Par un arrêt rendu en formation de sixième chambre, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le cadre juridique applicable à l’étiquetage des denrées alimentaires au sein de l’Union. La décision examine la compatibilité d’une législation nationale restrictive avec les principes de libre circulation et d’harmonisation communautaire.
En l’espèce, des opérateurs économiques ont fait l’objet de poursuites en Autriche pour avoir commercialisé des denrées alimentaires dont l’étiquetage comportait des indications relatives à la santé. L’une de ces indications présentait un produit comme un « plaisir sain », tandis que d’autres mettaient en avant des effets physiologiques bénéfiques pour l’organisme.
Les autorités administratives autrichiennes, appliquant la législation nationale interdisant de telles mentions sauf autorisation préalable, ont sanctionné ces pratiques. Saisies en appel, plusieurs juridictions autrichiennes, notamment l’Unabhängiger Verwaltungssenat für Kärnten par une ordonnance du 8 novembre 2000, l’Unabhängiger Verwaltungssenat Wien par une ordonnance du 15 novembre 2000 et le Verwaltungsgerichtshof par une ordonnance du 18 décembre 2000, ont décidé de surseoir à statuer. Elles ont soumis à la Cour de justice des questions préjudicielles visant à déterminer la compatibilité de la réglementation autrichienne avec le droit communautaire.
La question de droit posée à la Cour était de savoir si la directive 79/112/CEE, relative à l’étiquetage des denrées alimentaires, s’oppose à une réglementation nationale qui instaure une interdiction de principe de toute indication relative à la santé, soumise à une procédure d’autorisation préalable, même pour des denrées légalement fabriquées et commercialisées dans d’autres États membres.
La Cour y répond par l’affirmative. Elle juge qu’un tel régime national, en raison de son caractère général et absolu, est disproportionné et contrevient aux dispositions de la directive qui organisent une harmonisation des motifs justifiant des entraves au commerce. La décision clarifie ainsi la portée de l’harmonisation communautaire en matière d’étiquetage, tout en réaffirmant les limites imposées aux États membres pour la protection des consommateurs.
I. La portée de l’harmonisation communautaire en matière d’étiquetage
La Cour rappelle que la directive 79/112/CEE constitue une mesure d’harmonisation qui prime sur le droit commun des traités en matière de libre circulation. Elle opère ensuite une distinction fondamentale entre les allégations de santé et les allégations thérapeutiques, distinction qui détermine le régime de leur interdiction.
A. L’application exclusive de la directive au détriment du droit commun des traités
La Cour écarte d’emblée l’application des articles 28 CE et 30 CE relatifs à la libre circulation des marchandises. Elle considère que la matière est régie par une mesure d’harmonisation spécifique, la directive 79/112/CEE. La Cour affirme que « toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de la mesure d’harmonisation en cause et non pas de celles des articles 28 CE et 30 CE ». Cette approche confirme que, lorsqu’un domaine est harmonisé, la légalité des mesures nationales doit être évaluée à l’aune des seules dispositions du texte d’harmonisation. L’article 15 de la directive énumère de manière exhaustive les justifications qu’un État membre peut invoquer pour restreindre le commerce de denrées conformes, notamment la protection de la santé publique et la répression des tromperies. Par conséquent, une réglementation nationale ne peut introduire d’autres motifs de restriction que ceux prévus par la directive.
B. La distinction entre indications de santé et allégations thérapeutiques
Le raisonnement de la Cour repose sur la différenciation opérée par l’article 2 de la directive. D’une part, l’article 2, paragraphe 1, sous b), interdit de manière absolue d’attribuer à une denrée alimentaire « des propriétés de prévention, de traitement et de guérison d’une maladie humaine, ni évoquer ces propriétés ». Cette disposition vise les allégations à caractère thérapeutique, dont l’interdiction ne dépend pas de leur caractère trompeur. D’autre part, l’article 2, paragraphe 1, sous a), interdit les indications de nature à induire l’acheteur en erreur. Il en résulte que les indications relatives à la santé, qui ne font pas référence à des maladies, ne sont prohibées que si elles s’avèrent trompeuses. La Cour en déduit que « les denrées alimentaires dont l’étiquetage contient des indications non trompeuses relatives à la santé doivent être considérées comme conformes aux règles de la directive 79/112 ».
II. L’encadrement des restrictions nationales fondées sur la protection du consommateur
La Cour analyse ensuite la proportionnalité de la réglementation autrichienne. Elle juge que l’instauration d’un régime d’autorisation préalable pour toute indication de santé est une mesure excessive. Elle lui oppose la suffisance d’un contrôle a posteriori reposant sur le standard du consommateur moyen.
A. Le rejet d’un système d’autorisation préalable général et absolu
La législation autrichienne interdisait toute indication relative à la santé, sauf autorisation ministérielle préalable destinée à vérifier l’absence de tromperie. La Cour juge ce système disproportionné par rapport à l’objectif de protection des consommateurs. Elle estime qu’un tel régime « a en réalité pour conséquence que les denrées alimentaires portant des indications relatives à la santé ne peuvent pas être librement commercialisées […] même dans l’hypothèse où celles-ci ne sont pas de nature à tromper le consommateur ». Une interdiction générale soumise à autorisation préalable constitue une entrave injustifiée à la libre circulation des produits qui sont conformes à la directive. La protection de la santé publique ne saurait non plus justifier une mesure aussi restrictive, car des alternatives moins contraignantes existent pour gérer d’éventuels risques résiduels.
B. La consécration du contrôle a posteriori et du standard du consommateur moyen
En lieu et place d’un contrôle préventif, la Cour privilégie des mesures moins restrictives. Elle suggère que la protection du consommateur peut être assurée par un contrôle a posteriori. Ce contrôle permet aux autorités nationales d’intervenir si une indication s’avère trompeuse après la mise sur le marché du produit. La Cour évoque notamment « l’obligation pour le fabricant ou le distributeur du produit en cause d’apporter, en cas de doutes, la preuve de l’exactitude matérielle des données de fait mentionnées sur l’étiquetage ». Pour déterminer le caractère potentiellement trompeur d’une indication, il appartient aux juridictions nationales de se référer à « l’attente présumée d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ». Cette référence à un standard jurisprudentiel constant ancre l’appréciation dans une démarche concrète et pragmatique, loin de l’abstraction d’une interdiction de principe.