Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 27 juin 1991. – Al-Jubail Fertilizer Company (Samad) et Saudi Arabian Fertilizer Company (Safco) contre Conseil des Communautés européennes. – Recours en annulation du règlement (CEE) n. 3339/87 du Conseil, du 4 novembre 1987, instituant un droit antidumping définitif sur les importations d’urée originaires de Libye et d’Arabie Saoudite. – Affaire C-49/88.

Dans un arrêt rendu le 27 juin 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue des droits de la défense dans le cadre des procédures administratives antidumping. En l’espèce, deux sociétés productrices d’urée, établies dans un pays tiers, ont fait l’objet d’une enquête antidumping initiée par la Commission à la suite d’une plainte déposée par des producteurs communautaires. Cette procédure a conduit à l’adoption d’un règlement du Conseil instituant un droit antidumping définitif sur les importations de leurs produits. Les entreprises requérantes ont alors formé un recours en annulation contre ce règlement. Elles soutenaient que leurs droits de la défense avaient été méconnus, au motif qu’elles n’avaient pas été informées des raisons précises du rejet de leurs demandes d’ajustement, ni du changement de méthode de calcul du droit entre la phase provisoire et la phase définitive. Se posait ainsi à la Cour la question de savoir si le respect des droits de la défense impose aux institutions communautaires de communiquer aux entreprises visées par une enquête antidumping l’ensemble des éléments déterminants pour le calcul du droit, et de rapporter la preuve d’une telle communication. La Cour de justice annule partiellement le règlement, considérant que les institutions ont manqué à leur obligation d’information sur plusieurs points essentiels, violant ainsi les droits de la défense. Elle juge que si les institutions doivent agir avec diligence pour garantir aux entreprises une information utile à leur défense, cette obligation ne s’étend pas à tous les aspects techniques du calcul du droit. Ainsi, la Cour consacre l’application rigoureuse du principe du respect des droits de la défense aux procédures antidumping (I), tout en définissant les limites matérielles du droit à l’information des entreprises concernées (II).

I. L’affirmation du principe du respect des droits de la défense dans les procédures antidumping

La Cour rappelle d’abord que les droits de la défense constituent un principe fondamental du droit communautaire qui doit être garanti dans les procédures d’enquête administrative. Elle en déduit une obligation d’information particulièrement scrupuleuse à la charge des institutions.

A. L’application d’un principe fondamental aux enquêtes antidumping

La Cour de justice énonce que le respect des droits de la défense « s’imposent non seulement dans le cadre de procédures susceptibles d’aboutir à des sanctions, mais également dans les procédures d’enquête précédant l’adoption de règlements antidumping ». Par cette formule, elle confirme que la nature de ces procédures, bien que visant à l’adoption d’un acte de portée générale, justifie une protection élevée des administrés. Ces règlements, en effet, « peuvent affecter les entreprises concernées de manière directe et individuelle et comporter pour elles des conséquences défavorables ». La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui intègre les droits fondamentaux aux principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. L’arrêt souligne que cette protection est d’autant plus nécessaire que la réglementation en vigueur « ne prévoit pas toutes les garanties procédurales de protection de l’administré qui peuvent exister dans certains droits nationaux ». La Cour pallie ainsi les silences des textes pour assurer une protection effective des entreprises exportatrices face à la puissance d’enquête des institutions.

B. Une obligation d’information renforcée à la charge des institutions

La Cour précise le contenu du devoir d’information qui incombe aux institutions. Celles-ci doivent agir « avec toute la diligence requise » pour fournir aux entreprises des indications utiles à la défense de leurs intérêts. La Cour va plus loin en posant une règle probatoire claire. Même lorsque l’information est communiquée oralement, comme le permet le règlement de base, cette possibilité « ne saurait, toutefois, dispenser les pouvoirs publics communautaires de réunir les éléments permettant de prouver, si besoin était, la certitude d’une telle communication ». En l’espèce, le Conseil ne produisait que des rapports internes et des comptes rendus de réunions, jugés insuffisants pour prouver que les requérantes avaient été dûment informées. De même, une lettre dont la réception ne peut être prouvée ne constitue pas un moyen de communication diligent. Par cette exigence, la Cour renverse de fait la charge de la preuve au profit des entreprises, contraignant les institutions à formaliser leurs échanges et à garantir la traçabilité de leurs communications.

Après avoir solidement ancré le principe et ses conséquences procédurales, la Cour s’attache à délimiter son champ d’application matériel, distinguant les informations essentielles de celles qui ne le sont pas.

II. La portée et les limites du droit à l’information des entreprises concernées

La Cour examine les différents griefs des requérantes pour déterminer quelles informations sont couvertes par les droits de la défense. Elle admet que le droit d’être entendu porte sur tous les faits et circonstances pertinents pour l’établissement du dumping, mais elle exclut du champ de l’information obligatoire certains choix techniques relevant de la discrétion des institutions.

A. Le droit d’obtenir une communication sur les faits pertinents

La Cour accueille les moyens des requérantes relatifs au défaut d’information sur le rejet de leurs demandes d’ajustement pour différences de stade commercial et de quantités, ainsi que sur le calcul de l’ajustement pour l’entreposage. Elle estime que, faute d’avoir reçu des explications sur ces points, les entreprises n’ont pas « été mises en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués ». Ces éléments étant déterminants pour le calcul de la marge de dumping, l’absence d’information a directement vicié la procédure en privant les requérantes de la possibilité de contester efficacement les conclusions de la Commission. La Cour sanctionne ainsi un manquement qui porte sur le cœur même de l’enquête factuelle et de l’établissement de la preuve du dumping. La protection accordée vise à garantir le caractère contradictoire de la procédure administrative sur tous les éléments de fait qui fondent la décision des institutions.

B. L’exclusion de la méthode de calcul du droit de l’information essentielle

En revanche, la Cour rejette l’argument tiré du défaut d’information sur le changement de méthode de calcul du droit, passé d’un prix plancher à un droit *ad valorem*. Elle opère une distinction nette : « s’il est vrai que le montant du droit définitif est une information essentielle, il n’en est pas de même en ce qui concerne le type de droit finalement retenu par le Conseil et la méthode de calcul de ce droit ». Son raisonnement repose sur l’idée que « le choix entre les différents types de droits antidumping est, en principe, sans incidence sur le montant final de ce droit ». Dès lors, cette information n’est pas jugée essentielle à l’exercice des droits de la défense. Cette limite posée par la Cour préserve une marge de manœuvre pour les institutions dans le choix des instruments de politique commerciale. La protection procédurale des entreprises ne doit pas conduire à paralyser l’action administrative en imposant une communication sur des aspects techniques qui ne modifient pas substantiellement la charge pesant sur elles. La solution témoigne ainsi d’une recherche d’équilibre entre l’efficacité de l’action communautaire et la protection des administrés.

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