Par un arrêt en date du 26 juin 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée du droit au congé annuel payé garanti par le droit communautaire. En l’espèce, une organisation syndicale avait contesté devant une juridiction nationale la légalité d’une réglementation du Royaume-Uni. Cette dernière subordonnait l’ouverture du droit au congé annuel payé à l’accomplissement d’une période de travail ininterrompue de treize semaines auprès du même employeur. Cette condition privait de fait de nombreux travailleurs, notamment ceux engagés sous des contrats de courte durée, de tout droit à un congé payé. La juridiction nationale, saisie du litige, a adressé à la Cour de justice une question préjudicielle. Elle visait à déterminer si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/104/CE, qui permet aux États membres de prévoir des « conditions d’obtention et d’octroi » du congé annuel, autorisait une telle exigence de période minimale d’emploi. La Cour de justice a répondu par la négative, estimant qu’une telle réglementation nationale est incompatible avec les exigences de la directive. La Cour juge que la faculté laissée aux États membres de fixer les conditions d’application du droit au congé ne saurait leur permettre de vider ce droit de sa substance en en subordonnant la naissance même à des conditions qui excluent certaines catégories de travailleurs de son bénéfice.
La solution retenue par la Cour de justice consacre ainsi la portée substantielle du droit au congé payé en droit communautaire, en le distinguant de ses simples modalités d’exercice (I). Cette décision affirme par conséquent la primauté de l’objectif de protection des travailleurs sur les considérations nationales, qu’elles soient d’ordre pratique ou économique (II).
I. La consécration d’un droit au congé annuel payé directement conféré par la directive
L’analyse de la Cour repose sur une interprétation finaliste de la directive 93/104, conduisant à affirmer le caractère universel du droit au congé payé (A) et, corrélativement, à encadrer strictement les compétences nationales en matière d’aménagement de ce droit (B).
A. Le caractère universel du droit au congé annuel payé
La Cour rappelle que la directive 93/104 vise à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Dans ce contexte, le droit au congé annuel payé, prévu à l’article 7, est accordé à « tout travailleur ». La Cour souligne que la directive « n’opère aucune distinction entre les travailleurs sous contrat à durée indéterminée et ceux qui sont sous contrat à durée déterminée ». Cette approche extensive s’oppose à toute législation nationale qui introduirait une distinction fondée sur la durée de la relation de travail pour la constitution même du droit.
En effet, la réglementation nationale en cause créait une catégorie de travailleurs exclus du bénéfice du congé annuel, non en raison de la nature de leur activité, mais uniquement du fait de la courte durée de leurs engagements successifs. Une telle exclusion contrevient directement à l’objectif de protection de la santé de tous les travailleurs. La Cour considère que le besoin de repos est inhérent à la qualité de travailleur et ne dépend pas de l’ancienneté auprès d’un employeur. Le droit au congé est ainsi un droit attaché à la personne du travailleur, dès le début de la relation de travail.
B. L’encadrement strict de la compétence normative nationale
La Cour interprète de manière restrictive la notion de « conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ». Selon elle, cette formule ne permet pas aux États membres de remettre en cause l’existence même du droit au congé. Elle vise uniquement à leur conférer la compétence pour définir les modalités pratiques de son exercice. La Cour estime qu’il « est donc loisible à ceux-ci de définir, dans leur réglementation interne, les conditions d’exercice et de mise en oeuvre du droit au congé annuel payé ».
Cette distinction entre la constitution du droit et ses modalités d’exercice est fondamentale. Les États peuvent ainsi réglementer la planification des congés, les procédures de demande ou le calcul de l’indemnité, mais ils ne peuvent imposer de condition préalable qui aurait pour effet d’empêcher l’acquisition même du droit. La condition d’une période d’emploi minimale de treize semaines est jugée comme une barrière à l’entrée illicite, qui vide de sa substance un droit directement conféré par la directive, et non une simple modalité d’organisation.
II. L’affirmation de la primauté de la protection du travailleur sur les prérogatives nationales
La décision de la Cour de justice renforce la dimension sociale du droit communautaire en qualifiant le droit au congé annuel payé de principe essentiel (A), ce qui justifie l’écartement des arguments d’ordre économique avancés par l’État membre (B).
A. La qualification du droit au congé payé comme principe du droit social communautaire
La Cour de justice confère une valeur particulière au droit au congé annuel payé en le qualifiant de « principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé ». Cette qualification a des conséquences majeures. Elle signifie que les exceptions à ce droit doivent être interprétées de manière stricte et que les États membres ne disposent que d’une marge de manœuvre limitée. La directive elle-même prévoit des dérogations pour certaines de ses dispositions, mais l’article 7 relatif au congé annuel n’en fait pas partie.
Cette absence de dérogation possible renforce le caractère impératif du droit au congé. La Cour en déduit qu’un État membre ne peut unilatéralement restreindre un droit que le législateur communautaire a entendu garantir de manière absolue. En érigeant le droit au congé en principe fondamental, la Cour le place au cœur de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, le rendant intangible face à des aménagements nationaux qui en compromettraient l’effectivité.
B. Le rejet des justifications d’ordre économique et administratif
Le gouvernement du Royaume-Uni soutenait que la période de qualification de treize semaines visait à trouver un équilibre entre la protection des travailleurs et la nécessité d’éviter des contraintes excessives pour les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises. La Cour rejette cet argument de manière catégorique. Elle rappelle d’abord que, selon le cinquième considérant de la directive, « l’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique ».
Ensuite, la Cour souligne que la directive a déjà pris en compte les contraintes pesant sur les entreprises, notamment en prévoyant une période transitoire pour la mise en œuvre de l’article 7, faculté dont l’État membre avait d’ailleurs fait usage. L’argument économique ne peut donc être invoqué une seconde fois pour justifier une restriction non prévue par le texte. Cet arrêt illustre ainsi la hiérarchie des normes et des objectifs au sein du droit social communautaire, où la protection de la personne du travailleur prime sur les considérations économiques.