Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 24 septembre 1998. – Antonio Stinco et Ciro Panfilo contre Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS). – Demande de décision préjudicielle: Pretura circondariale di Roma – Italie. – Pension de vieillesse – Calcul du montant théorique de la prestation – Prise en compte du montant nécessaire afin d’atteindre le traitement minimal prévu par la loi. – Affaire C-132/96.

Par un arrêt du 25 septembre 1997, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié l’interprétation de l’article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71 relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants. Deux ressortissants italiens, ayant accompli des périodes d’assurance en Italie et dans un autre État membre, ont sollicité la liquidation de leur pension de vieillesse auprès de l’institution italienne compétente. Cette dernière a procédé au calcul d’une pension proratisée, conformément aux règles de coordination prévues par le droit communautaire. Cependant, elle a refusé d’inclure dans le montant théorique servant de base à ce calcul, le complément destiné à atteindre le niveau de la pension minimale garantie par la législation italienne. L’institution estimait que le droit à ce complément devait être apprécié en tenant compte des revenus des intéressés, y compris les pensions versées par les autres États membres, ce qui les rendait inéligibles. Saisie du litige, la Pretura circondariale di Roma a interrogé la Cour sur le point de savoir si le montant théorique de la pension doit intégrer un tel complément. La Cour de justice a répondu que l’article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement « doit être interprété en ce sens qu’il oblige l’institution compétente à prendre en considération, pour déterminer le montant théorique de la pension servant de base au calcul de la pension proratisée, un complément destiné à atteindre la pension minimale prévue par la législation nationale ».

I. L’autonomie du calcul du montant théorique de la pension

La solution retenue par la Cour repose sur une distinction rigoureuse entre les différentes étapes du calcul des prestations de vieillesse prévues par le règlement. Elle différencie ainsi la détermination purement hypothétique du montant théorique (A) de l’application des règles relatives à l’exportabilité des prestations (B).

A. La sanctuarisation de l’étape du calcul théorique

La Cour rappelle que l’opération visée à l’article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71 est une phase spécifique et préliminaire. Elle consiste à calculer un montant théorique, c’est-à-dire la prestation à laquelle le travailleur aurait eu droit s’il avait accompli toute sa carrière dans l’État membre concerné. Ce calcul est par nature fictif et a pour seul objet d’établir une base pour la liquidation proratisée de la pension.

La Cour souligne que cette étape est distincte de la problématique de l’article 50 du même règlement, qui vise à garantir un montant minimal de prestation au bénéficiaire résidant sur le territoire de l’État compétent. En l’espèce, l’institution nationale avait confondu ces deux mécanismes en appliquant les conditions d’octroi du complément national, notamment les plafonds de revenus, à l’étape du calcul théorique. Or, comme le précise l’arrêt, la question de savoir si un complément est effectivement dû à la fin du processus de liquidation est sans pertinence pour la détermination du montant théorique. Ce dernier doit refléter la totalité des droits qu’un travailleur purement national aurait acquis, incluant par conséquent la pension minimale garantie.

B. L’interprétation restrictive des exceptions au principe de coordination

L’institution de sécurité sociale et certains gouvernements intervenants soutenaient que le complément de pension, étant une prestation spéciale à caractère non contributif, ne devait pas être pris en compte. Ils fondaient leur argumentation sur l’article 10 bis du règlement, qui prévoit la non-exportabilité de certaines prestations listées à l’annexe II bis, dont le complément italien. La Cour écarte cet argument en rappelant que de telles dispositions dérogatoires doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive.

Elle juge que « la possibilité d’exporter une prestation telle que le complément prévu par la loi italienne ne présente aucun lien avec la question de la détermination du montant théorique d’une pension ». L’inclusion du complément dans un calcul hypothétique ne constitue pas une exportation de cette prestation. La Cour sépare ainsi nettement le calcul d’un droit interne, même fictif, du versement effectif de la prestation à un bénéficiaire résidant dans un autre État membre. Cette analyse préserve la logique du système de coordination en empêchant qu’une règle d’exception vide de sa substance le principe du calcul de la pension proratisée.

II. La portée de la décision au service de la libre circulation

Au-delà de sa technicité, la décision commentée revêt une importance significative pour la protection des droits des travailleurs migrants. Elle renforce l’objectif de libre circulation en garantissant une égalité de traitement dans le calcul des droits à pension (A) et clarifie le mécanisme de coordination des régimes de sécurité sociale (B).

A. La garantie de l’égalité de traitement pour le travailleur migrant

L’interprétation défendue par l’institution nationale aurait eu pour conséquence de pénaliser les travailleurs ayant exercé leur droit à la libre circulation. En effet, un travailleur ayant accompli toute sa carrière en Italie aurait bénéficié d’une pension calculée sur la base du montant minimal national. Le travailleur migrant, en revanche, se serait vu appliquer une base de calcul inférieure pour la part de sa pension italienne, créant ainsi une inégalité de traitement directement liée à sa mobilité.

En imposant la prise en compte du complément minimal dans le montant théorique, la Cour veille à ce que le travailleur migrant ne soit pas désavantagé par l’application des règles de coordination. La méthode de calcul ne doit pas, en elle-même, constituer un obstacle à la mobilité. La solution assure donc que la totalisation des périodes d’assurance et la liquidation proratisée des pensions, qui sont des piliers du règlement n° 1408/71, atteignent leur plein effet utile et favorisent l’établissement d’un véritable marché unique du travail.

B. La clarification de la primauté des règles de coordination

Cet arrêt réaffirme la suprématie des règles de calcul édictées par le droit communautaire sur les modalités d’application des législations nationales. Les conditions spécifiques prévues par le droit interne pour l’octroi d’une prestation, telles que des plafonds de revenus, ne sauraient interférer avec la méthode de calcul du montant théorique définie à l’article 46 du règlement. Cette méthode constitue une procédure autonome et unifiée qui doit être appliquée de manière uniforme par toutes les institutions des États membres.

En conséquence, la décision apporte une clarification essentielle aux organismes de sécurité sociale. Elle établit une ligne directrice précise, prévenant ainsi les divergences d’interprétation susceptibles de léser les droits des assurés. L’arrêt consolide l’architecture du système de coordination en assurant que la liquidation des droits à pension des travailleurs migrants s’opère selon des règles communes et prévisibles, garantissant la sécurité juridique et la pleine effectivité des principes fondamentaux du traité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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