait être niée au seul motif que sa composition a changé. En effet, refuser l’accès au juge sur ce fondement reviendrait à trancher au stade de la recevabilité une question qui relève du fond du litige, à savoir les conséquences juridiques de cette modification. La Cour invite ainsi la juridiction nationale à examiner si le groupement, « également dans sa nouvelle composition », conserve un intérêt à l’obtention du marché. Cette démarche préserve l’effet utile de la directive recours. Elle assure que toute entité se prétendant lésée par une violation du droit communautaire puisse faire examiner ses griefs par un juge, sans que des questions de légitimité substantielle ne fassent prématurément obstacle à son droit d’agir.

B. La portée conditionnée du recours à une violation du droit de l’Union

La Cour encadre cependant strictement cet accès au juge. Le droit au recours n’est pas un droit à obtenir gain de cause. Il n’est ouvert que « dans la mesure où une décision d’un pouvoir adjudicateur porte atteinte aux droits qu’un groupement d’entrepreneurs tire du droit communautaire ». La Cour précise que ces droits ne découlent pas seulement des directives, mais aussi des principes généraux du droit communautaire, tels que le principe d’égalité de traitement. Il appartiendra donc au juge national de déterminer si la décision de mettre fin aux négociations, même si elle était fondée sur une modification jugée illicite au regard du droit national, n’a pas, par ailleurs, violé une règle ou un principe du droit de l’Union. La charge de la preuve incombe au groupement requérant. Si l’exclusion résulte uniquement de l’application d’une règle nationale compatible avec le droit de l’Union, comme l’interdiction de modifier sa composition, le recours aura peu de chances d’aboutir au fond. Mais si le groupement peut démontrer que la décision attaquée est entachée d’une autre illégalité relevant du droit communautaire, par exemple une rupture discriminatoire des négociations, son action pourra prospérer. La Cour garantit donc un droit d’accès au prétoire, tout en laissant au juge national le soin d’apprécier, au cas par cas, le bien-fondé des allégations au regard des seules exigences du droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
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