Par un arrêt en date du 7 décembre 1995, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en sixième chambre, s’est prononcée sur une procédure en manquement initiée à l’encontre d’un État membre pour défaut de transposition d’une directive. En l’espèce, la directive 91/263/CEE du Conseil, adoptée le 29 avril 1991, imposait aux États membres de prendre les mesures nécessaires à sa transposition en droit interne au plus tard le 6 novembre 1992. À l’expiration de ce délai, un État membre n’avait pas encore adopté les dispositions requises pour se conformer à cette obligation fondamentale du droit communautaire.
La Commission des Communautés européennes a par conséquent saisi la Cour de justice d’un recours en manquement, conformément à l’article 169 du traité CE. La partie requérante soutenait que l’État membre avait manqué à ses obligations en n’adoptant pas les mesures de transposition et, subsidiairement, en n’informant pas la Commission de telles mesures. En défense, l’État mis en cause n’a pas contesté le retard matériel dans l’accomplissement de ses obligations, mais a simplement fait valoir que les règlements ministériels destinés à opérer la transposition étaient en cours d’élaboration. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si le fait pour un État membre d’invoquer des démarches internes en cours pouvait justifier le non-respect du délai impératif fixé par une directive. La Cour de justice a répondu à cette question par la négative, en constatant le manquement de l’État défaillant. Elle a considéré que le seul fait que la transposition n’ait pas été réalisée dans le délai prescrit suffisait à caractériser la violation des obligations découlant tant de la directive elle-même que du traité.
Cette décision, bien que classique dans sa solution, rappelle avec force la nature des obligations qui pèsent sur les États membres dans le cadre de l’ordre juridique communautaire. Il convient ainsi d’analyser la caractérisation objective du manquement d’État (I), avant d’étudier la portée d’une solution qui réaffirme un principe fondamental du droit de l’Union (II).
I. La caractérisation objective du manquement d’État
La Cour de justice, dans sa décision, met en lumière le caractère absolu de l’obligation de transposition dans les délais impartis (A) et confirme par là même l’approche purement objective qui préside à la constatation du manquement (B).
A. L’obligation de transposition, un devoir inconditionnel des États membres
L’article 189, troisième alinéa, du traité CE dispose que la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette disposition établit une obligation de résultat claire, dont le respect des délais de transposition constitue une composante essentielle et non négociable. Le délai fixé par le législateur de l’Union vise à garantir une application simultanée et uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union, assurant ainsi la sécurité juridique et l’égalité des sujets de droit.
Dans le cas présent, l’article 17 de la directive 91/263/CEE fixait au 6 novembre 1992 la date butoir pour l’adoption des mesures nationales. En dépassant ce terme, l’État membre a non seulement méconnu une disposition spécifique de la directive, mais a également porté atteinte à l’effet utile de celle-ci, retardant l’harmonisation des législations relatives aux équipements terminaux de télécommunications. La Cour ne fait que rappeler cette exigence fondamentale en soulignant que les États membres « prennent les mesures nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 6 novembre 1992 ». L’obligation est donc double : agir, et agir dans le temps imparti.
B. Le caractère objectif de la constatation du manquement
Face à l’argument de l’État défendeur selon lequel les mesures de transposition étaient « en voie d’élaboration », la Cour adopte une position dénuée de toute ambiguïté. Elle ne s’engage pas dans une analyse des raisons du retard ou de la complexité du processus législatif interne. Le manquement est constaté sur la base d’un simple fait matériel : à la date fixée, le résultat prescrit par la directive n’était pas atteint. C’est en cela que la procédure en manquement revêt un caractère objectif.
La Cour formalise ce raisonnement dans une formule lapidaire mais d’une grande clarté : « la transposition de la directive n’ayant pas été réalisée dans le délai fixé par l’article 17 de celle-ci, il y a lieu de considérer comme fondé le manquement invoqué à cet égard par la Commission ». Peu importe l’intention de l’État ou les efforts qu’il déploie tardivement ; seule compte l’existence d’une défaillance objective à l’expiration du délai. Cette approche rigoureuse est indispensable au maintien de l’intégrité et de la primauté de l’ordre juridique communautaire.
La solution ainsi retenue, si elle est logique et attendue, s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui limite strictement les moyens de défense des États membres, conférant à la décision une portée plus illustrative que novatrice.
II. La portée limitée d’une solution réaffirmant un principe fondamental
Cette décision illustre le rejet constant par la Cour de justice des justifications fondées sur des contraintes internes (A) et se présente davantage comme une décision d’espèce, reflet de la fonction de gardienne des traités exercée par la Commission (B).
A. Le rejet constant des justifications fondées sur des difficultés internes
En affirmant que les travaux préparatoires en cours ne sauraient excuser le non-respect d’un délai de transposition, la Cour ne fait que réitérer un principe cardinal de sa jurisprudence. Un État membre ne peut exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inexécution des obligations résultant du droit communautaire. Cette règle a été affirmée de longue date pour garantir la primauté et l’application effective et uniforme du droit de l’Union.
Accepter une telle justification reviendrait à permettre à chaque État membre de moduler l’application du droit communautaire en fonction de ses propres pesanteurs administratives ou politiques, ce qui anéantirait l’essence même d’un ordre juridique commun. Que les difficultés soient d’ordre technique, constitutionnel ou politique, la Cour les a toujours écartées comme moyen de défense dans le cadre d’un recours en manquement. L’argument de l’État irlandais n’était donc pas recevable et sa condamnation était, à ce titre, inéluctable. Cette constance jurisprudentielle renforce la prévisibilité du droit et rappelle aux États leur devoir de coopération loyale.
B. Une décision d’espèce illustrative du contentieux du manquement
L’arrêt commenté ne constitue pas un arrêt de principe. Il ne dégage aucune règle de droit nouvelle et se contente d’appliquer une solution solidement établie à une situation factuelle simple et non contestée. Sa portée juridique est donc essentiellement pédagogique et confirmatoire. Il s’agit d’une décision d’espèce, typique du contentieux de masse que représente le contrôle du respect des obligations de transposition par les États membres.
La véritable portée de cet arrêt est de nature institutionnelle. Il met en évidence le rôle fondamental de la Commission en tant que « gardienne des traités », qui veille scrupuleusement au respect par les États membres de leurs engagements. La procédure en manquement, même lorsqu’elle aboutit à des condamnations prévisibles, demeure un outil essentiel pour préserver l’effectivité du droit de l’Union. En l’espèce, la condamnation pour manquement, bien que symbolique en l’absence de sanction pécuniaire à l’époque, constitue la reconnaissance formelle de l’illicéité du comportement de l’État et l’oblige à mettre fin à sa défaillance dans les plus brefs délais.