Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 23 novembre 1989. – Torfaen Borough Council contre B & Q plc. – Demande de décision préjudicielle: Cwmbran Magistrates’ Court – Royaume-Uni. – Libre circulation des marchandises – Interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE – Interdiction d’exercer des activités commerciales le dimanche. – Affaire C-145/88.

Par un arrêt du 23 novembre 1989, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par une juridiction britannique, a précisé l’interprétation de l’article 30 du traité CEE relatif à la libre circulation des marchandises. La question portait sur la compatibilité d’une réglementation nationale interdisant le commerce de détail le dimanche avec les exigences du droit communautaire.

En l’espèce, une société exploitant des centres de bricolage et de jardinerie était poursuivie par une autorité locale pour avoir enfreint une loi de 1950 interdisant l’ouverture des commerces le dimanche, hors dérogations pour certains produits de consommation courante. La société mise en cause soutenait que cette interdiction constituait une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation, prohibée par l’article 30 du traité, au motif qu’elle entraînait une réduction globale de ses ventes, et par conséquent une diminution des importations de produits provenant d’autres États membres. L’autorité locale rétorquait que la mesure, s’appliquant indistinctement aux produits nationaux et importés, ne relevait pas de l’article 30.

La juridiction de renvoi, constatant que l’interdiction réduisait effectivement le volume total des ventes de l’entreprise, y compris pour les marchandises importées, a saisi la Cour de justice. Il était demandé si une telle réglementation nationale, qui restreint les heures de commerce et affecte ainsi potentiellement le volume des échanges intracommunautaires, doit être qualifiée de mesure d’effet équivalant au sens de l’article 30 du traité.

La Cour répond que l’article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l’interdiction qu’il prévoit ne s’applique pas à une réglementation nationale interdisant à des commerces de détail d’ouvrir le dimanche, « lorsque les effets restrictifs sur les échanges communautaires qui peuvent éventuellement en résulter ne dépassent pas le cadre des effets propres à une réglementation de ce genre ». La Cour conditionne ainsi l’exclusion du champ de l’article 30 au caractère proportionné de la mesure nationale par rapport à son objectif légitime, laissant aux juridictions nationales le soin d’apprécier cette proportionnalité.

La solution retenue par la Cour, si elle réaffirme le principe d’un contrôle des réglementations nationales au regard de la libre circulation (I), elle en module la portée en introduisant une distinction subtile entre les effets inhérents à une réglementation commerciale et ceux qui entraveraient de manière disproportionnée les échanges (II).

I. La soumission des réglementations commerciales nationales au contrôle de proportionnalité

La Cour de justice confirme que les mesures nationales régissant les modalités de vente, même indistinctement applicables, relèvent potentiellement de l’article 30 (A), tout en reconnaissant que leur justification peut découler de choix socio-culturels légitimes (B).

A. L’application confirmée de l’article 30 aux mesures indistinctement applicables

La décision s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence bien établie depuis l’arrêt de principe *Dassonville* de 1974, lequel définit la mesure d’effet équivalant comme toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire. Si cette définition visait initialement les mesures discriminatoires, la Cour a rapidement étendu son contrôle aux mesures indistinctement applicables, c’est-à-dire celles qui frappent de la même manière les produits nationaux et les produits importés.

Dans le cas présent, une réglementation sur les heures d’ouverture des commerces est par nature une mesure indistinctement applicable. Elle ne crée, en principe, aucune discrimination formelle. Cependant, la Cour accepte d’examiner si une telle mesure peut néanmoins constituer une entrave déguisée. En suivant le raisonnement de la société requérante, une réduction générale du volume des ventes affecte mathématiquement le volume des importations. La Cour ne rejette pas cet argument par principe, mais le soumet à un examen plus approfondi, confirmant ainsi que même les réglementations les plus générales touchant à la commercialisation des produits ne sauraient échapper totalement au champ de l’article 30.

B. La légitimité des objectifs socio-culturels nationaux

Pour évaluer la compatibilité de l’entrave potentielle, la Cour examine si la réglementation poursuit un objectif légitime au regard du droit communautaire. Elle se réfère à cet égard à sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Oebel* de 1981, concernant les horaires de travail dans le secteur de la boulangerie. La Cour y avait admis qu’une telle réglementation relevait d’un « choix de politique économique et sociale légitime ».

Dans la présente affaire, la Cour étend ce raisonnement aux réglementations générales sur les horaires d’ouverture des commerces de détail. Elle considère que ces règles « constituent en effet l’expression de certains choix politiques et économiques en ce qu’elles visent à assurer une répartition des heures de travail et de repos adaptée aux particularités socioculturelles nationales ou régionales ». La protection de ces particularités est donc admise comme un objectif d’intérêt général pouvant justifier une restriction à la libre circulation des marchandises, à condition que la mesure soit proportionnée. La Cour valide ainsi la finalité de la loi nationale, tout en réservant son appréciation quant aux moyens employés pour l’atteindre.

La reconnaissance de cet objectif légitime ouvre la voie à une analyse de proportionnalité, dont la Cour précise les contours d’une manière qui délimite de façon nouvelle le champ d’application de l’article 30.

II. La délimitation de l’entrave par le critère des effets intrinsèques de la réglementation

La Cour introduit un critère d’appréciation novateur fondé sur la nature des effets de la réglementation (A), ce qui l’amène à préciser la répartition des compétences entre son prétoire et celui des juges nationaux (B).

A. L’exclusion des mesures dont les effets ne dépassent pas ceux inhérents à une réglementation commerciale

L’apport principal de l’arrêt réside dans la distinction qu’il opère. La Cour ne se contente pas de vérifier si la mesure est nécessaire et proportionnée à l’objectif. Elle pose une nouvelle question : les effets restrictifs de la mesure « dépassent-ils le cadre des effets propres d’une réglementation de ce genre » ? Cette formulation suggère qu’il existe un seuil en deçà duquel une restriction aux échanges, même avérée, est considérée comme acceptable car inhérente à toute réglementation commerciale. Une loi sur les fermetures dominicales a pour effet propre de limiter les possibilités de vente pour tous les opérateurs et pour tous les produits.

Cet effet est donc consubstantiel à la nature même de la règle. La mesure ne tomberait sous le coup de la prohibition de l’article 30 que si ses effets allaient au-delà, par exemple en rendant la commercialisation des produits importés spécifiquement plus difficile que celle des produits nationaux. En l’absence d’une telle disproportion, la simple réduction du volume global des ventes n’est pas considérée comme une entrave prohibée. La Cour affine ainsi sa jurisprudence en distinguant les modalités de vente qui affectent uniformément le marché de celles qui le cloisonnent.

B. Le renvoi de l’appréciation des faits au juge national

Après avoir posé ce principe d’interprétation, la Cour de justice s’abstient de trancher elle-même le litige. Elle énonce que « la question de savoir si les effets d’une réglementation nationale déterminée restent effectivement dans ce cadre relève de l’appréciation des faits, qui appartient à la juridiction nationale ». Cette démarche est classique dans le cadre du renvoi préjudiciel, où la Cour de justice fournit l’interprétation du droit communautaire et laisse au juge national le soin de l’appliquer aux circonstances de l’espèce.

Toutefois, ce renvoi revêt ici une importance particulière. Il confère au juge national la responsabilité délicate de déterminer si les effets d’une loi sur le repos dominical sont simplement la conséquence normale d’un choix de société, ou s’ils constituent une barrière protectionniste déguisée. Cette solution, si elle respecte le principe de subsidiarité, ouvre également la porte à des interprétations potentiellement divergentes selon les États membres, en fonction de l’appréciation concrète des faits par chaque juridiction. La portée de l’arrêt dépendra donc en grande partie de la manière dont les juges nationaux s’approprieront ce nouveau critère des « effets propres » d’une réglementation commerciale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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