Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 24 octobre 1996. – République fédérale d’Allemagne et Hanseatische Industrie-Beteiligungen GmbH et Bremer Vulkan Verbund AG contre Commission des Communautés européennes. – Aides d’Etat – Cautionnement accordé par des autorités publiques en faveur, indirectement, d’une entreprise de construction navale, en vue de l’acquisition d’une entreprise d’un autre secteur – Diversification des activités de l’entreprise bénéficiaire – Récupération. – Affaires jointes C-329/93, C-62/95 et C-63/95.

Par un arrêt du 5 octobre 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a annulé une décision de la Commission pour un défaut de motivation. La décision en cause avait qualifié d’aide d’État illégale et incompatible avec le marché commun une garantie accordée par une autorité publique allemande. Cette garantie visait à faciliter l’acquisition par un groupe industriel d’une participation majoritaire dans une société spécialisée dans l’électronique de défense, le paiement de cette acquisition étant réalisé non pas en numéraire, mais par l’émission de nouvelles actions du groupe acquéreur.

Les faits à l’origine du litige sont ceux d’une opération de croissance externe complexe. Un important groupe industriel, actif notamment dans la construction navale, a convenu de racheter une participation de 74,9 % dans le capital d’une entreprise d’électronique. Le prix d’acquisition fut fixé à 350 millions de marks, payable par la cession de 2,8 millions de nouvelles actions du groupe acquéreur, valorisées pour l’occasion à 125 marks par unité. Pour garantir la valeur de cette transaction, une structure juridique fut mise en place impliquant une société holding publique, entièrement détenue par une entité fédérée allemande. Cette société publique, grâce à une garantie de 126 millions de marks fournie par l’entité fédérée, a obtenu un crédit bancaire de 350 millions de marks qu’elle a ensuite échangé contre les actions nouvellement émises, assurant ainsi au vendeur de la participation un paiement en numéraire. La garantie publique couvrait la différence entre le prix convenu et la valeur boursière des actions au moment de l’opération, qui était d’environ 80 marks par action.

Saisie de cette opération, la Commission a engagé la procédure d’examen prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CEE. Au terme de son analyse, elle a adopté une décision concluant à l’existence d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché commun. La Commission a estimé que la garantie constituait une aide de 126 millions de marks au profit du groupe acquéreur, car elle lui permettait d’acquérir l’entreprise d’électronique à un coût artificiellement réduit. Elle a par conséquent ordonné la récupération de l’aide et l’annulation de la garantie. L’État membre concerné, ainsi que les deux sociétés privées impliquées, ont alors formé un recours en annulation contre cette décision.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si la Commission avait suffisamment motivé sa décision, conformément à l’article 190 du traité CEE, sur plusieurs points essentiels. Il s’agissait de déterminer si l’appréciation de l’existence de l’aide, fondée exclusivement sur la valeur boursière des actions, était adéquatement justifiée. La Cour devait également vérifier si la Commission avait expliqué les raisons pour lesquelles elle n’avait pas appliqué le régime d’aide spécifique à la construction navale. Enfin, il lui appartenait de contrôler si la motivation relative à la distorsion de la concurrence, à l’affectation des échanges et à l’identification du bénéficiaire de l’aide était suffisante.

La Cour de justice répond par la négative à l’ensemble de ces interrogations. Elle annule la décision de la Commission dans sa totalité pour violation des formes substantielles, en raison d’un défaut de motivation sur plusieurs aspects fondamentaux de l’analyse. La Cour juge que la Commission ne peut se contenter d’une approche formaliste et doit, dans sa motivation, tenir compte de l’ensemble des circonstances économiques pertinentes d’une opération. Cette solution conduit à s’interroger sur le contrôle exercé par le juge communautaire sur l’analyse économique de la Commission (I), avant d’examiner la confirmation d’une exigence de motivation circonstanciée quant aux effets de l’aide sur le marché (II).

***

**I. Le contrôle exigeant de l’analyse économique constitutive de l’aide**

La Cour de justice censure la Commission en raison de la fragilité de sa démonstration sur l’existence même de l’aide. Elle lui reproche d’avoir retenu une approche trop réductrice de l’évaluation économique (A) et d’avoir omis d’expliquer pourquoi un régime sectoriel spécifique n’était pas applicable (B).

**A. Le rejet d’une évaluation automatique fondée sur le seul cours de bourse**

La Commission avait fondé sa qualification d’aide sur l’écart entre le prix de transaction des actions, convenu entre les parties, et leur cours sur le marché boursier. Pour elle, le cours de bourse constituait « le seul élément à retenir », reflétant la valeur réelle de l’entreprise. En s’appuyant sur une valeur boursière de 80 marks par action, elle en a déduit que la différence avec le prix de 125 marks par action constituait un avantage anormal financé par la garantie publique.

La Cour rejette cette méthodologie, la jugeant insuffisamment motivée. Elle estime que la Commission ne peut se borner à une approche aussi mécanique sans examiner l’ensemble des facteurs pertinents. La Cour affirme que « l’application absolue et inconditionnelle de ce critère, à l’exclusion de tout autre élément, comporte un automatisme difficilement conciliable avec le système d’économie de marché et les choix économiques opérés, comme en l’occurrence, par des entreprises de taille importante et guidées par des perspectives de rentabilité à plus long terme ». En agissant de la sorte, la Commission a manqué à son obligation d’examiner si le comportement de l’autorité publique s’écartait de celui qu’aurait eu un investisseur privé avisé. Un tel investisseur aurait tenu compte de l’évolution passée des cours, de la valeur intrinsèque de l’entreprise, des synergies attendues de l’opération de fusion, ou encore de la plus-value attachée à l’acquisition d’un bloc de contrôle. En ne fournissant aucune analyse sur ces points, la Commission n’a pas valablement motivé sa décision.

**B. L’exclusion injustifiée du cadre juridique sectoriel pertinent**

Les requérantes soutenaient que l’acquéreur, étant un acteur majeur de la construction navale, aurait dû bénéficier de l’application de la septième directive concernant les aides à ce secteur. Cette directive prévoyait des dérogations spécifiques qui auraient pu rendre l’aide compatible avec le marché commun. Or, dans sa décision, la Commission n’a consacré aucun développement à l’applicabilité de ce texte, se contentant de le juger non pertinent.

La Cour sanctionne sévèrement cette omission. Elle relève que le groupe acquéreur « est communément connu comme une entreprise dont les activités principales sont orientées vers la construction navale ». Face à cette situation notoire et aux arguments avancés par les parties durant la procédure administrative, la Commission était tenue de motiver sa décision sur ce point. Il lui incombait « d’expliciter dans sa décision les considérations qui l’amenaient à la conclusion que les dispositions en question de la septième directive n’étaient pas applicables en l’espèce ». Le silence de la décision sur ce point constitue un défaut total de motivation. La Cour rappelle ainsi que l’obligation de motivation impose à la Commission de répondre aux arguments essentiels soulevés par les parties et de justifier le cadre juridique qu’elle retient, surtout lorsqu’elle écarte un régime dérogatoire potentiellement applicable.

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**II. La confirmation d’une motivation circonstanciée des effets de l’aide**

Au-delà de l’existence de l’aide, la Cour vérifie également si la Commission a correctement motivé les conséquences de l’intervention publique. Elle constate une motivation insuffisante quant à l’impact de l’aide sur le marché (A) et contradictoire quant à la détermination de son bénéficiaire (B).

**A. L’insuffisance de la démonstration de la distorsion de la concurrence**

Pour établir que l’aide faussait la concurrence et affectait les échanges entre États membres, la Commission s’était limitée à examiner le marché sur lequel opérait l’entreprise acquise, celui de l’électronique maritime. Elle avait constaté l’existence d’une concurrence et d’échanges intracommunautaires, citant des statistiques d’importation pour certaines positions tarifaires.

La Cour juge cette analyse bien trop superficielle pour satisfaire à l’exigence de motivation. Reprenant une jurisprudence constante, elle rappelle que s’il peut ressortir des circonstances qu’une aide affecte les échanges, « il incombe tout au moins à la Commission d’évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision ». Or, en l’espèce, la décision « ne comporte pas la moindre indication relative à la situation du marché considéré, la part de [l’entreprise] sur ce marché et la position des entreprises concurrentes ». La Commission aurait dû, a minima, analyser en quoi l’aide renforçait la position concurrentielle de son bénéficiaire. En se contentant d’affirmations générales sans étayer son raisonnement par des données concrètes sur la structure du marché, la Commission a, là encore, manqué à son obligation de fournir une motivation permettant au juge d’exercer son contrôle et à l’intéressé de comprendre les fondements de la décision.

**B. La contradiction dans l’identification du bénéficiaire de l’aide**

Enfin, la Cour relève une incohérence majeure dans la désignation du bénéficiaire de l’aide. Dans les motifs de sa décision, la Commission présentait la société holding publique comme un simple intermédiaire, un « instrument » de l’autorité publique ayant acheminé l’aide vers le groupe acquéreur, bénéficiaire final. Pourtant, dans le dispositif de l’acte, la Commission qualifiait également la garantie de 126 millions de marks d’aide distincte et autonome accordée à cette même société holding.

La Cour constate que la Commission « n’explicite nullement en quoi consiste le bénéfice que [la société holding] tirerait de l’intervention publique en cause ». Cette contradiction entre les motifs et le dispositif de la décision constitue un défaut de motivation. Si la holding n’était qu’un véhicule, elle ne pouvait être en même temps considérée comme un bénéficiaire autonome de l’aide sans que la Commission n’explique la nature de l’avantage qu’elle en retirait pour son propre compte. Cette censure met en lumière l’exigence de cohérence interne qui s’impose à tout acte administratif. La motivation doit logiquement et complètement soutenir chaque point du dispositif, sous peine d’annulation.

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Hassan KOHEN
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