Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 27 novembre 2001. – Z contre Parlement européen. – Pourvoi – Fonctionnaires – Procédure disciplinaire – Dépassement des délais prévus à l’article 7 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires des Communautés européennes. – Affaire C-270/99 P.

Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 29 novembre 2001 offre une clarification importante sur les conséquences du non-respect des délais dans le cadre des procédures disciplinaires applicables aux fonctionnaires. En l’espèce, un agent d’une institution communautaire a fait l’objet d’une enquête administrative à la suite de plaintes formulées par des subordonnés. Le rapport d’enquête a retenu à sa charge plusieurs griefs, notamment un comportement vexatoire, du harcèlement sexuel et l’utilisation de moyens du service à des fins privées. Saisi par l’autorité investie du pouvoir de nomination, le conseil de discipline a recommandé la révocation du fonctionnaire après une procédure qui a excédé les délais statutaires. L’autorité a finalement prononcé une sanction de rétrogradation. L’agent a contesté cette décision devant le Tribunal de première instance, qui a rejeté son recours en jugeant que le dépassement des délais n’affectait pas la validité de la sanction. Le litige a ensuite été porté en pourvoi devant la Cour de justice. Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer la nature juridique des délais prévus à l’article 7 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires et, plus précisément, de statuer sur le point de savoir si leur inobservation, même substantielle, pouvait affecter la validité d’une sanction disciplinaire. La Cour de justice rejette le pourvoi, considérant que si les délais ne sont pas péremptoires, un dépassement considérable peut exceptionnellement justifier une annulation s’il porte atteinte aux droits de la défense ou au principe de confiance légitime, ce qui n’était pas démontré en l’espèce.

La solution retenue par la Cour s’inscrit dans une logique de continuité jurisprudentielle tout en introduisant une nuance notable. Ainsi, la Cour réaffirme le caractère non impératif des délais de la procédure disciplinaire (I), avant de définir les conditions strictes sous lesquelles leur dépassement excessif peut néanmoins vicier la décision finale (II).

I. La confirmation du caractère non péremptoire des délais de la procédure disciplinaire

La Cour de justice conforte la position traditionnelle selon laquelle les délais fixés par le statut pour le déroulement de la procédure disciplinaire ne sont pas prescrits à peine de nullité. Elle s’appuie pour cela sur une jurisprudence établie (A), tout en écartant l’analogie avec les délais de procédure judiciaire (B).

A. Le rappel d’une jurisprudence établie

La Cour rappelle avec constance que les délais mentionnés à l’article 7 de l’annexe IX du statut ne revêtent pas un caractère péremptoire. Cette position, déjà affirmée dans des décisions antérieures, établit que ces délais « constituent des règles de bonne administration dont la non-observation peut engager la responsabilité de l’institution concernée pour le préjudice éventuellement causé aux intéressés, sans affecter, à elle seule, la validité de la sanction disciplinaire infligée après leur expiration ». Le manquement de l’administration à son obligation de diligence n’entraîne donc pas une annulation automatique de l’acte pris hors délai. Cette solution pragmatique vise à préserver l’effectivité du pouvoir disciplinaire en évitant que des fautes avérées ne restent impunies pour de simples motifs procéduraux, sauf à démontrer un préjudice direct résultant du retard. La validité de la sanction est ainsi décorrélée du strict respect d’un calendrier procédural, ce qui privilégie le fond sur la forme.

B. Le rejet d’une assimilation aux délais de procédure judiciaire

Le fonctionnaire requérant soutenait que la rigueur des délais procéduraux était une composante du principe de sécurité juridique et du droit à un procès équitable. Il invoquait à ce titre la jurisprudence relative aux délais de recours contentieux, dont l’inobservation est sanctionnée par l’irrecevabilité. La Cour écarte cette argumentation en soulignant que la nature de ces délais diffère fondamentalement. Les délais de recours contentieux visent à stabiliser les situations juridiques et à garantir la prévisibilité de l’action en justice, ce qui justifie leur caractère impératif. En revanche, les délais internes à une procédure administrative disciplinaire ont pour objet d’assurer une gestion efficace et diligente des dossiers. Leur finalité est d’ordre organisationnel et non de forclusion d’un droit. La Cour juge par conséquent que la jurisprudence concernant les délais de saisine des juridictions n’est « pas pertinente en l’espèce », car les deux types de délais ne sont pas comparables.

Si la Cour ancre sa décision dans une approche jurisprudentielle constante, elle en précise néanmoins les limites en envisageant l’hypothèse où le non-respect des délais dépasserait le simple manquement à une règle de bonne administration.

II. L’encadrement du dépassement excessif des délais par les principes généraux du droit

La Cour de justice innove en admettant qu’un retard excessif dans la conduite de la procédure disciplinaire puisse, dans des circonstances particulières, entraîner la nullité de la sanction. Elle subordonne cette ouverture à des conditions précises (A), dont elle vérifie l’absence en l’espèce (B).

A. L’ouverture à une annulation en cas de circonstances exceptionnelles

La portée principale de l’arrêt réside dans la reconnaissance qu’un manquement temporel de l’administration peut indirectement vicier la procédure. La Cour énonce qu' »il ne saurait être exclu qu’un dépassement considérable de ces délais puisse, dans certains cas, équivaloir à une violation d’un principe général du droit communautaire applicable en la matière ». Elle identifie deux situations pouvant constituer de telles circonstances exceptionnelles. D’une part, le retard pourrait être tel qu’il « empêche la personne concernée de se défendre efficacement ». D’autre part, il pourrait créer « dans le chef de celle-ci la confiance légitime qu’elle ne se verra pas infliger de sanction disciplinaire ». Dans ces cas, le dépassement des délais ne serait plus une simple irrégularité administrative mais une atteinte substantielle aux droits fondamentaux du fonctionnaire, justifiant l’annulation de la décision. La Cour déplace ainsi l’analyse du terrain de la légalité formelle vers celui des principes généraux du droit.

B. L’application stricte des conditions en l’espèce

Après avoir posé le principe, la Cour en effectue une application rigoureuse aux faits de la cause. Elle reconnaît que le dépassement du délai imparti au conseil de discipline, qui était de neuf mois au lieu de trois, est « considérable ». Cependant, elle constate que le requérant n’a fourni aucun élément concret permettant d’établir en quoi ce retard aurait porté atteinte à ses droits. Il n’a pas démontré que l’écoulement du temps l’aurait privé de la possibilité de réunir des preuves ou de présenter ses arguments, ni que l’inaction de l’administration aurait pu raisonnablement lui laisser croire que la procédure était abandonnée. En l’absence de toute preuve d’une violation des droits de la défense ou du principe de confiance légitime, la Cour conclut que les conditions d’une annulation ne sont pas remplies. Cette application stricte montre que l’ouverture n’est que théorique si elle n’est pas étayée par une démonstration factuelle précise du préjudice subi par l’agent.

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