Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 3 février 2000. – Entidad de Gestión de Derechos de los Productores Audiovisuales (Egeda) contre Hostelería Asturiana SA (Hoasa). – Demande de décision préjudicielle: Juzgado de Primera Instancia e Instrucción de Oviedo – Espagne. – Droits d’auteur – Radiodiffusion par satellite et retransmission par câble. – Affaire C-293/98.

Par un arrêt du 9 septembre 1999, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par une juridiction espagnole, s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 93/83/CEE du 27 septembre 1993. En l’espèce, une société de gestion collective des droits des producteurs audiovisuels avait assigné une société hôtelière au motif que celle-ci distribuait dans les chambres de son établissement des programmes de télévision captés par voie terrestre et satellitaire. La société demanderesse soutenait que cette distribution constituait un acte de communication au public nécessitant l’autorisation des titulaires de droits, conformément à la loi espagnole transposant la directive. La société hôtelière contestait cette qualification. Face à cette difficulté d’interprétation, la juridiction nationale a sursis à statuer et a demandé à la Cour de justice si le fait, pour un établissement hôtelier, de capter des signaux de télévision et de les distribuer par câble dans ses chambres constitue un « acte de communication au public » ou une « réception par le public » au sens de la directive. La Cour a jugé que cette question n’était pas régie par la directive 93/83 et qu’il appartenait en conséquence au juge national de la trancher au regard de son propre droit.

La solution de la Cour repose sur une interprétation stricte du champ d’application de la directive, laquelle ne visait qu’une harmonisation minimale des droits d’auteur (I). Ce faisant, elle renvoie la qualification des retransmissions secondaires au droit national, soulignant ainsi les limites de l’harmonisation communautaire en la matière à cette époque (II).

I. Le champ d’application restreint de la directive 93/83

La Cour de justice a estimé que ni la communication par satellite ni la retransmission par câble, telles que définies par la directive, ne couvraient la situation d’une distribution interne à un hôtel. Elle a ainsi rappelé que la définition de la communication au public par satellite était spécifiquement circonscrite à l’acte initial d’émission (A) et que le texte n’opérait qu’une harmonisation minimale concernant la retransmission par câble (B).

A. Une définition de la communication au public par satellite circonscrite à l’acte d’émission

La Cour rappelle que l’objectif de la directive était de lever l’insécurité juridique relative aux droits à acquérir lors de la radiodiffusion transfrontière. Pour ce faire, l’article 1er, paragraphe 2, sous a), définit la communication au public par satellite comme « l’acte d’introduction, sous le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, de signaux porteurs de programmes destinés à être captés par le public dans une chaîne ininterrompue de communication conduisant au satellite et revenant vers la terre ». Cette définition a pour finalité de localiser l’acte de communication dans un seul État membre afin d’éviter l’application cumulative de plusieurs législations nationales.

Le raisonnement de la Cour met en évidence que cette définition ne concerne que l’acte initial de l’organisme de radiodiffusion. L’intervention de l’établissement hôtelier se situe en aval de cette chaîne de communication, une fois que les signaux ont été rendus accessibles au public. La distribution interne des signaux par l’hôtel n’est donc pas l’acte d’introduction des signaux dans la chaîne de communication. Par conséquent, une telle opération ne peut être qualifiée de communication au public par satellite au sens de la directive.

B. Une harmonisation minimale de la retransmission par câble

La Cour examine ensuite la notion de « retransmission par câble » définie à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive. Cette disposition vise « la retransmission simultanée, inchangée et intégrale par câble […] pour la réception par le public d’une transmission initiale à partir d’un autre État membre ». La Cour souligne que, contrairement au régime de la communication par satellite, la directive n’impose pas aux États membres d’instituer un droit spécifique pour la retransmission par câble.

L’article 8 de la directive se borne à exiger que les États membres veillent à ce que de telles retransmissions transfrontalières respectent les droits d’auteur et droits voisins applicables sur leur territoire. La directive ne définit donc pas le périmètre matériel de la retransmission par câble, mais se contente d’organiser l’exercice des droits pour les retransmissions provenant d’un autre État membre. L’opération technique réalisée par l’hôtel, consistant en une distribution interne à un public localisé dans ses locaux, ne correspond pas à cette hypothèse. La Cour en déduit logiquement que cette notion n’est pas non plus pertinente pour trancher le litige.

II. Les conséquences du renvoi de la qualification aux droits nationaux

En jugeant que la situation ne relevait pas de la directive 93/83, la Cour consacre la compétence du juge national pour qualifier l’acte litigieux (A). Cette solution met en lumière une lacune du droit communautaire de l’époque en matière d’harmonisation du droit de communication au public (B).

A. La consécration d’une appréciation au cas par cas par les juridictions nationales

La conclusion de la Cour est sans équivoque : « la question de savoir si le fait, pour un établissement hôtelier, de capter des signaux de télévision par satellite ou par voie terrestre et de les distribuer par câble dans ses différentes chambres est un ‘acte de communication au public’ ou de ‘réception par le public’ n’est pas régie par la directive 93/83/CEE […] en sorte qu’elle doit être appréciée selon le droit national ». Ce renvoi au droit interne est la conséquence directe de l’interprétation stricte du champ d’application de la directive.

Cette décision préserve l’autonomie des États membres dans un domaine non harmonisé. Il appartient donc au juge espagnol d’interpréter ses propres dispositions législatives, et notamment la notion de « communication au public », pour déterminer si la distribution des signaux au sein de l’hôtel requiert une autorisation des titulaires de droits. Une telle approche pouvait cependant conduire à des solutions divergentes au sein de l’Union européenne, un même acte pouvant être qualifié différemment selon l’État membre concerné, créant une fragmentation du marché intérieur que le droit d’auteur communautaire cherche précisément à éviter.

B. La mise en évidence d’une lacune du droit communautaire

L’arrêt souligne implicitement les limites de l’harmonisation sectorielle opérée par la directive 93/83. En se concentrant sur les actes de radiodiffusion transfrontière, le législateur communautaire n’avait pas traité la question des communications secondaires au public, effectuées en aval de la réception initiale des œuvres. L’affaire met en exergue ce vide juridique, source d’insécurité pour les acteurs économiques.

La Cour elle-même semble en avoir conscience, puisqu’elle prend soin de mentionner, dans ses motifs, la proposition de directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur dans la société de l’information, qui prévoyait une harmonisation plus large du droit de communication au public. Cette future directive 2001/29/CE allait effectivement combler cette lacune en instaurant un droit exclusif large pour les auteurs « d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres ». La présente décision, bien que se limitant à une interprétation littérale de la directive de 1993, a ainsi contribué à légitimer la nécessité d’une intervention plus ambitieuse du législateur communautaire pour achever l’harmonisation du droit d’auteur.

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