Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 26 octobre 1994. – Royaume des Pays-Bas contre Commission des Communautés européennes. – Pays et territoires d’outre-mer – Produits originaires – Dérogations. – Affaire C-430/92.

Par un arrêt en date du 15 septembre 1994, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en sixième chambre, s’est prononcée sur les modalités procédurales régissant l’octroi de dérogations aux règles d’origine pour les produits issus des pays et territoires d’outre-mer. Cette décision clarifie le point de départ et les effets du délai imparti aux institutions communautaires pour statuer sur de telles demandes.

En l’espèce, les autorités des Antilles néerlandaises avaient sollicité, par l’intermédiaire du gouvernement d’un État membre, une dérogation pour des cassettes vidéo préenregistrées. Ces produits devaient être assemblés localement à partir de composants importés de pays tiers. La demande, jugée complète par le pays demandeur, visait à obtenir pour ces cassettes le statut de produit originaire, leur permettant une importation en franchise de droits de douane dans la Communauté.

La Commission des Communautés européennes a reçu cette demande le 1er juin 1992. Après avoir exprimé des réserves initiales, l’institution a, par une lettre du 31 juillet 1992, sollicité des informations complémentaires. Elle a alors soutenu que le délai de décision ne commencerait à courir qu’après réception de renseignements satisfaisants. L’État membre a contesté cette position, arguant que le délai avait commencé à la date de réception initiale et était donc expiré, emportant une acceptation tacite. Passant outre, la Commission a formellement rejeté la demande par une décision du 6 novembre 1992. L’État membre a alors introduit un recours en annulation contre cette décision.

La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer le point de départ du délai de soixante jours ouvrables imparti aux institutions communautaires pour statuer. Il s’agissait de savoir si ce délai débute à la réception d’une demande formellement complète ou s’il peut être suspendu ou reporté jusqu’à ce que la Commission s’estime suffisamment informée pour juger du fond.

La Cour de justice a jugé que le délai commence à courir dès la réception d’une demande qui est complète sur le plan formel, c’est-à-dire contenant les informations requises par la réglementation applicable. Elle en a déduit que la demande de renseignements supplémentaires de la Commission ne pouvait ni interrompre ni prolonger ce délai. La décision de rejet, intervenue après l’expiration du délai, a donc été adoptée par une institution devenue incompétente ratione temporis, ce qui justifie son annulation.

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**I. La consécration d’un délai de procédure intangible**

La Cour de justice opère une lecture stricte des dispositions applicables, en distinguant clairement la recevabilité formelle de la demande de son examen au fond. Cette interprétation conduit à une sanction automatique en cas de dépassement du délai par l’institution.

**A. La distinction entre la complétude formelle de la demande et son appréciation au fond**

La Cour ancre son raisonnement dans une interprétation littérale de la réglementation. Pour que le mécanisme procédural s’enclenche, une seule condition est posée : la réception par l’autorité compétente d’une demande complète du point de vue formel. La Cour précise que le caractère complet s’évalue au regard des informations exigées par le formulaire prévu à cet effet. Une fois que ce formulaire est dûment rempli, la demande est réputée complète et le délai de soixante jours ouvrables commence irrévocablement à courir.

La Cour souligne ainsi que « il n’est pas nécessaire que les renseignements fournis soient considérés par la Commission comme justifiant la demande pour que le délai en question puisse commencer à courir ». Elle établit une séparation nette entre deux étapes de l’instruction : d’une part, la vérification de la présence de toutes les pièces requises, qui déclenche le délai ; d’autre part, l’analyse de la substance de ces informations pour décider du bien-fondé de la dérogation. En affirmant que « la question de savoir si une demande est formellement complète se distingue de son appréciation quant au fond », la Cour refuse à la Commission la faculté de retarder le point de départ du délai au motif qu’elle jugerait les informations fournies insuffisantes pour sa propre appréciation.

**B. L’incompétence ratione temporis de la Commission, sanction du non-respect du délai**

Le non-respect du délai de soixante jours ouvrables n’est pas sans conséquence. La Cour relève que la réglementation prévoit explicitement qu’en l’absence de décision dans le temps imparti, « la demande est considérée comme acceptée ». Cette disposition instaure un mécanisme d’acceptation tacite qui opère de plein droit à l’expiration du délai. Le silence de l’administration vaut donc décision implicite d’acceptation.

Dès lors, la compétence de la Commission pour se prononcer sur la demande est temporellement limitée. Une fois le délai expiré et la demande tacitement acceptée, l’institution est dessaisie de son pouvoir de décision. Toute décision expresse prise postérieurement à cette date est donc illégale, non pas en raison d’une erreur d’appréciation sur le fond, mais pour un motif de pure procédure. La Cour conclut que « la décision attaquée est illégale du fait que la Commission n’était plus compétente ratione temporis pour rejeter la demande à la suite de son acceptation tacite, et doit dès lors être annulée ». La sanction est donc radicale : l’acte tardif est privé de toute existence légale.

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**II. La portée de la décision : le renforcement de la sécurité juridique pour les partenaires associés**

Au-delà de sa technicité juridique, la solution retenue par la Cour revêt une importance particulière pour les pays et territoires d’outre-mer. Elle réaffirme la primauté de la sécurité juridique et établit une garantie procédurale solide contre l’inertie administrative.

**A. La primauté de la sécurité juridique et de la finalité du régime d’association**

La Cour ne se contente pas d’une analyse textuelle ; elle replace son interprétation dans le contexte plus large des objectifs du régime d’association. Elle rappelle que ce régime « est favorable à ces pays et territoires dont il vise à promouvoir le développement économique et social ». La procédure de dérogation aux règles d’origine participe de cette finalité en offrant une flexibilité nécessaire au développement industriel. C’est à la lumière de cette « attitude fondamentalement favorable » que les règles procédurales doivent être comprises.

En instaurant un délai strict et une sanction automatique, le législateur a entendu garantir un « traitement efficace et rapide » des demandes et préserver « la sécurité juridique ». L’interprétation de la Commission, qui lierait le départ du délai à sa propre appréciation subjective de la complétude du dossier, irait à l’encontre de ces objectifs. La Cour rejette cette approche, car elle « comporte une confusion entre le moment auquel le délai considéré prend cours et l’appréciation de la demande quant au fond » et donnerait aux institutions « la possibilité de faire traîner la procédure ». La solution retenue est donc celle qui assure la prévisibilité et la célérité, deux exigences essentielles pour les opérateurs économiques.

**B. L’établissement d’une garantie procédurale stricte à l’encontre des institutions**

Cet arrêt érige le délai de soixante jours en véritable garantie pour le demandeur. La Cour ne nie pas à la Commission la possibilité de solliciter des éclaircissements. Elle précise que son interprétation « n’exclut cependant pas la faculté, pour la Commission, de demander des renseignements supplémentaires ». Toutefois, cette prérogative ne saurait être exercée au détriment des droits du demandeur. L’usage de cette faculté « ne saurait prolonger le délai ». La Commission reste donc maîtresse de son instruction, mais doit l’exercer dans le cadre temporel qui lui est imposé.

Cette solution établit un équilibre. L’administration conserve ses pouvoirs d’enquête, mais ne peut s’en prévaloir pour paralyser la procédure. Si les informations demandées ne sont pas fournies, elle devra statuer en l’état du dossier avant l’expiration du délai. Cette décision a donc valeur de principe en ce qu’elle encadre strictement le pouvoir discrétionnaire des institutions dans la gestion des délais de procédure. Elle réaffirme que les garanties procédurales accordées aux partenaires de la Communauté ne sont pas de simples déclarations d’intention mais des obligations juridiques contraignantes pour les institutions.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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