Par un arrêt rendu dans l’affaire C-4/97, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 69/335/CEE relative aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. En l’espèce, une société de capitaux établie en Italie s’était acquittée d’un impôt national calculé sur le patrimoine net des entreprises, tel qu’il ressortait de son bilan annuel. Estimant que cette imposition constituait une double taxation de son capital, contraire aux objectifs de la directive, elle en a demandé le remboursement à l’administration fiscale. Face au rejet implicite de sa demande, la société a saisi la juridiction nationale compétente. Cette dernière, confrontée à l’argumentation de l’administration fiscale selon laquelle l’impôt en cause était un impôt direct sur le patrimoine et non un impôt indirect sur les mouvements de capitaux, a décidé de surseoir à statuer. Elle a alors posé à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si la directive 69/335/CEE s’oppose à une législation nationale qui institue un impôt annuel sur le patrimoine net des sociétés de capitaux. La Cour répond par la négative, considérant qu’un tel impôt ne présente pas les caractéristiques d’un droit d’apport prohibé par le droit communautaire. La solution repose sur une analyse stricte des caractéristiques objectives de l’imposition litigieuse, la distinguant nettement des taxes visées par la directive (I), ce qui a pour conséquence de préserver la compétence des États membres en matière d’imposition du patrimoine des sociétés (II).
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I. L’exclusion de l’impôt sur le patrimoine net du champ des droits d’apport
La Cour fonde sa décision sur une analyse des caractéristiques objectives de l’impôt en cause, en examinant successivement son fait générateur (A) et son assiette (B) pour conclure à son incompatibilité avec la définition des droits d’apport.
A. L’absence d’une opération de rassemblement de capitaux comme fait générateur
Le raisonnement de la Cour s’attache d’abord à la nature de l’événement qui déclenche l’imposition. Les opérations soumises au droit d’apport, qu’elles soient obligatoires en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive ou facultatives selon le paragraphe 2, sont toutes liées à un mouvement de capitaux ou de biens vers une société. Elles visent la constitution, l’augmentation du capital social ou de l’avoir social. L’impôt sur le patrimoine net, en revanche, est perçu de manière périodique, à la clôture de chaque exercice comptable. Son exigibilité n’est pas conditionnée par une opération spécifique de financement de la société. La Cour souligne que cet impôt « ne présuppose aucune opération impliquant un mouvement de capitaux ou de biens et ne correspond donc à aucune des opérations imposables qu’énumère l’article 4 de la directive ». Cette distinction fondamentale suffit à écarter l’application de la directive, qui vise à harmoniser les taxes frappant la formation et la croissance du capital, et non la détention de la richesse accumulée par l’entreprise.
B. Une assiette distincte du capital apporté
En second lieu, la Cour analyse la base d’imposition de la taxe litigieuse pour renforcer sa démonstration. Si le capital social souscrit est bien l’une des composantes de l’assiette de l’impôt sur le patrimoine net, il n’en est qu’un élément parmi d’autres. L’assiette est en réalité constituée par la somme de multiples postes comptables qui reflètent la valeur globale de l’entreprise. La Cour relève que sa « base d’imposition est composée par la somme de plusieurs rubriques comptables, parmi lesquelles les réserves ou fonds ainsi que les bénéfices des exercices précédents reportés et les pertes ». Un tel impôt ne frappe donc pas spécifiquement l’apport de capital, mais l’ensemble des avoirs nets de la société à un instant donné. Il ne peut dès lors être considéré comme un droit d’apport déguisé ou un impôt présentant les mêmes caractéristiques, dont la perception est interdite par l’article 10 de la directive.
II. La portée de la solution : la préservation de l’autonomie fiscale des États membres
En interprétant de manière restrictive le champ d’application de la directive, la Cour réaffirme un principe essentiel de la fiscalité européenne (A), garantissant ainsi la pérennité du pouvoir des États membres d’imposer la fortune des entreprises (B).
A. La primauté de l’analyse objective sur l’équivalence économique
L’arrêt rappelle avec force une jurisprudence constante selon laquelle la qualification d’une imposition au regard du droit communautaire relève de la compétence exclusive de la Cour. Cette qualification doit s’opérer « en fonction des caractéristiques objectives de l’imposition, indépendamment de la qualification qui lui est donnée en droit national ». La Cour écarte ainsi non seulement la qualification d’impôt direct retenue en droit interne, mais aussi l’argument de la requérante fondé sur les effets économiques prétendument équivalents de l’impôt litigieux et d’un droit d’apport. En se concentrant sur des critères juridiques stricts, tels que le fait générateur et l’assiette, la Cour privilégie une approche qui favorise la sécurité juridique. Une taxe n’est prohibée que si elle correspond précisément aux schémas décrits par la directive, et non simplement parce qu’elle pèse économiquement sur les capitaux propres de la société.
B. La confirmation du pouvoir d’imposer le patrimoine des sociétés
La solution retenue a pour conséquence directe de circonscrire l’harmonisation fiscale opérée par la directive 69/335/CEE aux seules impositions frappant les rassemblements de capitaux. L’objectif de cette dernière est de faciliter la libre circulation des capitaux en supprimant les entraves fiscales liées aux opérations de financement des sociétés, non d’instaurer une harmonisation générale de la fiscalité des entreprises. En jugeant qu’un impôt annuel sur le patrimoine net des sociétés ne relève pas de son champ d’application, la Cour confirme que les États membres conservent la pleine faculté d’instituer et de percevoir des impôts directs sur la richesse ou les actifs des personnes morales. Cette décision trace une frontière claire entre les impôts sur les flux de capitaux, qui sont harmonisés, et les impôts sur les stocks de patrimoine, qui demeurent de la compétence des législations nationales.