Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 26 septembre 1996. – Data Delecta Aktiebolag et Ronny Forsberg contre MSL Dynamics Ltd. – Demande de décision préjudicielle: Högsta Domstolen – Suède. – Egalité de traitement – Discrimination en raison de la nationalité – Cautio judicatum solvi. – Affaire C-43/95.

Par un arrêt du 27 novembre 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié la portée du principe de non-discrimination en raison de la nationalité dans le contexte de l’accès à la justice. En l’espèce, une société établie au Royaume-Uni avait engagé une action en paiement de marchandises livrées contre une société suédoise et un ressortissant suédois devant une juridiction suédoise. Les défendeurs ont alors sollicité que la société demanderesse constitue une sûreté, la *cautio judicatum solvi*, destinée à garantir les frais de procédure. Cette exigence était fondée sur une loi nationale qui l’imposait aux demandeurs étrangers non-résidents, tandis que les ressortissants et les personnes morales suédoises en étaient exemptés.

Saisies en première instance, puis en appel, les juridictions suédoises ont refusé d’imposer cette caution, estimant la législation nationale contraire à la Convention de Lugano de 1988, ratifiée ultérieurement par la Suède. La Cour suprême suédoise, saisie d’un pourvoi, a alors décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, tel qu’énoncé à l’article 6 du traité instituant la Communauté européenne, s’opposait à une telle exigence de sûreté imposée à une personne morale d’un autre État membre, alors que les personnes morales nationales en sont dispensées. La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle règle de procédure nationale constitue une discrimination prohibée lorsqu’elle s’applique à une action connexe à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le droit communautaire.

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une démarche en deux temps, consistant d’abord à affirmer l’application du droit communautaire à une règle de procédure nationale (I), pour ensuite en constater le caractère directement discriminatoire et injustifiable (II).

I. L’assujettissement de la procédure civile nationale au champ d’application du traité

La Cour de justice étend le contrôle du droit communautaire aux règles de procédure nationales en raison de leur incidence sur les libertés économiques fondamentales. Elle établit ainsi un lien fonctionnel entre l’accès à la justice et l’exercice des libertés garanties par le traité (A), confirmant une interprétation large du domaine d’application du droit communautaire (B).

A. Le lien fonctionnel entre l’accès à la justice et les libertés fondamentales

Pour soumettre la règle de procédure suédoise au principe de non-discrimination, la Cour devait d’abord la faire entrer dans le champ d’application du traité. Elle y parvient en jugeant que de telles dispositions, bien que procédurales, ne peuvent opérer une discrimination à l’égard des personnes bénéficiant du droit à l’égalité de traitement. La Cour considère qu’une règle nationale de ce type est susceptible d’affecter l’activité économique des opérateurs d’autres États membres. Elle place ces derniers dans une position moins avantageuse pour l’accès aux juridictions nationales.

La Cour énonce ainsi que « la possibilité pour ces opérateurs de saisir les juridictions d’un État membre pour trancher les litiges auxquels leurs activités économiques peuvent donner lieu, au même titre que les ressortissants de cet État, constitue le corollaire de ces libertés ». Par cette formule, elle consacre le droit d’agir en justice comme un accessoire indispensable à la libre circulation des marchandises et des services. L’action en paiement des marchandises livrées est l’exemple même du litige connexe à l’exercice de ces libertés, justifiant l’application du droit communautaire.

B. L’interprétation extensive du champ d’application du traité

En se fondant sur les effets d’une législation nationale sur les échanges intracommunautaires, la Cour confirme une conception matérielle et large du domaine d’application du traité. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Phil Collins*, selon laquelle des dispositions nationales qui affectent les échanges de biens et de services sont soumises au principe de non-discrimination. Il n’est pas nécessaire de les rattacher à des dispositions spécifiques comme les articles 30 ou 59 du traité.

La Cour en conclut qu’« une règle de procédure civile nationale, telle que celle en cause au principal, entre dans le champ d’application du traité au sens de l’article 6, paragraphe 1, et qu’elle est soumise au principe général de non-discrimination posé par cet article, dans la mesure où elle a une incidence, même indirecte, sur les échanges intracommunautaires de biens et de services ». Cette approche pragmatique permet de sanctionner des entraves qui, bien que de nature procédurale, constituent des obstacles concrets au bon fonctionnement du marché intérieur. Une fois cette appartenance au champ du traité établie, la constatation de la discrimination devient inévitable.

II. La sanction d’une discrimination directe et injustifiable

La Cour de justice constate sans difficulté que la mesure litigieuse constitue une discrimination directe fondée sur la nationalité (A). Elle écarte ensuite fermement les arguments présentés pour la justifier, réaffirmant l’autonomie et la primauté du droit communautaire (B).

A. La caractérisation d’une discrimination directe fondée sur la nationalité

L’article 6 du traité exige une parfaite égalité de traitement entre les personnes se trouvant dans une situation régie par le droit communautaire et les ressortissants de l’État membre concerné. En l’espèce, la législation suédoise établissait une distinction explicite entre, d’une part, les ressortissants étrangers et personnes morales étrangères, et d’autre part, les ressortissants suédois et personnes morales suédoises. Seuls les premiers pouvaient se voir imposer la constitution d’une sûreté.

Face à une telle rupture d’égalité, la qualification de discrimination directe est évidente. La Cour le souligne de manière concise : « Il est manifeste qu’une disposition telle que celle en cause dans le litige au principal constitue une discrimination directe fondée sur la nationalité ». Le traitement différencié découle directement du critère de la nationalité ou, pour une personne morale, de son siège social, ce qui est prohibé par le traité. La discussion se déplace alors sur le terrain d’éventuelles justifications.

B. Le rejet des justifications tirées de l’absence de conventions internationales

Le gouvernement suédois soutenait que l’exigence d’une sûreté était justifiée par les difficultés d’exécution d’une éventuelle condamnation aux dépens à l’encontre du demandeur étranger. Il faisait valoir que cette obligation était d’ailleurs levée lorsque des conventions internationales ratifiées par la Suède garantissaient cette exécution. Cet argument, fondé sur une logique de réciprocité et de sécurité juridique, est balayé par la Cour.

Se référant à sa jurisprudence, notamment l’arrêt *Hubbard*, la Cour rappelle avec fermeté que « le droit à l’égalité de traitement consacré par le droit communautaire ne saurait dépendre de l’existence d’accords internationaux conclus par les États membres ». Le principe de non-discrimination est un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire qui s’applique de manière autonome. Un État membre ne peut donc pas subordonner le bénéfice d’un droit garanti par le traité à l’existence d’une convention de droit international, même si celle-ci poursuit un objectif de facilitation de la justice. La portée de cet arrêt est donc considérable, car elle garantit l’effectivité de l’accès à la justice pour tous les opérateurs économiques de l’Union.

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