Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 24 février 1987. – Continentale Produkten Gesellschaft Ehrhardt-Renken (GmbH & Co.) contre Commission des Communautés européennes. – Droits antidumping – Restitution. – Affaire 312/84.

Par un arrêt rendu dans l’affaire 312/84, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en sa sixième chambre, a clarifié les modalités d’application dans le temps des règlements communautaires en matière de procédure ainsi que la portée de la procédure de remboursement des droits antidumping.

En l’espèce, une société importatrice avait introduit une demande de remboursement de droits antidumping acquittés sur des importations de fils de coton originaires de Turquie. Cette demande fut initialement déposée auprès des autorités nationales allemandes, conformément aux dispositions du règlement n° 3017/79 alors en vigueur. Durant l’instruction de la demande, un nouveau règlement, le n° 2176/84, est entré en vigueur, transférant la compétence pour statuer sur de telles demandes des autorités nationales à la Commission. C’est donc cette dernière qui a rendu une décision, ne faisant que partiellement droit à la demande de la société. La société importatrice a alors formé un recours en annulation contre cette décision devant la Cour de justice, soulevant d’une part l’incompétence de la Commission et, d’autre part, contestant le bien-fondé du rejet partiel de sa demande.

La question de droit soumise à la Cour était double. Il s’agissait premièrement de déterminer si une nouvelle règle de procédure attribuant une compétence à une institution communautaire s’applique aux demandes introduites antérieurement à son entrée en vigueur. Il s’agissait, deuxièmement, de définir l’objet et les limites d’une demande de remboursement de droits antidumping, notamment de savoir si elle permet à l’importateur de contester les fondements mêmes du règlement ayant institué les droits.

La Cour de justice rejette le recours. Sur la question de compétence, elle affirme que les règles de procédure nouvelles s’appliquent immédiatement aux procédures en cours, sans qu’un droit acquis au maintien de la compétence antérieure puisse être invoqué. Sur le fond, elle juge que la procédure de remboursement ne permet pas de remettre en cause la validité ou les constatations générales du règlement antidumping, mais vise uniquement à permettre à l’importateur de prouver que la marge de dumping effective pour ses importations spécifiques était inférieure à celle retenue pour l’établissement du droit.

L’analyse de cet arrêt révèle d’abord une application rigoureuse du principe de l’effet immédiat des normes procédurales (I), avant de préciser la fonction spécifique et limitée de la procédure de remboursement au sein du dispositif antidumping (II).

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I. L’application immédiate de la nouvelle règle de procédure aux instances en cours

La Cour consacre sans équivoque le principe selon lequel les nouvelles dispositions procédurales régissent les situations en cours, écartant ainsi la thèse d’un droit acquis au maintien des règles de compétence antérieures (A), ce qui constitue la confirmation d’un principe général bien établi en droit (B).

A. Le rejet du droit acquis à l’application de la procédure antérieure

La société requérante soutenait que sa demande, introduite sous l’empire du règlement n° 3017/79, devait être examinée par les autorités nationales qui étaient alors compétentes. Elle prétendait à un droit acquis à ce que sa situation soit traitée selon la procédure en vigueur au jour du dépôt de sa demande. La Cour de justice écarte fermement cet argument en énonçant une règle claire : « en règle générale, les dispositions modifiant une procédure administrative et désignant les autorités compétentes sont applicables aux procédures pendantes, sans que les administrés puissent prétendre a un « droit acquis » a voir leur cas traité par l’autorité désignée comme compétente par les dispositions antérieures ». Cette solution affirme la nature distincte des règles de procédure, qui organisent l’exercice des droits sans en modifier la substance, et peuvent donc être modifiées par le législateur pour l’avenir, y compris pour les instances non encore jugées. La Cour refuse ainsi de figer la procédure administrative dans l’état où elle se trouvait au moment de l’introduction d’une demande, privilégiant une application uniforme et immédiate des nouvelles règles.

B. La confirmation d’un principe général du droit procédural

En statuant de la sorte, la Cour ne fait pas œuvre d’innovation, mais applique un principe classique de l’application de la loi dans le temps. L’effet immédiat des lois de procédure est une solution reconnue dans de nombreux ordres juridiques, car elle garantit une bonne administration de la justice et l’uniformité des règles applicables. La solution est d’autant plus justifiée en l’espèce que le nouveau règlement n° 2176/84 prévoyait lui-même explicitement, dans son article 19, alinéa 2, son application « aux procédures déjà ouvertes » à la date de son entrée en vigueur. En se fondant à la fois sur ce texte et sur un principe général, la Cour confère à sa décision une base juridique solide. Elle assure ainsi la pleine effectivité du nouveau dispositif procédural voulu par le législateur communautaire, en évitant la coexistence de deux régimes de compétence différents pour des demandes de même nature.

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II. La portée limitée de la procédure de remboursement des droits antidumping

Au-delà de la question procédurale, l’arrêt apporte une clarification essentielle sur la finalité de la procédure de remboursement, en la distinguant nettement des autres voies de droit ouvertes aux intéressés (A), ce qui a pour corollaire de faire peser une charge probatoire spécifique et rigoureuse sur l’importateur demandeur (B).

A. La distinction entre la procédure de remboursement et les autres voies de droit

La Cour de justice opère une délimitation stricte des différentes procédures prévues par le règlement antidumping. Elle souligne que la demande de remboursement prévue à l’article 16 du règlement n° 2176/84 a une finalité particulière et ne saurait se confondre avec d’autres recours. L’arrêt précise que « cette disposition ne permet pas de mettre en cause la validité du règlement instaurant les droits ou de demander un réexamen des données générales telles qu’elles ont été constatées au cours des enquêtes précédentes ». Ainsi, un importateur ne peut utiliser cette procédure pour contester la légalité du règlement ayant fixé le droit antidumping, ce qui relève d’un recours en annulation, ni pour demander une révision générale des valeurs normales ou des marges de dumping, qui doit faire l’objet d’une procédure de réexamen distincte. La procédure de remboursement est conçue comme un mécanisme correcteur individuel, permettant seulement à un importateur de démontrer que, pour son cas particulier, la marge de dumping était en réalité plus faible ou inexistante.

B. La charge de la preuve incombant à l’importateur dans le cadre du remboursement

La conséquence logique de cette portée limitée de la procédure est une définition précise de la charge de la preuve qui pèse sur l’importateur. Puisque les constatations générales du règlement antidumping sont tenues pour acquises, il appartient au demandeur de fournir les éléments probants démontrant le caractère exceptionnel de sa situation. La Cour énonce que « l’importateur doit accompagner sa demande par des preuves établissant que les importations qu’il a effectuées relèvent de l’une ou de l’autre hypothese », à savoir soit que les prix de ses fournisseurs étaient proches de la valeur normale, soit que ces derniers bénéficiaient de coûts de production plus faibles leur permettant de vendre à bas prix sans pratiquer de dumping. En l’espèce, la requérante a échoué à apporter une telle preuve. La Cour a validé le raisonnement de la Commission qui a constaté que « la requérante n’a produit aucun élément de preuve susceptible d’étayer ses affirmations selon lesquelles les coûts de ses fournisseurs turcs étaient effectivement inférieurs aux coûts déterminés par la Commission ». La décision illustre ainsi l’exigence de rigueur probatoire qui conditionne le succès d’une demande de remboursement.

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