Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 27 juin 1989. – Heinz Kühne contre Finanzamt München III. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München – Allemagne. – TVA – Imposition de l’utilisation privée d’une voiture d’entreprise achetée d’occasion sans droit à déduction de la part résiduelle de la TVA. – Affaire 50/88.

Par un arrêt rendu le 2 mars 1989, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Finanzgericht Muenchen, a interprété les dispositions de l’article 6, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée a acquis auprès d’un particulier non assujetti un véhicule destiné à son activité professionnelle mais également utilisé à des fins privées. L’administration fiscale nationale a soumis à la TVA la part de l’amortissement de ce véhicule correspondant à son usage privé. L’assujetti a contesté cette imposition devant la juridiction nationale, arguant qu’il n’avait pu déduire aucune taxe en amont lors de l’acquisition du bien et que l’imposition de son usage privé constituait, de ce fait, une double taxation contraire aux principes du système commun de TVA. La juridiction de renvoi, doutant de la conformité de sa législation nationale avec le droit communautaire, a interrogé la Cour sur le point de savoir si l’article 6, paragraphe 2, lettre a), de la sixième directive, qui subordonne la taxation de l’usage privé d’un bien d’entreprise à la condition que « ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée », s’oppose à l’imposition de l’amortissement dudit bien lorsque celui-ci a été acquis sans droit à déduction. La Cour répond que cette disposition exclut l’imposition de l’amortissement d’un bien d’entreprise au titre de son usage privé lorsque la taxe grevant l’acquisition n’a pu être déduite, notamment en raison de l’achat auprès d’une personne n’ayant pas la qualité d’assujetti.

La solution de la Cour, en conditionnant l’imposition de l’usage privé à l’existence d’un droit à déduction préalable (I), consacre une application rigoureuse du principe de neutralité fiscale qui structure le régime de la taxe sur la valeur ajoutée (II).

I. La taxation de l’usage privé conditionnée par le droit à déduction

La Cour de justice clarifie la portée de la condition posée par la directive, en excluant l’imposition de l’usage privé d’un bien n’ayant pas ouvert droit à déduction (A), tout en opérant une distinction nécessaire entre la situation du bien lui-même et celle des frais liés à son exploitation (B).

A. L’exclusion de l’imposition en l’absence d’une déduction initiale

L’analyse de la Cour repose sur une interprétation littérale et téléologique de l’article 6, paragraphe 2, lettre a), de la sixième directive. Cette disposition prévoit l’assimilation à une prestation de services à titre onéreux de « l’utilisation d’un bien affecté à l’entreprise pour les besoins privés de l’assujetti […] lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée ». La Cour juge que cette condition est déterminante et doit être interprétée largement quant aux motifs de l’absence de déduction. Dès lors qu’un bien est acquis auprès d’un non-assujetti, aucune TVA n’est facturée et l’acquéreur ne peut exercer aucun droit à déduction.

En conséquence, le bien doit être considéré comme n’ayant pas ouvert droit à déduction au sens de la directive. L’imposition de son amortissement au titre de l’usage privé est donc exclue, car elle contreviendrait à l’objectif de la disposition, qui est d’éviter une non-imposition de la consommation finale et non de créer une double charge fiscale. La Cour affirme ainsi que le fait générateur de l’imposition de l’usage privé est indissociablement lié à l’exercice effectif d’un droit à déduction sur le bien lui-même.

B. La dissociation entre l’acquisition du bien et ses frais d’exploitation

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le point de savoir si la déduction de la TVA afférente aux dépenses d’entretien ou d’utilisation du bien, telles que le carburant ou les réparations, pouvait être qualifiée de déduction « partielle » au sens de la directive, justifiant ainsi l’imposition de l’amortissement. La Cour rejette fermement cette analyse. Elle établit une dissociation claire entre le régime fiscal applicable au bien d’investissement et celui applicable aux biens et services consommés pour son exploitation.

Selon la Cour, « le régime fiscal applicable à la livraison du bien d’entreprise doit être dissocié de celui des dépenses imposables exposées en vue de son exploitation et de son entretien ». Le droit à déduction exercé sur ces dernières dépenses ne saurait donc modifier le statut du bien principal au regard de la condition posée par l’article 6. Cette précision est essentielle, car elle préserve la cohérence du système en traitant distinctement l’amortissement du capital, qui ne doit pas être imposé deux fois, et les frais de consommation, qui doivent être taxés s’ils bénéficient d’une déduction.

En précisant les strictes conditions de l’imposition, la Cour ne se limite pas à une interprétation technique mais défend un principe fondateur du système commun de TVA.

II. La consécration du principe de neutralité fiscale

La décision de la Cour réaffirme la place centrale du principe de neutralité, en faisant obstacle à une double imposition contraire à l’esprit du système (A) et en garantissant l’effectivité de cette protection par la reconnaissance d’un effet direct à la disposition interprétée (B).

A. Le rejet de la double imposition comme corollaire de la neutralité

Le principe de neutralité fiscale, inhérent au système commun de TVA, exige que la charge fiscale pèse sur le consommateur final et que les assujettis agissant dans le cadre de leur activité économique en soient dégrevés. Imposer l’usage privé d’un bien dont l’acquisition n’a pas permis de déduire la TVA résiduelle reviendrait à taxer une seconde fois une valeur ayant déjà supporté l’impôt de manière définitive lors de son premier achat. La Cour souligne qu’une telle situation « engendrerait une double imposition contraire au principe de neutralité fiscale ».

Cette position conduit également la Cour à limiter la faculté de dérogation reconnue aux États membres par la deuxième phrase de l’article 6, paragraphe 2. Cette faculté ne leur permet que de renoncer à l’imposition de l’usage privé, mais en aucun cas d’étendre cette imposition à des situations où le bien n’a pas ouvert droit à déduction. La Cour érige ainsi le principe de neutralité en rempart contre toute mesure nationale qui, sous couvert d’une option laissée par la directive, en violerait la logique fondamentale.

B. L’effet direct de la disposition comme garantie pour le contribuable

Pour parachever la protection du contribuable, la Cour reconnaît l’effet direct de l’article 6, paragraphe 2, lettre a), de la directive. Reprenant une jurisprudence constante, elle rappelle que des dispositions claires, précises et inconditionnelles d’une directive peuvent être invoquées par les particuliers à l’encontre de toute norme nationale non conforme. La Cour considère que l’interdiction d’imposer l’usage privé d’un bien n’ayant pas ouvert droit à déduction remplit ces critères.

Cette interdiction est « complète, juridiquement parfaite et, en conséquence, susceptible de produire des effets directs dans les relations juridiques entre les États membres et leurs justiciables ». En conférant un effet direct à cette disposition, la Cour offre aux assujettis une voie de droit efficace pour contester directement devant leurs juridictions nationales une législation interne qui méconnaîtrait le principe de non-double imposition. Cette solution renforce la primauté du droit de l’Union et assure l’application uniforme des règles fondamentales du système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

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Hassan KOHEN
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